Prospection thématique n°125/2008

Les fortifications précoces en Rouergue septentrional Autorisations de sondages n°156/2008 et n°157/2008 (Conques, Aveyron)

Extrait du document Final de Synthèse

Laurent Fau Claude Cantournet Frédéric de Gournay Jean-Claude Fau Françoise Galès Jean-Christophe Molet Valérie Rousset Christian Servelle Daniel Quettier Frédéric Maksud

2008

ÉQUIPE DE RECHERCHE Histoire Frédéric de Gournay Jean-Christophe Molet Archéologie du Bâti Françoise Galès Valérie Rousset Histoire de l’Art Jean-Claude Fau Archéologie Claude Cantournet David Crescentini Laurent Fau Géomorphologie Christian Servelle Équipe de fouilles Relevé topographique et traitement informatique Frédéric Maksud, Daniel Quettier Prospection et relevés Émilie Thomas, Maïanh Tu Sondages archéologiques Évelyne Billaud, Claude Cantournet, David Crescentini, Claire Duqué, Élise Marie Leclere, Stéphanie Vila.

Bonnefille,

Période de la campagne : du 5 juillet au 27 juillet 2008.

Laboratoire de conservation et de restauration du mobilier : Laboratoire Materia Viva, rue Bernard Délicieux, 31200 Toulouse

Remerciements : Nous tenons à remercier la mairie de Conques qui nous a autorisé à pratiquer les sondages sur les sites du Castellou et de Roqueprive, propriétés de la commune. Nous remercions également Francis Dieulafait qui a réalisé l’étude numismatique.

LES FORTIFICATIONS PRÉCOCES EN ROUERGUE SEPTENTRIONAL CHAPITRE I.

LE CADRE DE L’ENQUÊTE (Laurent FAU)

I.1

Introduction

Les fortifications précoces, correspondant aux premiers châteaux privés qui apparaissent selon la documentation écrite à partir de la deuxième moitié du Xe siècle jusqu’au XIIe siècle, ont rarement fait l’objet de recherches approfondies dans notre région. Ces châteaux ne sont plus en élévation aujourd’hui et les textes faisant référence aux périodes concernées sont rares. Sur le plan archéologique, les sites sont fréquemment installés sur des reliefs naturels exposés aux intempéries qui, de ce fait, n’ont que très rarement conservé des niveaux stratigraphiques. Il apparaît donc logique que des vestiges archéologiques dont il ne subsiste aucune élévation, n’ayant généralement plus conservé de sédiments et dont les textes ne parlent pas n’aient pas attiré les chercheurs. Pourtant il existe de nombreuses fortifications dans le Sud-Ouest de la France, les pays de plaine conservent en particulier des levées de terre susceptibles de correspondre à des châteaux de l’An Mil1. Les secteurs où le relief est plus prononcé comportent également des sites, souvent juchés sur des zones de confluence où ils se sont implantés. Un récent inventaire archéologique réalisé dans les vallées du Tarn, de l’Aveyron et du Dadou dans le département du Tarn, a ainsi révélé un grand nombre de fortifications2. Le secteur du nord-ouest du Rouergue, situé plus précisément sur la rive droite du bassin versant de la haute vallée du Lot, a le privilège de renfermer également ce type de châteaux. Cette zone se trouvant sous l’influence plus ou moins directe de l’abbaye de Conques bénéficie d’une documentation écrite tout à fait exceptionnelle. Comme nous allons le voir, ce sont les historiens qui ont été les premiers, au début des années 80, à percevoir le potentiel historique mais surtout archéologique que pouvaient représenter ces fortifications3. Répondant ainsi aux vœux de Pierre Bonnassie un quart de siècle après son étude consacrée aux forteresses décrites dans le Livre des Miracles de Sainte Foy, une équipe de chercheurs s’est constituée, rassemblant historiens, archéologues, archéologues du bâti, géomorphologues et historiens de l’art. Cette équipe pluridisciplinaire engage une étude sur un sujet difficile comme nous l’avons dit, au travers d’une prospection thématique d’une dizaine de châteaux qui devrait se poursuivre par la fouille extensive d’un site afin d’appréhender au mieux ce type de fortification.

1

Faravel (S.), Sévègnes (L.), État de l’inventaire des ouvrages fortifiés de terre médiévaux de MidiPyrénées, Résidences aristocratiques, résidences du pouvoir entre Loire et Pyrénées, Xe-XVe siècles, actes du colloque de Pau 3-5 octobre 2002, Archéologie du Midi Médiéval, Supplément n°4, 2006, p.105-111. 2 Malet (L.), Mottes, roques et castelas. Recherche des sites fortifiés de l’An Mil dans le Nord et l’Est du Tarn et la frange aveyronnaise, Archéologie tarnaise n°13, 2006, p. 31-126. 3 Bonnassie (P.), Les descriptions de forteresses dans le livre des Miracles de Sainte Foy de Conques, Mélanges d’archéologie et d’histoire médiévales en l’honneur du doyen Michel de Boüard, Mémoires et documents publiés par la Société de l’École des Chartes, t. XXII, 1982, p.1726.

I.2

Présentation géographique et géologique

Le nord-ouest du département de l’Aveyron présente un paysage contrasté où se succèdent plateaux bocagers et vallées très encaissées et boisées. Il s’agit du, ou plutôt des Ségalas, constitués de roches métamorphiques : micaschistes et gneiss du socle cristallin du sud du Massif Central. Le socle est raboté, plus ou moins aplani, constituant une pénéplaine ondulée « d’altitude » grâce à sa résistance à l’érosion. Le réseau hydrographique des vallées, lors d’une reprise de l’érosion récente, a buriné des flancs abrupts voire des gorges qui sont dans le prolongement de la châtaigneraie cantalienne. Ce pays des « cent vallées » est né d’un réseau hydrographique en peigne comportant des plateaux vallonnés et des dorsales plus ou moins larges. Le Ségala est constitué de sols froids et acides, terre à « seigle » donc, s’opposant aux riches Causses voisins. Il faut attendre la fin du XIXe siècle et l’apport d’amendement calcaire pour que l’agriculture prenne un véritable essor. Les vallées, elles, accueillent vignes au sud et vergers de châtaigniers au nord, dans un contexte qui favorise l’habitat dispersé. Cet habitat présente une architecture traditionnelle mettant en œuvre le schiste (murs mais aussi toiture) et le bois de châtaignier (charpente ainsi que colombage). Les affleurements du socle sont interrompus au sud par une grande faille d’orientation estouest, « la faille du Kaymard ». L’une des fractures composant cet accident est soulignée par d’énormes venues de quartz sous la forme d’une brèche tectonique hypersillicifiée, elle est accompagnée de filons minéralisés en galène argentifère et en minerai de fer (hématite et magnétite) exploités de la période gauloise jusqu’au XIXe siècle. Des dépôts sédimentaires plus récents sont présents dans ce vaste plateau ancien du Ségala : grès, conglomérats à banc de galets de la série carbonifère et schistes du bassin houiller intercalés avec des filons de charbon (cf. carte géologique page suivante). Le réseau hydrographique relié à la vallée du Lot a donc façonné de nombreuses arêtes rocheuses entrecoupées de gorges et de défilés qui ont contribué à l’isolement de ce pays par compartimentage et où la circulation demeure difficile. Ce relief en creux comportant des dénivelés de plus de 400 m, a déterminé l’existence de promontoires escarpés aux confluences des vallées encaissées ainsi que dans les méandres de leurs parcours sinueux. Il offre ainsi des possibilités exceptionnelles de perchement pour les fortifications de quelque époque qu’elles soient.

Carte géologique du département de l’Aveyron

I.3

Historiographie

Le vaste département de l’Aveyron possède un grand nombre de fortifications. Plusieurs inventaires ont été réalisés depuis le début du XXe siècle, tour à tour le marquis de Valady4 puis Raymond Noël5 ont recensé les châteaux présents sur le sol rouergat. Le dernier en date, celui de Jacques Miquel6, consacré à l’architecture militaire du Rouergue et publié en 1981, étudie plusieurs centaines d’édifices. Malheureusement, ces inventaires ne font qu’effleurer la chronologie qui nous intéresse et se contentent de citer les premières mentions concernant les plus anciennes fortifications, faute de pouvoir étudier des structures encore en élévation. Si l’étude du bâti demeure limitée, il est tout de même important de souligner le travail de fond que l’Université de Toulouse-le-Mirail a entrepris à partir des années 1990 en initiant un inventaire archéologique de l’occupation du sol de la région par l’intermédiaire de diplômes de maîtrise. Notre secteur est largement étudié puisque les enquêtes couvrent quasiment l’ensemble du nord-ouest du Rouergue. Ainsi les cantons d’Aubin et de Decazeville ont fait l’objet d’un excellent travail de la part de Laurent Richard en 19957, c’est le cas également pour le canton d’Estaing réalisé par Thibault de Rouvray8 en 1997 ainsi que pour ceux de Mur-de-Barrez puis d’Entraygues par Lionel Lintilhac9 à partir de 1998. Nous nous sommes largement appuyés sur ce travail pour initier notre recherche. Enfin, les récentes interventions archéologiques sur les sites du Castelviel à Mouret10 ainsi que du Roc d’Anglars à Belcastel11ont également été prises en compte. Au plan national, l’inventaire initié par Jean-Marie Pesez dans les années 80 sur les fortifications de terre de l’An Mil a permis de progresser dans la discipline12. Certaines régions ont acquis de solides connaissances, à l’exemple du sud-est de la France qui fournit ces dernières années des enquêtes concernant les régions du Vivarais, des Baronnies et de la Provence13. Cette dernière étude menée par Daniel Mouton permet de se référer à une problématique très pertinente et sera sans aucun doute un précieux élément de référence pour notre travail14. En ce qui concerne le Sud-Ouest, le colloque de château Gaillard qui s’est tenu à Najac en 1988, avait permis à André Debord d’établir une brillante synthèse concernant la castellologie rouergate et d’appeler de ses vœux un rapprochement et un croisement des disciplines de terrain et de la documentation historique15. Une quinzaine d’années plus tard, les organisateurs du colloque de Pau, consacré à la castellologie du Sud-Ouest de la France, tiraient à nouveau la même conclusion et réitéraient les mêmes souhaits : seul un croisement des données permettrait de progresser notamment dans les inventaires et études des fortifications précoces16.

4

Valady (Marquis de), Les châteaux de l’ancien Rouergue, 3 volumes, Rodez et Millau, 1927-1961. Noël (R.), Dictionnaire des châteaux de l’Aveyron, 2 volumes, Rodez 1971-1980. 6 Miquel (J.), L’architecture militaire dans le Rouergue au Moyen Âge, 2 volumes, Rodez, 1981. 7 Richard (L.), Occupation du sol des cantons d’Aubin et de Decazeville, mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-Le-Mirail, 1995. 8 De Rouvray (T.), Occupation du sol du canton d’Estaing, mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-Le-Mirail, 1997. 9 Lintilhac (L.), Occupation du sol du canton de Mur de Barrez, mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-Le-Mirail, 1998. 10 Pousthomis-Dalle (N.), Pradalié (G.), Ferrand (G.), Mouret en Rouergue : un castrum, des châteaux, Résidences aristocratiques, résidences du pouvoir entre Loire et Pyrénées, Xe-XVe siècles, actes du colloque de Pau 3-5 octobre 2002, Archéologie du Midi Médiéval, Supplément n°4, 2006, p.307-324. 11 Stephant (P.), Le Roc d’Anglars à Colombies (12), Document Final de Synthèse, archives du SRA, DRAC Midi-Pyrénées, 2001. 12 Pesez (J.-M.), Approches méthodologiques d’un recensement général des fortifications de terre médiévales en France, Colloque international de château Gaillard, XII : actes du colloque de Oostduinkerke et Floreffe (Belgique), 1984, 1985, p. 79-80. 13 Laffont (P.-Y.), Atlas des châteaux du Vivarais, Documents d’Archéologie en Rhône-Alpes et en Auvergne n°25, Lyon 2004, 284 p. ; Estienne (M.-P.), Châteaux médiévaux dans les Baronnies, Documents d’Archéologie en Rhône-Alpes et en Auvergne n° 31, Lyon, 2008, 161 p. 14 Mouton (D.), Mottes castrales en Provence : les origines de la fortification privée au Moyen Âge, Paris, MSH, 2008, 148 p. 15 Debord (A.), Châteaux et société dans le Rouergue médiéval (Xe-XIIIe s.), Château-Gaillard, actes du 14° colloque international tenu à Najac, France, 29 août-3 septembre 1988, Caen, 1990, p.7-27. 5

16

Résidences aristocratiques, résidences du pouvoir entre Loire et Pyrénées, Xe-XVe siècles, actes du colloque de Pau 3-5 octobre 2002, Archéologie du Midi Médiéval, Supplément n°4, 2006, 469 p.

I.4

Problématique et méthodologie Un panel d’une dizaine de sites à recenser

I.4.1

La haute vallée du Lot et de ses affluents, de Capdenac à Entraygues, permet d’obtenir un cadre géographique cohérent dans lequel il a été possible d’échantillonner une dizaine de sites. Les sites sélectionnés sont intimement liés aux sources écrites. Compte tenu de la mauvaise conservation des vestiges, il nous paraissait important de pouvoir situer chronologiquement les fortifications étudiées, nous avons donc privilégié un panel d’une dizaine de sites documentés. Le cadre chronologique s’est ainsi imposé, dans la mesure où les textes mentionnent ces fortifications de la fin du Xe à la fin du XIe siècle. Inventaire des fortifications précoces dans le nord-ouest du Rouergue Site

Commune

1ère mention

Église

Bâtiment

Géologie

Le Fort

Aubin

961 (HGL)

Saint-Amans

oui

grès

Belfort

Almont-les-Junies

1030 (LMSF)

Cassagnes

Goutrens

1013 (LMSF)

Saint-Vincent

oui (CC)

calcaire

Le Castellou

Conques

1030 (LMSF)

Notre-Dame

oui

schiste

Entraygues

Entraygues

961 (HGL)

Saint-Georges?

La RoqueBouillac

Livinhac

1014

Saint-Pierre

oui (CC)

schiste

La Vinzelle

Grand-Vabre

1087 (Bonal-Rigal)

Saint-Clair

oui (CC)

schiste

Montarnal

Sénergues

1060

Saint-Jacques

oui (CC)

schiste

Roqueprive

Conques

1015 (LMSF)

Servières

Villecomtal

961 (HGL)

schiste

schiste

schiste Saint-Blaise

oui (CC)

schiste

(CC) : construction contemporaine LMSF : Livre des Miracles de Sainte Foy HGL : Histoire Générale du Languedoc (Testament du comte du Rouergue Raymond II) Bonal-Rigal: Don de l'évêque de Rodez Pons à Montsalvy

L’inventaire sous forme de fiches a permis d’initier un premier état des lieux concernant les critères d’implantation, la topographie ainsi que différents éléments architecturaux : éléments de fortification tel le fossé ou structures d’habitat, telle la cave. Nous avons réalisé des relevés topographiques d’ensemble ainsi que, dans la mesure du possible, les plans des fossés ou des caves de chaque site afin de pouvoir les comparer et appréhender leur potentiel archéologique. Une hiérarchisation des sites a été réalisée en fonction de leur potentiel archéologique : ainsi le site d’Entraygues n’a pas été retrouvé alors que ceux de Roqueprive ou de Belfort ont livré à la fois textes et vestiges dans un contexte où ils ne semblaient pas avoir perduré

1 Debord (A.), Châteaux et société dans le Rouergue médiéval (Xe-XIIIe s.), Château-Gaillard, actes du 14° colloque international tenu à Najac, France, 29 août-3 septembre 1988, Caen, 1990, p.7-27. 1 Résidences aristocratiques, résidences du pouvoir entre Loire et Pyrénées, Xe-XVe siècles, actes du colloque de Pau 3-5 octobre 2002, Archéologie du Midi Médiéval, Supplément n°4, 2006, 469 p.