L’origine du Solutréen, 40 ans après l’ouvrage de Ph. Smith Solutrean origin, 40 years after Ph. Smith’s book Janusz K. Kozlowski, Marcel Otte

Mots-clés :

Atérien, acculturation, Gravettien, origines du Solutréen, sécheresse.

Keywords:

Aterian, acculturation, Gravettien, Solutrean origins, drought.

Résumé :

Très limitée au sud-ouest européen, la culture solutréenne “ interrompt ” le rythme des traditions régionales. Les industries africaines, également concentrées (nord-ouest du continent), s’estompent apparemment lors de l’épisode aride, des deux côtés de Gibraltar. Ces contacts sont plus nets du côté espagnol (Parpalló) que du côté français (Rhône). Cependant, le “ Proto-Solutréen ” semble plutôt lié aux traditions du Gravettien septentrional (type Maisières) aux grandes lames appointées (Cirque de la Patrie). En France, ces deux composantes originelles restent d’abord séparées, elles y portent d’ailleurs des dénominations différentes (“ Solutréen moyen ” et “ Proto-Solutréen ”). L’art et les techniques les réuniront en une sorte de symbiose culturelle originale, exclusivement occidentale. Ces systèmes de valeurs s’effondreront pourtant rapidement avec le Badegoulien ou l’Ibéro-Maurusien. Toutefois, l’histoire de la recherche a fatalement accentué les différences, en oblitérant largement les traces d’émergence, tant en Afrique qu’en Europe.



Abstract:



Highly localized in southwest Europe, the Solutrean “interrupts” the rhythm of regional traditions. African industries, also concentrated (in the northwestern part of the continent), apparently become less visible during an arid episode, on both coasts of Gibraltar. These contacts are clearer on the Spanish coast (Parpalló) than on the French side (Rhône). However, the “Proto-Solutrean” seems rather to be linked to traditions of the northern Gravettian (Maisières type) with large pointed blades (Cirque de la Patrie). In France, these two original components first remained separate and were given two different names (“Middle Solutrean” and “Proto-Solutrean”). Art and technology reunite them in a sort of cultural symbiosis that is exclusively western. These value systems, however, rapidly collapsed with the appearance of the Badegoulian and the Ibero-Maurusian. Nevertheless, history of research has fatally accentuated the differences, largely obliterating evidence of origins, both in Africa and in Europe.

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Introduction

Dans son excellent ouvrage, Smith (1966) s’était heurté aux difficultés d’expliquer l’origine du Solutréen. Il avait néanmoins souligné trois circonstances importantes dans l’étude de cette question : 1. L’origine centre-européenne ou africaine semblait impossible puisque dans ce cas, les premières manifestations solutréennes auraient logiquement comporté les “ pointes foliacées bifaciales ” (Smith 1966 : 361). Dans le plus ancien Solutréen français (ProtoSolutréen ou Solutréen inférieur), ce sont des pointes à face plane et donc, d’après Smith, qu’il faut chercher “ une source différente pour l’origine de cette industrie ” (Smith 1966 : 361). 2. Smith a bien remarqué que dans plusieurs régions le Solutréen à pointes foliacées bifaciales apparaît sans une phase à pointes à face plane. Il s’agit de certaines régions de la France comme les Pyrénées, la

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Mayenne, la Charente, le Centre et surtout de la Péninsule Ibérique. Smith a traduit cette absence par “ une diffusion plus tardive du Solutréen dans ces régions ” (Smith 1996 : 361), et il a attribué cette diffusion au Solutréen moyen à feuilles de laurier. 3. La phase ancienne dite Proto-Solutréenne ou du Solutréen inférieur, connue dans un nombre limité de sites comme Laugerie-Haute, Badegoule et Trilobite, donne l’impression d’apparaître, d’après Smith, “ subitement sans ancêtres visibles, bien qu’un examen plus précis révèle que quelques géniteurs probables ne sont pas très éloignés ” (Smith 1996 : 362). En effet, ces trois constatations sont cruciales pour le problème de l’origine du Solutréen. Nous connaissons plusieurs régions dans le monde où les retouches bifaciales et les pointes foliacées apparaissent comme innovations indépendantes (par exemple au Paléolithique moyen, ou dans plusieurs régions d’Eurasie au Paléolithique supérieur initial), mais jamais nous

Fig. 1 : Évolution classique du Solutréen : en bas Proto-Solutréen à pointes à face plane, au centre Solutréen moyen à feuilles de laurier, en haut Solutréen récent à pointes à cran (d’après Smith 1966). Fig. 1: Solutrean evolution : bottom,- Proto-Solutrean with “face plane” points, middle - Solutrean with laurel leave, top - Upper Solutrean with shouldered point (After Smith 1966).

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n’avons observé une évolution qui conduise des pièces partiellement bifaciales aux pièces entièrement bifaciales, comme dans l’hypothèse classique concernant l’évolution du Solutréen (Fig. 1). Dans certains cas, il existe une succession inverse : après les pointes bifaciales apparaissent les pointes à face plane (par exemple dans le cas du complexe JerzmanowicienRanisien-Licombien – Kozlowski 1990, Flas 2005, Fig. 2-3). Il est donc peu probable que le Solutréen ait évolué à partir des industries à pointes à face plane vers les feuilles de laurier. Il existe un autre argument contre l’hypothèse de cette évolution Proto-Solutréen-Solutréen moyen. Le Proto-Solutréen/Solutréen inférieur à pointes à face plane en France est daté d’environ 20,8 Kyr BP (Laugerie-Haute Est couche 31h, Laugerie-Haute Ouest couche 12a, Baume d’Oulins niveau 6) par contre en Péninsule Ibérique les ensembles contenant les pièces

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entièrement bifaciales associées aux pointes qui évoquent les pointes à face plane sont datés entre 21,7 et 20,5 Kyr BP (Parpalló couche 7.2-6.2 m, Las Mallaetes niveau VI). Il est donc possible que l’origine des deux composantes techno-stylistiques du Solutréen soit différente : les pointes à face plane seraient une composante septentrionale et les pointes bifaciales, une composante qui apparaît plus tôt en Péninsule Ibérique, donc un phénomène d’origine plutôt méridionale. Notons que les pointes bifaciales du Solutréen français sont plus récentes qu’en Espagne (entre 19,5 et 17,9 Kyr BP- datations de Solutré, Laugerie-Haute et Salpêtrière, la seule date 20,5 Kyr provient du niveau i3 de La Salpêtrière). Pour expliquer l’origine du Solutréen, Ph. Smith avait rejeté les hypothèses d’origine extérieure, préférant l’origine indigène en France. Il a proposé deux hypothèses, malheureusement toutes deux non fon-

Fig. 2 : Évolution du Jerzmanowicien : séquence de la grotte Nietoperzowa à Jerzmanowice (Pologne) - de bas en haut couches 6, 5a et 4. Fig. 2: Jerzmanowician evolution : stratigraphical sequence of the Nietoperzowa cave at Jerzmanowice (Pologne), from level 6 to 4.

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Fig. 3 : Relation des pointes bifaciales aux pointes à face plane (pointes jerzmanowiciennes) dans les ensembles jerzmanowiciens (de gauche a droite : Mauern, Ranis-Ilsenhohle couche 2, Grotte Nietoperzowa à Jerzmanowice couche 6). Fig. 3: Relation between bifacial and “ face plane ” points (Jerzmanowician points) in Jerzmanowician series (from left to right : Mauern, Ranis-Ilsenhohle, level 2, Nietoperzowa cave at Jerzmanowice, level 6).

dées sur des filiations bien documentées : 1. L’hypothèse d’origine dans le Périgordien supérieur : Ph. Smith évoque la présence des retouches plates dans le Périgordien V (Fontirobertien), mais il voit en même temps des lacunes territoriales et chronologiques entre ce faciès périgordien et le Solutréen inférieur/Proto-Solutréen. Smith partage donc plutôt l’opinion de Bouysonnie selon laquelle la présence de retouches plates dans ces deux industries est le fruit d’une simple convergence (Smith 1966 : 357, Lalanne Bouysonnie 1941-1946 : 102). 2. Smith préfère plutôt l’ancienne hypothèse de Jorda Cerda (1955) selon laquelle l’Aurignacien pourrait être plutôt l’ancêtre du Solutréen, peut être avec une interaction du Moustérien. Cette hypothèse nous paraît encore moins fondée sur les séquences chronologiques et filiations taxonomiques.

Possibilités de l’origine septentrionale du Proto-Solutréen

Les études précédentes de Otte (1979, 1990), Kozłowski (1974, 1990) et de Flas (2001) ont contribué à démontrer une longue persistance des pointes laminaires partiellement bifaciales – qui ont remplacé les pointes foliacées bifaciales – dans les complexes septentrionaux du Paléolithique supérieur ancien, notamment dans les sites Lincombien-Ranisien-Jerzmanowicien. Ces complexes existent sur le territoire entre la Grande-Bretagne et la Pologne, le long de la frange septentrionale des plateaux avoisinant avec la Grande Plaine du Nord (Fig. 4). Dans la zone occidentale de cette extension, nous observons qu’autour de 28-27 Kyr BP, ces industries se transforment en soi-disant Maisiérien (terme intro-

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Fig. 4 : Industries à pointes foliacées dans la période entre 30 et 17 Kyr BP : A - sites du complexe Lincombien-Ranisien-Jerzmanowicien, B - sites du Proto-Solutréen septentrional à pointes à face plane, C - trouvailles isolées de pointes à face plane, D - sites du Solutréen à feuilles de laurier, E - aire du Szélétien, F - concentration de sites solutréens dans le Sud-ouest de la France. Fig. 4: Leaf point industries in the 30 to 17 Kyr BP interval, A- Lincombian-Ranisian-Jerzmanowician sites, B - northern Proto-Solutrean site with face plane points, C -isolated sites with face plane points, D - laurel leaves sites, E - Szeletian area, F - Solutrean southwesthern France sites cluster

duit par Campbell 1980) – industrie de Maisières-Canal – où les pointes laminaires unifaciales – genre de pointes à face plane (Fig. 5) – sont accompagnées de pointes pédonculées presque identiques aux pointes de la Font-Robert. Ces outils diagnostiques sont accompagnés de burins et de grattoirs, perçoirs, becs, troncatures. Il faut noter aussi la présence de quelques éléments archaïques, comme des racloirs (de Heinzelin 1974, Kozlowski 1974). Le débitage est essentiellement laminaire, basé sur des nucléus à deux plans de frappe opposés, mais il y a aussi des éléments plus archaïques dans la production d’éclats à partir de nucléus globuleux et centripètes (Otte 1979). Le phénomène du Maisiérien est connu dans d’autres sites belges (Spy) et britanniques (par exemple, la pièce pédonculée de Forty Acres Field Pit – Campbell 1977) et même du nord de la France. Dans ce dernier cas, une partie des matériaux du Cirque de la Patrie à Nemours a fourni des pointes pédonculées typiques du Maisierien (Schmider 1971, Otte 1979). Nous avons donc les preuves d’une extension des éléments maisiériens vers le nord de la France, ce qui rend probable la contribution de cette industrie dans l’origine du faciès à pointes pédonculées du Gravettien. Fig. 5 ci-contre : En haut, pointes à retouches plates de Maisières-Canal. En bas, pointes à face plane de LaugerieHaute Ouest (dessin Y. Paquay d’après Haesaerts, de Heinzelin 1974 : Fig. 25, Smith 1966 : Fig. 2). Fig.  5: Above, point with covering retouch from Maisières-Canal site. Bottom, face plane points from Laugerie-Haute Ouest (drawing Y.  Paquay after Haesaerts, Heinzelin 1974  : Fig.  25, Smith 1966 : Fig. 2)

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Fig. 6 : Pointes à face plane du faciès septentrional du Proto Solutréen : 1 - grotte des Fées, 2-7 - Trilobite (d’après B. Schmider). Fig. 6: Face plane points from northern Proto-Solutrean facies: 1 - grotte des Fées, 2-7 - Trilobite (after B. Schmider).

Fig. 7 : Pointes à face plane du faciès septentrional du Proto-Solutréen : 1-6 Trilobite, 7 - Saint Pierre des Elbeuf (d’après Ph. Smith) Fig.  7  : Face plane points from northern Proto-Solutrean facies. 1-6 Trilobite, 7 - Saint Pierre des Elbeuf (after Ph. Smith)

La présence dans le Maisiérien des pointes laminaires à retouches plates qui évoquent les pointes à face plane du Proto-Solutréen, surtout celui du Bassin parisien, et les liens phylétiques du Maisiérien avec le complexe Lincomben-Ranisien-Jerzmanowicien, nous conduisent à réexaminer la question du rôle de cette tradition septentrionale dans l’origine du ProtoSolutréen. Cette hypothèse pourrait se baser sur les arguments géographiques et techno-morphologiques, mais il reste la question chronologique. Comme nous l’avons déjà souligné, les plus anciennes pièces à face plane sont datées en Aquitaine vers 20,8 Kyr BP, il subsiste donc un hiatus chronologique entre le Maisiérien et le Proto-Solutréen d’environ 6 Kyr. Néanmoins il y a d’autres arguments qui pourront diminuer ce hiatus : 1. Nous ne connaissons pas l’âge exact de la couche 4, éboulis avec argile jaune, de la grotte du Trilobite (Parat 1902). La seule indication chrono-stratigraphique est le fait que cette couche est intercalée entre les deux argiles rougeâtres contenant le Gravettien (couche 5) et le Magdalénien (couche 3). En outre, nous n’avons pas de preuves d’une homogénéité de l’inventaire de la couche 4, il est possible qu’il s’agisse partiellement de mélanges avec la couche 3 (surtout pour les sagaies en os). L’industrie proto-solutréenne

de la couche 4 est riche (environ 15 %) en pointes à face plane avec retouche dorsale complète ou presque complète (Schmider 1990), très proches de pointes maisiériennes. En même temps, il y a des pièces à retouche dorsale partielle distale et basale (Fig. 6-7). Les supports de ces pièces sont des lames détachées de nucléus à deux plans de frappe, dominant à MaisièresCanal. Il s’agit de débitage avec percuteur tendre avec abrasion de la corniche. Les outils communs sont semblables : grattoirs et burins sur troncature retouchée. Les outils à dos sont rares, tout comme à Maisières-Canal. Nous ne connaissons pas non plus l’âge d’un autre site important du Solutréen septentrional, celui de Saint-Cyr (Yonne), qui a fourni une dizaine de pointes à face plane dont la forme est plus proche de celles de Laugerie-Haute, mais dont le débitage est toujours, comme au Trilobite, basé sur des nucléus à deux plans de frappe opposés avec crêtes postéro-latérales, réalisées au percuteur tendre (Bodu ce volume). 2. Comme B. Schmider l’a bien remarqué (Schmider 1990 : 328), la couche IV de la grotte du Renne (Leroi-Gourhan, Leroi-Gourhan 1964 : 59) pourrait éventuellement être proche de l’industrie du Trilobite avec les éléments proto-solutréens, mais chargée d’une plus forte tradition gravettienne. Dans ce cas, il serait pos-

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Fig. 8 : Les datations radiométriques des couches de la grotte Nietoperzowa à Jerzmanowice et de la grotte Mamutowa à Wierzchowie (Pologne). Fig. 8: Radiometric dates from the Nietoperzowa cave at Jerzmanowice and Mamutowa cave at Wierzchowie (Pologne).

sible que dans l’origine du Proto-Solutréen, la tradition septentrionale maisiérienne et les éléments locaux gravettiens aient joué tous deux un rôle. 3. Notons aussi la présence de pointes à face plane au site de Huccorgne, en Belgique, daté de 23-24 Kyr BP, dans un contexte gravettien. Ce site pourrait représenter un relais entre le Maisiérien et le Proto-solutréen septentrional. 4. Il existe encore une autre possibilité. Dans la zone orientale de l’aire de distribution du complexe Lincombien-Ranisien-Jerzmanowicien, les éléments de cette tradition ont probablement persisté plus longtemps que le Maisiérien à l’ouest de la Plaine : il s’agit d’une industrie où les pièces bifaciales disparaissent complètement, remplacées uniquement par des pièces à retouches partielles dorsales et ventrales sur les longues lames détachées de nucléus à deux plans de frappe (Kozlowski, Kozlowski 1977, Pl. 23), accompagnées de lames retouchées, burins et d’une pièce à dos. Cette industrie est connue dans la couche loessique 4 de la grotte Nietoperzowa qui a obtenu récemment plusieurs

datations entre 21,5 et 20,5 Kyr BP (Gd-9699, 9706, 9716, 9720, 10572). Ces datations pourront indiquer que les éléments du complexe septentrional à pointes laminaires à face plane ont existé jusqu’au début du LGM (Fig. 8). Il est donc possible que les derniers héritiers de la tradition du Lincombien-Ranisien-Jerzmanowicien aient quitté la frange méridionale de la Plaine seulement autour de 21 Kyr, donc avec l’avènement du maximum du Pléniglaciaire. Cette hypothèse explique seulement l’origine du Proto-Solutréen, surtout de son faciès septentrional, mais pas l’origine du Solutréen à feuilles bifaciales. Il n’est pas impossible que l’origine des pointes unifaciales qui apparaissent dans le Solutréen inférieur de la partie occidentale de la Péninsule Ibérique (connues comme pointes de Vale Comprido – Zilhão 1990 : 494, Zilhão, Aubry 1995) soient l’héritage d’une autre tradition gravettienne, tenant compte des supports totalement différents de ceux de la zone septentrionale et d’une discontinuité territoriale.

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Fig. 9 : Comparaison entre les pointes foliacées de Mugharet el Aliya, Tanger, en haut, et du Parpalló, en bas (dessins Y. Paquay, d’après Howe 1967 : Fig. 51, 60). Fig.  9: Comparison between leaf points from Mugharet el Aliya, Tanger, top of the figure, and Parpalló, bottom, (drawing Y. Paquay, after Howe 1967: Fig. 51, 60).

Composante méditerranéenne

Pour le Solutréen à feuilles de laurier bifaciales, il faut chercher encore une autre origine. À la grotte d’El Alya près de Tanger, Bruce Howe (1967 : 170) avait déjà pressenti l’influence de l’Atérien supérieur sur le Solutréen moyen, comme nous avons eu l’occasion de le confirmer ensuite (Otte et al. 2004, Otte, Noiret 2002). Ces comparaisons portent sur l’ensemble de la technologie car, comme en Espagne, les pointes peuvent être aussi bien foliacées que pédonculées dans les ensembles du Maroc (Fig. 9, 10). Plusieurs auteurs espagnols et français ont soutenu cette théorie, soit en soulignant l’ancienneté du stade “ moyen ” au Parpalló (c’est-à-dire dans cette phase où subsistent des éléments Levallois, des deux côtés, Pericot 1942, Tiffagom 2006), soit en apportant des dates C14 pour l’Atérien, compatibles avec ce stade (Debénath 2000). Actuellement, les dates les plus “ classiques ” s’étalent entre 40 et 20.000 ans pour l’Atérien supérieur (Debénath 2002, Mikdad, Eiwanger 2000), bien que la phase ancienne soit par ailleurs attestée dès 82.000 ans (Bouzzouggar et al. 2007). Curieusement, elles ne furent guère sui-

Fig. 10 : Comparaison entre les pointes pédonculées de Mugharet el Aliya, en haut, et du Parpalló, en bas (dessins Y. Paquay d’après Howe 1967 : Fig. 55, 63). Fig.  10: Comparison between leaf points from Mugharet el Aliya, Tanger, top of the figure, and Parpalló, bottom, (drawing Y. Paquay, after Howe 1967, Fig. 55, 60).

vies d’effet, probablement parce que le Solutréen est un phénomène composite et qu’il ne peut être perçu si l’on conserve l’acception ancienne globale, un peu comme on parlait “ d’Aurignacien ” jadis sans le distinguer du “ Périgordien ”. La convergence des deux processus est pourtant claire : celui issu du nord-ouest, aux lames appointées dérivant du Gravettien, et celui aux pointes foliacées bifaciales, issues du Maghreb et de l’Atérien final. Celui-ci, d’ailleurs, n’existera plus en Afrique après cette phase la plus rigoureuse et la plus sèche. Les conditions paléogéographiques de l’Afrique du nord furent si sèches qu’apparemment, les derniers Atériens ont quitté ces régions, soit vers le sud en zone boisée ou en altitude, soit vers l’Europe du Sud-ouest où se maintenait une couverture végétale suffisante. L’abaissement du niveau marin a par ailleurs

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Fig. 11 : Passages marins réduits, d’île en île, lors des abaissements successifs du niveau des eaux (dessins L. Remacle d’après P. François). Fig.  11: Island passages during oceanic recession phases (drawing L. Remacle after P. François).

favorisé ces déplacements, car un chapelet d’îles reliait alors les deux continents (Fig. 11). L’origine composite du Solutréen semble à présent la plus vraisemblable, à la fois sur les plans techniques et par effet de convergences des populations : celles du Maghreb s’étiolent dans la phase la plus sèche, et celles d’Europe migrent vers le sud-ouest pendant la phase la plus froide. Probablement, ces deux tendances fusionnent-elles car le Solutréen supérieur semble bien homogène. Cependant, en parallèle devaient se poursuivre d’autres traditions qui, bientôt, donneront lieu aux différentes formes de Magdalénien.

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GALLO SELVA Sylvain 5 18631 ** 1270 3 5 1 9 4 5. DE MONTFUMAT Olivier 1 13018 ** 1020 4 9 2 7 6. GOUJON Fabrice 1 40559 * 860 5 14 5 11 22 4.

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