Les Amis du Musée de la Santé de Lyon - 4 mai 2015 Conférence sur Louis LORTET directeur du muséum de Lyon, professeur à la Faculté des Sciences, professeur et doyen à la Faculté de Médecine

par le Professeur Louis David (ancien directeur du muséum de Lyon)

Charles Louis Lortet est né à Oullins (Rhône) le 22 août 1836 de Pierre Lortet et Jeannette Müller. Son père Pierre Lortet, docteur en médecine mais passionné de sciences, était fils unique de Clémence Lortet, savante botaniste et co-fondatrice de la société linnéenne de Lyon. Louis avait un frère, Leberecht, médecin, surtout connu comme artiste peintre, et une sœur Clémentine. Louis fait ses études au lycée Ampère de Lyon, puis à l’école de Médecine dont il est lauréat en 1855-1856 ; interne des hôpitaux en 1856, il démissionne pour se consacrer à la physiologie sous l’influence d’Auguste Chauveau. Lyon n’ayant pas de faculté de Médecine, il termine ses études à Paris où il soutient une thèse sur le cancroïde labial (1861). Il revient à Lyon pour exercer la médecine auprès de l’Infirmerie évangélique (1861), du Dispensaire général (1863), de l’Asile de Saint-Pothin (1863) et plus tard de la Société protestante de prévoyance et de secours mutuel (1866), mais surtout pour continuer des études à la faculté des Sciences et devenir licencié ès sciences naturelles (1865). Il est docteur ès sciences avec une double thèse le 12 avril 1867 : thèse de physiologie animale sur la vitesse du cours du sang dans les artères du cheval, et thèse de physiologie végétale sur la fécondation et la germination de Preissia commutata de la famille des Marchantiacées (Hépatiques à thalle). En 1867, il est chargé de cours de zoologie à l’École préparatoire de médecine, puis professeur en 1868. Il est aussi chargé de cours de zoologie à la faculté des sciences en novembre 1869. C ’est le 6 décembre 1869 que le préfet nomme Louis Lortet directeur du muséum d’histoire naturelle, mais la guerre arrive et il s’engage comme chirurgien dans l’ambulance Ollier qui rejoint l’armée de l’Est le 10 octobre 1870, puis celle de la Loire, puis à nouveau celle de l’Est. Mais, après la bataille de Villersexel en janvier c’est la retraite ; Lortet reste seul à Rougemont avec une petite équipe pour soigner les blessés et ne reviendra que le 20 mars. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire. Il reprend la direction du muséum, ainsi que ses cours auprès de la faculté des sciences : il deviendra professeur de zoologie et physiologie en 1874. Mais il n’oublie pas l’École de médecine : lui et plusieurs de ses collègues (en particulier Ollier, Chauveau, Glénard) obtiennent la transformation de l’École en Faculté mixte de médecine et pharmacie en 1877. Lortet quitte la faculté des sciences pour être nommé professeur d’histoire naturelle auprès de la nouvelle faculté dont il est immédiatement proclamé doyen. La faculté s’installe dans les locaux de l’École dépendant de l’Hôtel-Dieu : ils sont très vite trop petits, mais il faut attendre la fin de la construction des facultés du quai Claude Bernard pour procéder au déménagement dans les nouveaux locaux en compagnie des trois autres facultés. En 1894, le président Carnot remet la croix d’officier de la légion d’honneur à Lortet. Le 16 novembre 1902 on fête le 25e anniversaire de la faculté, ainsi que celui du décanat de Lortet.

La médecine, la physiologie La thèse de médecine dont le titre exact est Essai monographique sur le prétendu cancroïde labial, a été publiée à Paris chez Rignoux en 1861. Ensuite une série de plus ou moins courtes publications jalonnent la vie de Lortet ; parmi elles nous retiendrons les plus significatives. En 1869, toujours attiré par la physiologie – et par l’alpinisme – il décide de monter deux fois au sommet du mont Blanc les 17 et 26 août, ce qui n’était guère une balade touristique d’autant que, dans l’intervalle, il escalade des sommets moindres ; il mesure les effets de la pression atmosphérique sur la circulation et la respiration ; il prélève même l’air à diverses altitudes pour connaître les bactéries ; il publie les résultats chez Masson à Paris. N’oublions pas que Lortet est à l’origine de la section lyonnaise du Club alpin français. Plus curieux, il expérimente la tuberculose chez les vers de terre, ce qu’il publie avec Despeignes aux Comptes rendus de l’Académie des sciences en 1892. Au cours de ses voyages au Moyen Orient, il étudie et publie sur la lèpre en Syrie (1880), sur les microbes pathogènes des vases de la mer Morte (1891), sur la bilharziose (1894 avec Vialleton), et il découvre un crâne syphilitique dans la nécropole préhistorique de Rôda (1907, 1908) qui déclenchera l’affaire Chantre, alors sous-directeur du muséum. Le muséum Dès sa prise de fonction, en janvier 1870, il adresse au maire un rapport sur l’état des lieux se terminant ainsi : « en un mot, Monsieur le Maire, ce n’était point là un musée, ce n’était plus qu’un entassement sans goût, sans ordre, sans propreté [...] qui excitait l’hilarité des visiteurs et les plaisanteries des journalistes humoristiques ». Scientifique rigoureux, Lortet visite les principaux musées d’Europe pour choisir la meilleure formule de classification et de présentation des collections. Puis c’est l’interruption due à la guerre, mais ensuite le public et la municipalité deviennent conscients de l’importance du musée qui était installé dans le palais Saint-Pierre depuis les années 1820. Réorganisé sous l’impulsion de Lortet, celui-ci atteint l’apogée du développement de ses collections  : chaque année des milliers d’objets entrent au musée (exemple, 25 956 en 1872). Les donateurs, amateurs pour la plupart, sont si nombreux qu’il ne serait pas raisonnable d’en dresser ici la liste complète. Mais c’est l’apport de Lortet luimême qui mérite attention. Dès 1872, il crée l’Association lyonnaise des amis des sciences naturelles

qui récolte des fonds et œuvre pour le développement du musée et de ses collections : c’est ainsi qu’on achète le squelette de Mégacéros – dit grand cerf d’Irlande –, qu’on peut procéder au montage du mammouth de Choulans, en caisse dans les caves depuis 1859 (et remonté au musée des Confluences). La même année, l’association permet le lancement des Archives du Muséum de Lyon, publication prestigieuse au service de l’étude des collections : volumes grands in quarto avec planches en lithogravure sur la pierre de Cerin (Ain). Bientôt Lortet explore aussi les contrées de l’Orient méditerranéen et en ramène des collections qu’il étudie : 1873 Grèce, Syrie (1874, grêle sur les verrières du palais Saint-Pierre), 1875 Grèce, Turquie, dont il rapporte de nombreux fossiles tertiaires. En 1876-1880 ce sont les voyages et fouilles en Syrie d’où reviennent les poissons du lac Tibériade ou du Jourdain (publiés en 1883, 1884), ainsi que les reptiles (publiés en 1887) ; c’est aussi le résultat des fouilles sur les sites archéologiques de Tyr et de Sidon dont Lortet ramène sarcophages, stèles, céramiques (ayant migré au musée des Beaux Arts à la fin du XXe siècle). Lortet relate ses voyages au Moyen-Orient dans un livre particulièrement important : La Syrie d’aujourd’hui, voyages dans la Phénicie, le Liban et la Judée, 1875-1880. Paris, Hachette, 1884. L’égyptologie Ce qui reste le plus important, et le plus spectaculaire, c’est le résultat des fouilles annuelles qui seront entreprises par Lortet en Égypte de 1900 à 1906. Tout d’abord il rapporte une série de 41 momies humaines (sans compter les pièces détachées). Ensuite le résultat des fouilles dans le désert a été la découverte d’objets archéologiques pré-pharaoniques datant des époques Nagada I et II : très nombreux vases décorés, objets et sculptures en brèche, palettes à fard, et surtout les statuettes d’hommes dansant et des deux hommes barbus. Ils assurent la réputation du muséum lyonnais. Enfin le musée du Caire et les autorités confient à Lortet, et à son adjoint Claude Gaillard, l’étude de la faune momifiée : tous les animaux ont été préparés, radiographiés, parfois les squelettes extraits, et dé-

terminés scientifiquement à Lyon ; les résultats sont publiés en 5 volumes des prestigieuses Archives du Muséum, 1903 à 1909, avec la collaboration de 13 autres savants spécialistes. En contre-partie un échantillonnage des principaux animaux a été laissé au musée, depuis le ver de terre jusqu’au grand crocodile en passsant par les poissons, les oiseaux, les mammifères, etc.

La zoologie C’est au cours de ses voyages dans le bassin méditerranéen oriental que Lortet s’intéresse le plus à des animaux, essentiellement des vertébrés, qu’il rapporte dans les collections du muséum. L’une de ses plus anciennes publications est celle sur le Lagomys de Corse, rongeur de montagne voisin des lièvres. Plus importantes sont les études sur les poissons du lac de Tibériade (lac au nord-est d’Israël traversé par le Jourdain), suite à des dragages : Lortet décrit de nombreuses espèces nouvelles, ainsi que la façon dont les Chromis (Chromis paterfamilias) incubent leurs œufs dans le pharynx et autour des branchies, et gardent encore les petits dans leur bouche pour les protéger (1875, 1883). Il récolte également des gastropodes aquatiques, les paludines, les décrit ainsi que les serpents et les tortues terrestres de tout le bassin méditerranéen (1887). Enfin il publie sur les myriapodes (mille-pattes) des bords de la mer Morte (1887).

La paléontologie C’est en collaboration avec Ernest Chantre que Lortet avait publié les Études paléontologiques dans le bassin du Rhône, pour la période quaternaire, puis pour la période tertiaire, uniquement pour les mammifères fossiles des collections du muséum et de la faculté : ces études sont dans les deux premiers volumes des Archives du muséum (1872 et 1878). Il publiera aussi la première monographie des reptiles fossiles du bassin du Rhône (1892), faisant suite aux monographies de Victor Thiollière sur les poissons du si célèbre gisement de Cerin (commune de Marchamp, Ain) et préludant aux nombreuses publications consacrées à ce site qui suivront jusqu’à la fin du XXe siècle. La botanique, la préhistoire Jeune homme, Lortet avait herborisé dans la région lyonnaise en compagnie de sa grandmère, Clémence, et surtout avec Antoine Roffavier de la société Linnéenne. En 1859, la toute première publication de Lortet traite de botanique : sur une anomalie des fleurs de l’Erica arborea (une bruyère). Ensuite ce sera sa thèse de physiologie végétale sur la Preissia qui obtint une mention très honorable de l’Académie des Sciences et le prix Desmazières. Sa première étude de préhistoire, écrite en collaboration avec l’abbé Ducrost, traite du gisement de Solutré et date de 1872. Il reprendra des recherches sur la préhistoire lors de ses expéditions en Égypte suite à la découverte d’industrie lithique, de fossiles, voire de crânes humains, dans plusieurs sites qu’il a l’opportunité de fouiller. Médecin, c’est certain, mais aussi naturaliste très complet comme l’attestent les intitulés de ses chaires de professeur, Louis Lortet fut aussi un organisateur et un administrateur de grand mérite : le muséum et l’université lui doivent beaucoup.