Perspectives en agro-alimentaire
Cahiers de la Chaire européenne « Filière d’excellence alimentaire » de l’ESSEC
Cahier N° 5
La nutrigénomique constitue-t-elle une menace pour la liberté de nos choix alimentaires? Août 2007
Perrine NADAUD
Cahiers de la Chaire Européenne «Filière d’Excellence Alimentaire ».
Les cahiers Perspectives en agro-alimentaire de la Chaire Européenne « Filière d’Excellence Alimentaire » ont pour vocation de proposer aux managers l’exposé d’idées, de concepts, de méthodes et/ou d’outils directement utiles dans leurs réflexions et le progrès de leurs activités. Ces passerelles entre le monde académique et le monde de l’entreprise, issues de réflexions et de travaux de recherche, se veulent également être la source d’une nouvelle forme de relation entre les deux sphères. Le travail des chercheurs doit se nourrir des problématiques de la société et de l’entreprise, afin de proposer des solutions pertinentes, robustes, innovantes, etc. Chacun des cahiers, plus qu’un simple document à parcourir, est une incitation renouvelée à travailler ensemble pour faire progresser la société, le management et les entreprises. Nous restons donc à la disposition de nos lecteurs pour mettre en œuvre et faire progresser les approches et les idées qui sont proposées dans ces cahiers.
Francis Declerck et Olivier Fourcadet Professeurs Co titulaires de la chaire
La publication de ces cahiers bénéficie du soutien des partenaires de la chaire Européenne « Filière d’Excellence Alimentaire »
Les propos engagent leurs seuls auteurs et en aucun cas l’ESSEC et les partenaires de la chaire.
Cahier N°5 – La nutrigénomique constitue-t-elle une menace pour la liberté de nos choix alimentaires?
La nutrigénomique constitue-t-elle une menace pour la liberté de nos choix alimentaires ? Introduction
Le séquençage du génome humain a entraîné la création de deux nouvelles applications dans le domaine de la nutrition : la nutrigénétique et la nutrigénomique. La nutrigénétique, sous domaine de la nutrigénomique(1), étudie la variabilité de l’expression1 génétique individuelle et estime l’impact de cette variabilité sur la façon dont une personne réagit à son alimentation. La nutrigénomique est l’étude des interactions entre les gènes et l’alimentation(2). Ces deux termes ouvrent la voie à ce que l’on est en train d’appeler la nutrition personnalisée. Celle-ci a comme objectif de faire des recommandations nutritionnelles adaptées au profil génétique et épigénétique (modifications de l’ADN liées à notre environnement et non pas liées à des changements de séquence)2 et aux besoins nutritionnels de la personne. Ainsi, nous n’aurions plus de recommandations impersonnelles, comme « manger 5 fruits et légumes par jour », et que l’on adresse à une large population, mais des recommandations spécifiques et adaptées à la vulnérabilité de chacun(3). Ces possibilités effraient certains et enchantent la plupart. Il est donc légitime de se demander en quoi la nutrigénomique pourrait affecter la liberté de nos choix alimentaires.
Où en est-on ?
Depuis peu, les scientifiques ont compris que les aliments pouvaient entrainer des mutations de gènes et des mutations épigénétiques. Un des objectifs de la nutrigénomique est d’arriver à prévenir l’apparition des maladies non transmissibles (obésité, diabète, cancers, maladies cardiovasculaires…). Pour cela, il faut donc être capable d’effectuer des tests génétiques qui détermineront les risques pour une personne de développer une de ces maladies. Cependant, étant donné la quantité importante de gènes que nous possédons et considérant l’ensemble des mutations 1 2
Effet produit par un gène. Cette expression peut donc être variable d’un individu à l’autre. Ces modifications modulent l’expression des gènes. Certains gènes peuvent être activés et d’autres inactivés.
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possibles, il est impossible, pour le moment, de diagnostiquer ou pronostiquer une pathologie chez un individu. Actuellement, le challenge le plus important est d’identifier l’ensemble des gènes impliqués dans les maladies non transmissibles.
Nous ne pouvons donc, à l’heure actuelle, que cibler certains gènes particuliers. Certaines entreprises, en grande majorité américaines, proposent déjà ce service. Pour ce faire, un simple échantillon de salive suffit !
Ainsi, de nombreux chercheurs, spécialisés dans ce domaine, pensent qu’une dizaine d’années seront nécessaires, avant de disposer d’une connaissance suffisante des gênes impliqués dans les maladies non transmissibles les plus courantes comme l’obésité(2).
Quelles sont les implications sociologiques et les conséquences sur nos choix alimentaires ?
Une fois que chacun d’entre nous aura connaissance de ses vulnérabilités génétiques,
nous
aurons
accès
à
des
recommandations
nutritionnelles
personnalisées. Lesquelles seront probablement très différentes d’une personne à l’autre. Ces différences pourraient être telles que dans une même famille, les repas deviennent complètement distincts. Certains pourront se permettre un dessert alors que d’autres ne devront jamais y penser ! Les membres d’une même famille pourraient devoir consommer des huiles différentes selon leur réaction aux oméga-3 et oméga-6 (1). La multiplication des intolérances et allergies alimentaires entraîne déjà ce genre de disparités au sein de certaines familles. Mais voilà qu’avec la nutrigénomique, les personnes encore exemptes de pathologies se verront contraintes de suivre des recommandations nutritionnelles, seulement par crainte de la maladie. On parle alors de prévention primaire. D’après une étude, de marché, 50% des Américains se déclarent intéressés par ce type de service et seraient prêts à payer jusqu’à 400 dollars (1). Par ailleurs, une autre étude précise que 71% des Américains sont d’accord pour utiliser la génétique aux fins d’établir des recommandations nutritionnelles spécifiques(4). Cependant, la diffusion de ces informations devrait avoir une diffusion contrôlée afin d’éviter qu’elles ne deviennent 2
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source de discrimination (ex. si elles étaient à la disposition d’une société d’assurance, celle-ci pourrait refuser d’assurer une personne « à risque »). Une fois que l’on sera capable de tracer la carte des vulnérabilités génétiques, il sera crucial que le public soit capable de déterminer si ces informations sont nécessaires et légitimes, si elles doivent rester privées ou bien relever du secret médical.
Une autre problématique émerge : les chercheurs pensent que ces modifications génétiques, liées à notre environnement et notamment notre alimentation, peuvent se transmettre par des effets transgénérationnels(3). Ainsi la connaissance de ces risques de modifications, entrainerait une responsabilité de l’individu face à d’éventuelles pathologies pouvant survenir chez lui ou affecter ses enfants ! Nous pensons que dès lors que la nutrition individualisée impliquera une responsabilité visà-vis d’autrui, elle ne pourra simplement plus être ignorée. Il se pourrait donc que nos choix alimentaires soient conditionnés et ne puissent plus être pris à la légère.
Des innovations seront-elles possibles ?
Il est légitime d’imaginer que cette nouvelle branche de la nutrition ouvre la porte à de nombreuses innovations pour l’industrie agro-alimentaire. En effet, celle-ci est déjà sensible aux besoins spécifiques du consommateur (ex. Actimel de Danone, proactive d’Unilever…). Ces recherches et innovations pourront donc s’affiner à mesure que les connaissances en nutrigénomique s’améliorent. Ainsi, il y a lieu de croire que la nutrigénomique représente une opportunité pour le monde agroalimentaire.
Conclusion
La nutrigénomique est donc une science cruciale pour comprendre les différences de résultats, entre les personnes, lors du suivi d’un régime alimentaire. Elle permettra, probablement de fournir des recommandations nutritionnelles personnalisées en fonction du profil génétique de chacun. Elle devrait également aider les entreprises à concevoir des produits alimentaires ayant un effet particulier en fonction du profil génétique de chaque individu. 3
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Cependant, il ne faut pas oublier que les maladies chroniques non transmissibles d’origine alimentaire sont complexes et que les connaissances en nutrition sont probablement encore insuffisantes pour répondre aux particularités de cette science. En effet, on ne connaît pas encore bien le rôle de nombreuses molécules présentes dans les aliments. Il est important de prendre conscience que la nutrigénomique soulève également de lourds questionnements d’ordre éthique. En effet, est-il souhaitable de connaître son profil génétique ? A qui bénéficiera cette information et à quel coût ? Cette science laissera-t-elle encore la place au plaisir et permettra-telle de conserver la liberté de nos choix alimentaires ?
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Références 1.
Vergères G, Sagaya F. Nutrigénomique: science ou fiction? ALP science 2007.
2.
Junien C, Lairon D. Manger selon ses gènes: réaliste ou illusoire? Institut Français pour la Nutrition mai 2007.
3.
Le Jeune S, Cygler M. Obésité: pleins feux sur la nutrigénomique. Iserm actualités 2006.
4.
Food Insight. Tailoring Your Diet to Fit Your Genes: A Global Quest 2006.
5.
EUFIC. Ce que la "nutrition individualisée" peut faire pour vous. Food today 2004.
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Cahiers de la Chaire Européenne «Filière d’Excellence Alimentaire ». Liste des cahiers : Cahier 1 : L’empreinte écologique des produits : Prochaine source d’avantage concurrentiel ? Cahier 2 : Marchandisation des ressources naturelles : Un nouveau mode de valorisation ? Cahier 3 : L’IMC : Est-ce encore une mesure valable ? Cahier 4 : Une alimentation équilibrée coûte cher ! Mythe ou réalité ? Cahier 5 : La nutrigénomique constitue-t-elle une menace pour la liberté de nos choix alimentaires ?
Cahier en préparation : Responsabilité nutritionnelle : Une responsabilité partagée !
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