TOWARDS AN EPISTEMOLOGY OF CIVIC ACTION Ismaël SENE, ESC Rennes School of Business, [email protected] In this conceptual paper, we argue that civic action potentially constitutes a new frontier for the management research field. In particular, we notice among the contemporaneous social evolutions, the increasing legitimation of not-for-profit entrepreneurial phenomena. Our proposition is based on the axiomatic theory of action proposed by Hatchuel (2005), in particular, the ternary combination of any rational myth, as coextensive to any action model. We will demonstrate the importance of three substitutions determining the possible advent of a contemporaneous « civitas » (Benveniste - 1974), including the phenomenon of civic entrepreneurship. Firstly, facing the citizen the “fellow citizen” must be seen as less concerned by the unity of any General Interest than by the preservation of several common goods. In the same way, if in the Greek model, the relation is formally descendant from the community (polis) to the citizens (polîtes); it becomes ascendant in the Latin model, from the fellow citizens (civis) to the community (civitas) they are actually building.

VERS UNE EPISTEMOLOGIE DE L’ACTION CIVIQUE Entrepreneuriat civique et modèles de citoyenneté Les formes contemporaines de l’innovation sociale font l’objet d’un questionnement qui croit en proportion d’une demande sociale d’ordre sociopolitique, issue de la société civile, et de l’affirmation de la doctrine de la gouvernance, issue des Etats occidentaux et émergents. Ce questionnement mobilise peu ou prou, toutes les disciplines des sciences sociales, au sein desquelles la recherche en management. On peut comprendre qu’après une première phase de recul significatif de l’Etat providence, à partir des années 80, l’intensification récente d’une libéralisation des politiques publiques et des conséquences, ne pouvait qu’impliquer la recherche de modèles alternatifs de traitement de la chose publique. Dans ce contexte, une grande variété de transformations, en cours ou en gestation, appellent de la part des sciences sociales, un renouvellement de ses cadres de pensée et de ses modèles d’intervention. La recherche en management n’est pas exempte de cet effort, d’autant moins que les doctrines de la gouvernance, d’inspiration libérale, puisent pour partie dans le référentiel de notre discipline pour penser les nouvelles formes de l’action publique. On constate notamment que le vocabulaire entrepreneurial prend place d’une manière croissante, dans les discours de politique publique. Il faut dire qu’à chaque période de crise économique majeure, correspond la nécessaire implication de ce que l’on nomme aujourd’hui la société civile, pour entreprendre et créer des organisations qui visent à répondre aux enjeux sociaux de l’époque.

Ainsi, face aux transformations industrielles du dix neuvième siècle, a-t-on connu la naissance des sociétés de secours mutuels et des coopératives. Plus tard, les réponses aux différentes crises, dont celles des années 30 et des années 70, appelleront à chaque fois la multiplication des créations d’organisations dites de l’économie sociale et solidaire. Aujourd’hui, la commission européenne met en place une série d’instruments en faveur de « l’Entrepreneuriat Social », constatant que les taux de croissance du secteur y sont supérieurs à ceux de l’économie de l’économie traditionnelle. La création d’un programme européen pour le changement social et l’innovation visant à la fois le soutien à l’entrepreneuriat social et l’innovation sociale. Sur le plan académique, les termes d’entrepreneuriat social, d’entrepreneuriat public, d’entrepreneuriat sociétal ou encore d’entrepreneuriat civique, cohabitent et se recoupent dans une confusion typique des phases de structuration et restructuration des champs et des objets d’étude. Nous avons précédemment proposé une articulation de ces domaines (sene, 2011), en mobilisant notamment des travaux issus de l’anthropologie économique. Il était apparu que la nouveauté la plus significative se trouve du côté de l’entrepreneuriat civique, du fait de la catégorie de valeur visée au plan anthropologique, et du champ d’innovation exploré. Penser l’action civique d’un point de vue entrepreneurial, c’est en effet proposer une lecture nouvelle de l’appropriation des biens communs et de l’innovation sociale dans la sphère civique. Dans cet article conceptuel, nous souhaitons approfondir cette réflexion du point de vue de la recherche en management, saisie comme épistémologie de l’action (Hatchuel, 2005). Pour ce faire, il nous faudra dans un premier temps exposer ce qu’est une épistémologie de l’action, en montrant qu’il est possible d’enrichir la doctrine de l’auteur à l’aide de sa théorie des mythes rationnels (I). Dans une seconde section, nous montrerons en quoi l’entrepreneuriat social et civique jouent respectivement un rôle en phase avec deux modèles de la citoyenneté distingués par Benveniste (1974), le modèle Grec et le modèle Latin (II) Enfin, nous conclurons par une synthèse décrivant ce que pourrait être une épistémologie de l’action civique.

I – Le Management comme épistémologie de l’action Contre les métaphysiques de l’action Au sein des sciences sociales, la spécificité de la recherche en management est qu’elle n’étudie pas en soi les phénomènes économiques et sociaux, mais les actions collectives qui formeront ces phénomènes économiques et sociaux. De plus, et par opposition aux théories classiques de l’action collective, la recherche en management se doit de rejeter les faux universels de l’action qu’Hatchuel (2001) nomme « métaphysiques de l’action ». Ainsi, il n’est d’aucune utilité pour le management de mobiliser une théorie qui résume l’action d’un collectif à un « principe totalisateur » comme l’action démocratique, sans que cette dernière soit saisie dans ses modalités opératoires. De même une théorie basée sur un « sujet totalisateur » comme le citoyen ne fait pas sens d’un point de vue managérial, dans la mesure où l’on ne peut dire ce qui permet précisément de désigner comme tel un sujet agissant, de repérer, d’appréhender et d’évaluer les conditions et les variantes de son action de citoyen, au sein d’un collectif de citoyens. Les métaphysiques de l’action sont donc, en quelque sorte, des « idéologies » de l’action dont l’inconvénient principal est de masquer les processus concrets qui rendent l’action saisissable, en sous-estimant le fait qu’elle constitue toujours une énigme, et que c’est précisément le phénomène qu’il nous faut étudier. En l’occurrence, il n’y a pas d’action collective sans apprentissage collectif, ce qui sous entend un système relationnel plus ou moins complexe et la dynamique des pouvoirs qui l’accompagne. Parmi les métaphysiques de l’action, on peut distinguer deux grandes catégories qu’il est possible d’associer schématiquement à deux disciplines historiquement connexes au management : l’économie et la sociologie. Pour simplifier, on pourrait dire de l’économie qu’elle mobilise classiquement des métaphysiques de l’action centrées sur le savoir, à travers la décision optimale de l’homo œconomicus, sujet totalisateur par excellence. Symétriquement, la sociologie convoque plus volontiers des métaphysiques de l’action centrées sur les relations et le pouvoir, en campant une forme d’homo sociologicus, dont la caractéristique est d’agir conformément à sa condition sociale, qu’il s’agisse d’habitus de classe sociale, ou autre catégorie socio-professionnelle. La raison du rejet des métaphysiques de l’action, correspond également à la quête de savoirs actionnables en management. Cette question est indissociable de la recherche d’une pertinence des résultats de la recherche, vis à vis des praticiens du management, ce qui est une thématique constante de nos débats depuis les origines de la discipline. Identifier et réviser de nouveaux modèles d’action Encore faudrait-il cerner rigoureusement ce qu’est un savoir actionnable. Or le paradoxe est que si il existait un critère universel permettant de reconnaître en soi un savoir actionnable, cela signifierait qu’il existe une théorie universelle de l’action, à l’aune de laquelle on pourrait spécifier les critères universels de l’actionnable, ce qui reviendrait à formuler une métaphysique de l’action.

De fait, il faut convenir que l’actionnable est en soi, tout comme l’action collective, un objet d’étude central pour la recherche en management. Chaque étude d’une catégorie d’action collective doit travailler les conditions qui la rendent actionnable, dans toute sa spécificité. Ceci implique d’affirmer la nécessaire dualité de l’actionnable : les conditions de production des savoirs d’une part, et les conditions de réception et d’appropriation de ces connaissances de l’autre. Dans cet esprit, les deux volets de l’actionnable doivent être envisagés et réévalués à chaque étape d’un processus de recherche. Cela ne signifie pas que toute recherche devrait prendre la forme d’expérimentations empiriques, en collaboration avec des managers praticiens, mais que même une recherche théorique gagnerait à être appréhendée comme une action collective. Pour être actionnable, toute recherche doit intégrer les conditions de son appropriation. Or ce qui fait le lien entre la création de savoirs sur l’action collective et les conditions de leur appropriation, est la conception de modèles d’action, en tant qu’ils formalisent des connaissances permettant à la fois d’analyser les particularités d’une classe d’action collective, et de mobiliser ces savoirs pour en faire la critique. Cette critique informe en retour la modélisation, tant comme processus que comme résultat transitoire. C’est pourquoi l’identification et la révision de nouveaux modèles d’action, se trouve au cœur de toute épistémologie de l’action. Identifier de nouveaux modèles d’action, grâce auxquels des collectifs peuvent se penser en tant que collectifs agissant, rend concevables de meilleures formes de coordination et accroît l’émancipation de ces collectifs. Pour ce faire, les collectifs doivent réviser leurs modèles d’action en fonction des conditions singulières auxquelles ils font face, afin d’accroître leur pouvoir d’agir. Structure générique des modèles d’action : un modèle d’action révisable Dans le présent article, nous souhaitons bien concevoir un modèle d’action. Mais il s’agit d’un modèle générique. Dans la typologie proposée par David (----), notre modèle correspondrait au niveau des théories générales. Son appropriation vise des collectifs qui, pour concevoir des modèles d’action singuliers et contextuels (niveau des théories locales), pourraient tirer profit de ce modèle générique. Pour ce faire, nous menons un travail conceptuel à partir de la théorie des mythes rationnels d’Hatchuel (1998). Nous verrons qu’en articulant les trois dimensions d’un mythe rationnel à celles d’une épistémologie en général, il est possible de proposer une structure générique des modèles d’action. Cette structure doit être saisie comme un outil de conception. La formalisation instrumentale d’une épistémologie de l’action en général, en aucun cas la seule possible, est un moyen de rendre accessible la logique du modèle d’action civique que nous proposons. Dans sa théorie des mythes rationnels, l’auteur explique qu’une action collective résulte toujours d’une double opération de conditionnement et de découverte. La dimension mythique correspond au conditionnement au regard des croyances et des mobilisations qu’elle suscite, alors que la découverte consiste en l’épreuve du réel, l’adaptation aux contraintes et les apprentissages qu’elle requiert. Un mythe rationnel, lorsqu’il est complet, serait constitué de trois éléments : un ensemble de figures d’acteurs, un champ de valeur connaissable, et un substrat formel.

Sans substrat formel, c’est à dire sans formalisme implicite structurant l’action, la représentation de l’action collective serait difficilement partageable. De même, est-il nécessaire de spécifier des finalités de l’action et de pouvoir débattre du « comment mieux faire » pour les atteindre. C’est pourquoi on dira du champ de valeurs visé, qu’il est connaissable. Enfin, il faut que la fonction des principaux acteurs soit spécifiée, ainsi que leurs relations, sans quoi aucune coordination ne serait envisageable. Par ailleurs, il faut rappeler avec Le Moigne (----), que toute épistémologie répond à trois questions : celles du quoi, du comment et du pourquoi de la connaissance, à savoir les gnoséologie, méthodologie et éthique de la connaissance. Or si une épistémologie de l’action est une extension de l’épistémologie classique (Hatchuel, 2005 p.42), et que la non séparabilité des connaissances et des relations (Hatchuel, 1999 p.195) est bien un principe général qui vaut pour toute action collective, alors les trois questions de toute épistémologie pourraient légitimement intégrer la structure générique de tout modèle d’action. Ainsi, souhaitons-nous argumenter la pertinence d’une articulation entre les trois questions de toute épistémologie, et les trois éléments constitutifs d’un mythe rationnel complet.

Dimension Méthodologique Plan des

Plan des substrats formels

Plan des figures d’acteurs

Dimension Gnoséologique Plan des champs de valeur

Dimension Ethique

A partir de cette structure, il nous faut concevoir un modèle d’action civique. Nous le ferons en nous appuyant sur la distinction proposée par Benveniste (1974) entre deux modèles de la citoyenneté : le modèle grec et le modèle latin. En effet, s’agissant d’action civique, la figure du citoyen est déterminante. Or si l’on suit l’auteur dans son analyse historique, constatant la domination historique du modèle grec, tout se passe comme si l’époque contemporaine aspirait à revaloriser une forme de « communalité » que Rosanvallon (2011) associe au modèle latin. Ainsi, on peut opposer au modèle grec aujourd’hui dominant, qui réifie la dimension juridique de la citoyenneté, le modèle latin qui désigne, comme première, la reconnaissance instersubjective entre concitoyens. Le principal vecteur de cette forme latine de citoyenneté civile est selon nous, une forme particulière de création collective : l’action entrepreneuriale civique. En son principe, nous situons un processus social d’une nature équivalente à ce que Spinosa & al. (1997) nomment « history making », c’est à dire la reconfiguration de pratiques sociales jusqu’alors marginales, et leur réinterprétation axiologique. Cependant, on ne parlera d’action entrepreneuriale civique que lorsqu’un tel déplacement dans la représentation des valeurs d’une communauté désigne comme bien commun. Nous pouvons donc, en comparant deux mythes rationnels, montrer l’importance de trois substitutions conditionnant la possibilité d’une « civitas » contemporaine. Face à la figure du citoyen il faut concevoir celle du concitoyen, dont la préoccupation est moins l’idéal de l’intérêt général que la valorisation d’une pluralité de biens communs. De même, là ou dans le modèle grec, la relation est formellement descendante depuis la communauté (polis) vers les citoyens (polites), elle devient ascendante dans le modèle latin, entre les concitoyens (civis) qui forment une communauté (civitas). Deux mythes rationnels MODELE GREC DE CITOYENNETE JURIDIQUE

MODELE LATIN DE COMMUNALITE CIVIQUE

Figure du collectif

Citoyens

Concitoyens

Finalité de l’action

Intérêt Général

Biens Communs

Communauté ---> Citoyen

Concitoyen ---> Communauté

Substrat formel

II – Entrepreneuriat Social, un palliatif du modèle grec de citoyenneté ? La place du citoyen dans l’ES : un principe de solidarité L’on peut faire le constat historique que l’économie sociale et solidaire, sur le plan du statut juridique, constitue la forme traditionnelle de l’entrepreneuriat social. Depuis l’origine, les mutuelles, les associations et les coopératives ont toujours joué un rôle essentiel aux côtés de l’Etat, en faveur des solidarités et contre les inégalités. L’idéal démocratique est ainsi mobilisé dans le but de préserver l’égalité des droits au regard d’une vie descente et de l’émancipation du citoyen. Qu’il s’agisse de santé et de salubrité publique, d’accès à l’éducation et de lutte contre l’analphabétisme, ou encore d’accès à l’emploi, la question de la dignité du citoyen passe par l’idéal d’une solidarité citoyenne susceptible de la préserver ou de la restaurer. Ainsi les premières sociétés de secours mutuel avaient pour but de faire face aux conséquences des accidents pouvant frapper le cours d’une existence, la maladie, la mort, les accidents du travail. Il fallait être solidaire face au destin et à la vulnérabilité que les humains ont en partage. De même, du fait qu’on ne choisit pas ses conditions de naissance, ni son milieu familial, des associations ont été créées afin de contrebalancer certaines inégalités face à l’éducation, ou aux conditions d’habitat. La place de l’intérêt général dans l’ES : pallier les carences de l’Etat Toutes ces actions, dans leur diversité, contribuent donc à l’idéal du progrès social, et de fait, partagent cette finalité avec l’action publique. L’intérêt général consiste à œuvrer en faveur du progrès social, mais dès lors que l’action publique peut être défaillante, en particulier en période de crise, et d’autant plus que disparaissait le modèle d’un Etat providence, le secteur de l’économie sociale et solidaire prenait de l’importance. En ce sens, on peut considérer l’économie sociale et solidaire comme un palliatif des carences de l’Etat. Ainsi, la délivrance d’un statut d’intérêt public à certaines associations ou fondations est-elle la reconnaissance par l’Etat du rôle qu’elles jouent en faveur de l’intérêt général. Le lien communauté-citoyen dans l’ES : une logique d’intégration. De ce point de vue, on peut comprendre qu’il existe un lien fort entre le modèle grec de la citoyenneté et la figure traditionnelle de l’entrepreneuriat social. En effet, ce qui caractérise le modèle grec est bien l’inscription du citoyen comme appartenant à une communauté qui lui préexiste, et définit son rôle dans la communauté. La citoyenneté s’acquiert comme un ensemble de droits et de devoirs, dans une logique d’intégration citoyenne. C’est l’accomplissement de cette intégration qui pose problème lorsque des conditions de vie dégradées privent le citoyen de la jouissance de ses droits. Du fait de ce que l’on nomme aujourd’hui l’exclusion sociale, le citoyen peut être dans l’incapacité de mener une vie citoyenne normale. Il faut donc lutter contre cette exclusion, lui redonner la dignité de vivre de son travail, d’acquérir les fondamentaux de la lecture, de l’écriture et du calcul, de sorte qu’il soit à même de faire valoir ses intérêts de citoyen, et de participer à la vie publique. En ce sens, l’économie sociale et solidaire contribue au principe d’intégration propre au modèle grec de citoyenneté.

III – Entrepreneuriat Civique, le retour du modèle latin ? EC et concitoyenneté : un principe d’adhésion L’entrepreneuriat civique peut être différencié de l’entrepreneuriat social, par la figure du citoyen auquel on peut l’associer. Cette distinction requiert un effort de mise à distance de notre conception habituelle du citoyen, comme détenteur d’une nationalité en référence à un état qui la délivre. Dans le modèle latin, on ne pense pas la citoyenneté en ce sens, car c’est d’abord la relation entre civis qui crée la civitas, c’est à dire que c’est dans la relation entre con-citoyens que s’origine une communauté citoyenne. De ce point de vue, il faut saisir un principe d’appartenance ou le projet commun est premier. Ce qui crée l’appartenance n’étant pas l’héritage d’un droit, mais bien l’adhésion consentie aux valeurs d’un projet et la reconnaissance mutuelle entre concitoyens. On doit ainsi saisir l’entrepreneuriat civique, dans une logique d’adhésion qui met entre parenthèses cette question nationale, au sens où l’enjeu premier n’est pas de consolider une communauté nationale en y réintégrant les exclus. La diversification des biens communs La notion d’intérêt général n’est donc plus cardinale, car s’agit davantage de se saisir collectivement de biens communs. Alors que l’intérêt général s’exprime au singulier dans un rapport à l’Etat, les biens communs s’expriment au pluriel dans un rapport aux collectifs qui s’en emparent. Par bien commun, nous entendons l’association d’un bien public et d’une valeur civique. Si une école municipale est un bien public, c’est en l’associant à l’idéal républicain que se conçoit la valorisation possible d’un bien commun. Précisons qu’il n’existe pas de bien public par nature, car les caractères de non rivalité et de non exclusivité (Samuelson, 1954), ne peuvent être que le résultat d’un choix social en acte. Par conséquent, les règles d’usage sont constitutives du bien public et l’on peut dire que tout bien public est à la fois matériel et immatériel. La pluralité des biens communs ainsi définis répond également à la complexification de notre monde globalisé. S’il est nécessaire de diversifier les biens communs, c’est parce qu’il y a un impératif d’innovation sociale. Du concitoyen aux collectifs civiques : un processus d’innovation civique Il arrivera ainsi de plus en plus fréquemment, du fait de la complexification du tissu politique, qu’une menace inédite plane sur un objet d’intérêt public (qu’il soit naturel ou artificiel), ou bien qu’une menace déjà existante soit conscientisée comme telle. Autant d’opportunités d’innovation où des collectifs pourront se saisir de ces objets comme des biens communs à préserver. En premier lieu, ces innovations civiques ne font pas référence au corps monolithique de la citoyenneté grecque. Elles sont au service d’une recherche d’alternatives que le cadre classique de la citoyenneté n’est pas capable de produire. Il est néanmoins toujours souhaitable que dans un second temps, l’Etat sache intégrer ces innovations, afin de leur donner la puissance et la légitimité de la chose publique.

Conclusion : vers une épistémologie de l’action civique L’entrepreneur civique : un collectif d’innovation Il apparaît évident que l’entrepreneur civique ne peut être qu’un collectif. En effet, dès lors que l’objet de l’innovation est l’association d’un bien public et d’une valeur civique, il est incontournable qu’une variété de parties prenantes soit associée au sein d’un « collectif entrepreneurial ». La fonction du collectif peut être définie à l’aide de ce que Spinosa & al (1997) nomment « disclosing », à savoir le fait de révéler ou de rendre visibles de nouveaux possibles dans les pratiques sociales. Il est pertinent de mobiliser cette notion pour saisir la fonction de l’entrepreneur civique, car ce dernier révèle en effet de nouveaux possibles dans le domaine civique. Pour ce faire, il doit mener à bien trois missions complémentaires : - Sensibiliser quant à l’existence et à l’importance d’un bien public - Légitimer de nouvelles pratiques vis à vis de ce bien public - Accréditer ces pratiques comme la rénovation de valeurs partagées La valorisation d’une action civique : à quelle échelle fait-on l’histoire ? Ce que Spinosa & al. (1997) nomment « history making » est constitutif de la valeur qualitative d’une action entrepreneuriale civique. Si l’on prend comme exemple, la création de la croix rouge, qui vise l’association d’un bien public (les camps d’urgence sur un lieu de guerre et les conventions de Genève qui les autorise) et d’une valeur civique (droits de l’homme universels), on constate que le changement historique est d’une grande ampleur. Cette possibilité d’intervention n’existait pas auparavant, et les modalités de la guerre ont été modifiées à l’échelle mondiale. Par ailleurs, il est possible qu’une action entrepreneuriale civique ne touche qu’une pratique sociale localisée, sans que la diffusion ne dépasse cette échelle. C’est le cas de la Westwalker Primary School présentée par Goldsmith (2010) où l’école, comme bien public, passe du statut classique d’école primaire, à celui d’un véritable « centre d’apprentissage familial », permettant à toute la communauté locale de renaître socialement et économiquement. Les instruments de l’action civique On pourra concevoir trois catégories d’instruments pour une action entrepreneuriale civique qui correspondent aux principales fonctions d’un collectif entrepreneurial civique. Tout d’abord le processus d’élaboration d’un choix social doit faire l’objet d’une démarche de concertation qui relève de la démocratie et du dialogue entre les parties prenantes. Il inclut l’identification de ces parties prenantes et l’ensemble des itérations au terme desquelles le périmètre du bien public sera circonscrit. Ensuite, l’institution de nouvelles pratiques qui feront l’effectivité de ce bien public, nécessite une ingénierie réglementaire plus ou moins élaborée, selon l’échelle de l’entreprise civique. Enfin, le plus complexe et le moins maitrisable des processus correspond à la légitimation de l’entreprise civique du point de vue des valeurs. La construction collective de valeurs civiques partagées par le collectif entrepreneurial est essentielle. Elle est coextensive de l’élaboration du choix social, et requiert la mise en perspective historique de l’action. S’accorder sur les valeurs auxquelles on accepte de faire référence n’est pas un simple exercice rhétorique. Il s’agit d’abord et surtout de s’appuyer sur les premières actions pour construire une narration qui fait sens, et concrétise ces valeurs à travers les gestes fondateurs d’une histoire partagée.

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