Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie "Ce sont les hommes qui font l'histoire, mais ils ne savent pas l'histoire qu'ils font" Karl Marx (1818-1883)

I – Brève histoire de la pensée économique 1/ L’Antiquité : Si on accepte la définition d’Alfred Marshall selon laquelle " l’économie n’est rien d’autre que l’étude de l’humanité dans la conduite de sa vie quotidienne ", il est évidemment arbitraire de faire débuter l’histoire de l’économie à l’antiquité, dans la mesure où les comportements de production, de consommation, d’échanges, et même d’innovation (agriculture, travail des métaux, etc.) sont bien antérieurs à cette période. On doit donc admettre que ces comportements sont apparus, puis se sont progressivement développés à l’intérieur (puis diffusés à l’extérieur) de ces (micro)sociétés dès leur origine, et donc bien avant l’antiquité. En fait, le point de départ retenu ici pour définir l'économie ne se justifie que par le seul fait que le terme économie semble apparaître pour la première fois dans la Grèce antique. Etymologiquement, le terme économie vient du grec « oikonomia », (oikos : maison, nomos : ordre ou règle). Les grecs utilisaient donc ce terme mais dans un sens très différent du nôtre, puisque l’économie était conçue essentiellement comme la manière d’administrer (gérer) une maison ou un domaine. Cela s’explique par le fait que les rapports marchands étaient à l’époque beaucoup moins développés, et que ces grands domaines étaient largement autarciques. Du point de vue des auteurs qui – les premiers - semblent s’être intéressés à cette question, on peut évoquer un auteur grec célèbre durant l’Antiquité, Xénophon (élève de Socrate, vers 428-355 avant JC) : c’est sans doute le premier à avoir développé quatre cents ans avant Jésus Christ une réflexion sur un sujet économique dans des écrits, en particulier dans « l’Oeconomique » (il s’agissait justement de réflexions portant sur la gestion d'un domaine). Il faut dire que ce thème de l’art d’administrer un domaine l’intéressait particulièrement puisque Xénophon, philosophe, écrivain et guerrier émérite, était aussi un riche propriétaire terrien. Le texte de Xénophon reste une exception car pendant l’antiquité, la réflexion économique n’est pas dissociée de la politique, de l’éthique ou plus largement de la philosophie. Pour Aristote, la philosophie est en effet la science la plus élevée, toutes les autres (donc l’économie) lui étant subordonnées. Platon (428-348 avant JC), dans « La République », est le premier à promouvoir le communisme comme un système idéal qui favorise l’unité de la cité, là où la propriété privée « la divise et en fait plusieurs ». Cette cité idéale est cependant purement conceptuelle, aristocratique et élitiste (5040 citoyens). Aristote (384-322 avant JC), élève de Platon, ne croit pas à l’idéal communiste de son maître : « Ce qui appartient à tout le monde n’appartient à personne ». S’il condamne également la richesse pour la richesse, dans « Politique », il se fait le défenseur de l’économie de marché et de la propriété privée. Ces idées seront en partie reprises par les philosophes islamiques du 7ème siècle puis par Thomas d’Aquin au 13ème siècle. Il semble qu’Aristote soit également le premier à définir les 3 fonctions de la monnaie, ainsi que les concepts de valeur d’usage et de valeur d’échange. Pour les sociétés gréco-romaines l’activité économique est donc relativement secondaire, pour ne pas dire méprisable. Pour les élites, seules comptent les activités sociales (politique, droit) et de l’esprit (philosophie, poésie, musique), ainsi que l’organisation militaire et l’art de la guerre. Les activités économiques proprement dites sont largement réservées aux esclaves, de plus en plus nombreux en tant que prisonniers de guerre (environ 600.000 en Italie en 225 avant JC sur une population totale estimée à 4 millions). Contrairement à la révolution néolithique (entre –12000 et –8000) qui a donné naissance à l’agriculture, la métallurgie, le tissage, la céramique, etc. les technologies évoluent peu sous l’antiquité1, et selon l’historien des techniques J.Mokyr, de –500 à +500, la vie économique aurait été assez pauvre. En dépit de la réalisation de grands ouvrages (aqueducs), le modèle économique de l’antiquité est peu productiviste et peu innovant, compte tenu d’un manque d’accumulation du capital (lié notamment aux guerres et à l’esclavage), et d’une économie davantage orientée vers les échanges (c'est d’ailleurs pour les faciliter que l’on attribue généralement aux Phéniciens l’invention de la monnaie au VIIe siècle avant J-C2). L'empereur Vespasien (de 69 à 79 après J-C) aurait même pris un édit interdisant le progrès technique afin de préserver les équilibres économiques et sociaux. 1 2

En dehors de certains domaines comme l’ingénierie Des fouilles ont cependant montré que des unités de compte existaient déjà dans les temps préhistoriques

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

1

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie 2/ Le Moyen-âge Pendant le Moyen Âge, l'économie fait partie de la théologie et de la morale, et elle reste très largement subordonnée à cette dernière, dans le sens où l’accumulation de richesses (or, argent) est mal considérée par l’idéologie chrétienne alors dominante : interdiction du prêt à intérêt3 contraire à la charité, méfiance du commerce et des commerçants (en particulier les juifs), etc. Cela fait qu’à cette époque, il y a peu d’écrits et de doctrine purement économique et pas d’analyse scientifique en économie, car le lien à la religion est trop prégnant. Les choses vont commencer à évoluer un peu avec le mouvement scolastique4 qui vise à rapprocher et à réconcilier la philosophie antique et la théologie chrétienne. Ce mouvement est notamment initié par Thomas d'Aquin (v 12241274) qui traite dans ses ouvrages de la question de la propriété, du commerce et de l'usure. Pour la première fois, un mouvement s’affranchit quelque peu de la morale et cherche à expliquer les choses plutôt qu’à les moraliser. Thomas d’Aquin opère ainsi une séparation entre la morale et la raison (il sépare le domaine des vérités de la raison du domaine des vérités de la foi). Cette tentative de réconciliation est cependant soumise à la hiérarchie de la pensée chrétienne et de la foi : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas » (St Thomas d’Aquin5). La propriété semble juste à Thomas d'Aquin : Puisque l’homme a été fait à l’image de Dieu, il est logique et légitime qu’il puisse s’approprier les biens matériels, pourvu qu’il ne cherche pas à les altérer. Il légitime donc la propriété privée (comme Aristote), en invoquant les raisons suivantes : 1° Les biens ont été créés par Dieu pour être utiles à toute l’humanité. Le propriétaire n’est qu’un administrateur pour le compte de la communauté ; 2° L'homme est plus attentif à ce qui lui appartient en propre qu'à ce qui est commun (comme Aristote), la gestion d'un bien est donc mieux assurée quand une personne s'en voit confier l'administration6. La propriété stimule donc le travail ; 2° La propriété privée garantit la paix. L'échange et le commerce apparaissent également légitimes à saint Thomas. Toutes les formes de commerce ne sont pas à ses yeux nécessairement malhonnêtes (exemple : nourrir sa famille). Il élabore également une théorie du "juste prix". La valeur doit inclure le coût du travail. Le gain recherché par le commerçant n’est donc pas à envisager comme une fin en soi, mais comme la juste récompense du travail accompli (le salaire doit permettre à l’homme - y compris au commerçant - de vivre décemment). De ce point de vue, St Thomas anticipe (de six siècles) les théories économiques modernes, et notamment la théorie de la valeur travail des économistes classiques (Ricardo et Marx notamment). Si pour Aristote le travail, et plus particulièrement le travail manuel, est indigne du citoyen (ce sont les esclaves qui s'en chargent), Thomas d'Aquin affirme au contraire (et conformément au message de l'Evangile) que le travail est une activité naturelle de l'homme libre. Jésus, qui était menuisier, s'est entouré de douze disciples qui étaient des travailleurs manuels. C'est l'esclavage qui est anormal et condamnable. En lien avec la "Somme théologique" de Saint Thomas d'Aquin, l'Eglise va une nouvelle fois proclamer en 1981 (Jean-Paul II) la primauté du travail sur le capital. Enfin, concernant l'usure (taux d’intérêt considéré comme abusif) St Thomas ne rejette pas le prêt à intérêt, en séparant toutefois morale et droit. C’est parce que les hommes sont imparfaits que les lois humaines ont prévu l’usure, afin de réprimer les pêchés en appliquant des peines (distinction lois humaines – loi de Dieu). Il doit cependant rester l’exception, car l’intérêt, selon St Thomas d’Aquin, peut être considéré comme le prix du temps, or le temps n’appartient qu’à Dieu. Thomas d'Aquin : Ce docteur scolastique a développé des considérations sur la fixation du prix et la nature de la monnaie héritées en partie d’Aristote. Mais c'était dans une perspective à la fois morale et pratique, destinée à aider les confesseurs à trancher les cas de fraudes liées aux activités marchandes. Héritage d’une société médiévale fondée sur un ordre hiérarchique éternel voulu par Dieu, son oeuvre ne comporte aucune considération sur l'histoire économique.

3

« Aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour » : Saint Luc 4 La scolastique (du mot école = scola) est un mouvement philosophique et théologique du Moyen Âge qui s'efforçait d'utiliser la raison naturelle, en particulier la philosophie et la science d'Aristote, pour comprendre la dimension surnaturelle de la révélation chrétienne. 5 Il sera canonisé en 1323 6 Cette idée sera reprise plus tard par Adam Smith

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

2

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie 3/ La Renaissance A l’idéal de modération du moyen âge succède la recherche de la richesse pour la richesse. Dès le XVe siècle, de grandes familles de banquiers (Médicis en Italie) participent activement au financement des entreprises et des expéditions des princes et des marchands. Les grandes aventures maritimes, impulsées par les princes, ouvrent l’espace et débouchent sur l’or du nouveau monde. De nouvelles innovations rendent désormais ces expéditions lointaines possibles : astrolabe7, gouvernail d’étambot, caravelle, etc. En 1487, le portugais Bartolomeo Diaz franchit le cap de bonne espérance ; en 1492 Christophe Colomb, à la recherche des épices de l’Inde, découvre sans le savoir l’Amérique ; de 1519 à 1522, Magellan réalise le premier tour du monde, prouvant ainsi la rotondité de la terre, etc. De nouveaux documents comptables font également leur apparition : lettre de change, prime d’assurance, comptabilité en partie double, etc. Potosi (aujourd'hui en Bolivie) est une ville fondée en 1545 pour exploiter la mine proche (Cerro Rico). Durant près d'un siècle, l'Europe va énormément s'enrichir grâce aux richesses accumulées par l'État espagnol : l'argent extrait de la montagne dans des quantités colossales alimente les caisses de la couronne espagnole qui le dilapidera à son tour en faste et en dépenses de luxe au profit des artisans européens au détriment de la production locale. Paradoxalement l'Espagne sortit ruinée des dépenses fastueuses de la monarchie des Habsbourg, tandis que les conditions dans le reste de l'Europe furent propices au développement industriel. Colbert écrit à cette époque : « Plus un État fait de commerce avec l'Espagne, plus il possède d'argent ». Selon la légende, la quantité d'argent extraite des mines de Potosi aurait suffi à construire un pont au-dessus de l'Atlantique pour relier Potosì à l'Espagne, mais les ossements de mineurs morts dans des accidents y auraient peut-être également suffi (6 millions d'indiens y seraient morts pendant les 3 siècles d'exploitation). A partir du XVIe siècle, apparaîtront des écrits économiques de plus en plus nombreux qui seront rassemblés ultérieurement et qualifiés (de manière péjorative) de mercantilistes8. L’économie en tant que telle devient un objet d’étude, sur fond de compétition croissante entre les Etats (Portugal, Espagne, Italie, Provinces Unies, France9, etc.). La richesse apparaît comme un moyen légitime de développer le pouvoir du Souverain, en rupture avec la pensée dominante du Moyen-Age. L’économie devient politique. Dans un premier temps, les représentations de l'activité économique restent cependant partielles et se limitent à l’étude de certains éléments en particulier, comme l’agriculture, la monnaie ou les prix. Il n’y a donc pas encore d’analyse globale, systémique. Les mercantilistes (XVIe et XVIIe siècles) : Ce courant de pensée a développé une analyse de l'économie en se demandant comment elle pouvait contribuer à assurer et pérenniser la puissance d'un royaume. Ses représentants encouragent la production manufacturière pour limiter les importations, synonymes de fuite de métaux précieux, tout en s'attachant à mettre en garde contre les risques inflationnistes. A leur suite, des praticiens comme William Petty (1623-1687) en Angleterre ; Antoine de Montchrestien (1576-1621), Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) Vauban (1633-1707) et Boisguilbert (1646-1714) en France, conseillers ou représentants du pouvoir monarchique, jettent les bases d'une comptabilité nationale. L'ordre social et politique de l'Ancien Régime, auparavant justifié par la volonté divine, et donc par nature a-historique, commence à l'être par une argumentation économique. Les premières représentations d'ensemble des phénomènes économiques ne verront le jour qu'au XVIIe siècle. L’économie est désormais au service du prince et doit favoriser son enrichissement. Selon Antoine de Montchrestien à qui l’on doit le terme d’économie politique : « Ceux qui sont appelés au gouvernement des États doivent en avoir la gloire, l'augmentation et l'enrichissement pour leur principal but ». Dans son traité d'Oeconomie10 politique (1615) dédié à Louis XIII et à la reine mère, il ajoute que l'enrichissement est une fin en soi : « Le bonheur des hommes consiste principalement en la richesse ». Cette thèse est déjà en germe chez les premiers théoriciens du protestantisme, convaincus que la dignité du travail découle du fait que le travail de l’homme s’inscrit dans le prolongement du travail que Dieu entreprend dans le monde pour l’entretien de ses « créatures ». Pour Luther 7

Instrument d'astronomie qui permet de mesurer la hauteur d'une étoile pour déterminer la latitude d'un lieu En 1908, l’historien Auguste Dubois définit le mercantilisme comme « la théorie de l’enrichissement par l’accumulation de métaux précieux » 9 er Jacques Cartier prend possession du Canada en 1534 au nom de François 1 10 ère 1 utilisation du terme économie (1615) 8

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

3

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie (1483-1546) et Calvin (1509-1564), grâce à son travail, l’homme se fait “collaborateur de Dieu”. Cette nouvelle doctrine influencera fortement le regard porté sur l’économie, et sera ensuite largement reprise par les économistes classiques et libéraux anglais et français11. En 1905, le sociologue allemand Max Weber (1864-1920) a montré, dans un essai célèbre, L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, que le capitalisme a pu naître et se développer en s'appuyant sur les vertus individuelles prônées par Calvin et les protestants. Il explique le formidable développement du capitalisme à partir du milieu du XVIIIe siècle, par le développement parallèle de l'ethos12 protestante et puritaine. En effet, Weber explique que la Réforme a permis à ses adeptes de faire sauter le tabou du travail (considéré comme avilissant chez les catholiques et aliénant chez les marxistes), en invitant les croyants à faire pénitence devant Dieu par le travail, en accumulant les richesses sans toutefois chercher à en jouir de manière ostentatoire. L'angoisse du calviniste ("Suis-je destiné à aller au paradis ?") peut être dissipée par la réussite économique, signe d'élection divine. Mais cette réussite ne peut résulter que d'actions morales, d'une vie ascétique et austère. Autrement dit, les calvinistes sont incités à réussir, mais pas à consommer les fruits de leur labeur, ce qui est (évidemment) favorable à l'accumulation.

4/ Le 18èmesiècle ou la naissance du libéralisme et de l’économie en tant que discipline autonome A la mort de Louis XIV en 1715, la France est un pays ruiné par les guerres et les dépenses fastueuses du « Roi soleil », et dans lequel le peuple vit misérablement. François Quesnay (1694-1774), à l’origine médecin du roi Louis XV, conscient de cette réalité, inscrivit en tête de son célèbre tableau économique publié en 1758 : « Pauvres paysans, pauvre royaume ! Pauvre royaume, pauvre roi ! ». Il place donc l’agriculture au centre de ses préoccupations et de son tableau économique, qui peut être considéré comme la première véritable tentative de modélisation de l’économie. Sous son influence, l’économie poursuit son processus de sécularisation entamé sous la renaissance, en devenant une discipline autonome. Les lois économiques qui sous-tendent ce courant de pensée restent néanmoins fondées sur l’équilibre et régies par des lois naturelles, qu’elles soient physiques ou morales. Disciple de Quesnay, Dupont de Nemours13 (1739-1817) définira la physiocratie14 en 1768 comme « la science de l’ordre naturel », et l’ordre naturel comme «la constitution physique que Dieu lui même a donné à l’univers ». La sécularisation n’est donc pas totale, et l’économie des physiocrates reste fortement inspirée par la religion. Cette vision cosmique de l’univers fondée sur l’équilibre et la nature deviendra un des paradigmes centraux des économistes libéraux, et les physiocrates peuvent être considérés à ce titre comme les précurseurs du libéralisme. Les physiocrates (XVIIIe siècle) : Selon les physiocrates, seule l'agriculture est productrice de richesses, les artisans et commerçants ne faisant que la faire circuler. Ces auteurs contribuent cependant, avec François Quesnay, à constituer les questions économiques en un champ autonome. Ils suggèrent l'existence d'une dynamique économique spécifique. Le premier à avoir adopté une démarche véritablement scientifique à l’étude des phénomènes économiques est Adam Smith, dans son ouvrage fondateur de 1776, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Si Adam Smith n’a évidemment pas inventé l’économie, il est considéré comme le père de l’économie moderne. Dans la « Richesse des nations », Smith décrit et analyse la réalité, puis propose des généralisations susceptibles d’être vérifiées ou infirmées. A l’instar de ses amis écossais : James Watt et David Hume15, et français : Voltaire, Quesnay et Turgot, Adam Smith a foi dans le progrès et dans la liberté. Pour lui et l’école classique dont il sera le fondateur, l’économie est indissociable du libéralisme. Sa pensée semble cependant avoir évolué entre ses 2 ouvrages majeurs : La théorie des sentiments moraux (1759) et la richesse des nations. Le premier semble fonder le lien social sur la sympathie, le second est souvent (et à tort) réduit à l’égoïsme individuel (main invisible, parabole du boucher). 11

«Enrichissez-vous par le travail, par l'épargne et la probité» Guizot (1787-1874) Manière d'être, caractère 13 Il émigra avec sa famille aux Etats-Unis en 1799 14 physio=nature, cratie=pouvoir : Physiocratie = Gouvernement de la nature 15 Philosophe, économiste écossais (1711-1776) 12

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

4

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie Que signifie ce terme usuellement utilisé en économie de « libéralisme » ? Il importe de dissocier les 2 sens du mot : - Le libéralisme peut d’abord avoir un sens politique : Il s’agit alors d’une doctrine politique prônant la liberté individuelle. Elle repose sur l’égalité civile entre citoyens, et revendique certaines libertés publiques (d’association, de réunion, de religion, d’expression, etc.). Libéralisme ne signifie cependant pas anarchie : il nécessite une organisation de la société et des règles susceptibles de garantir ces libertés individuelles (il repose en particulier sur 2 principes fondamentaux : les principes de liberté et d’égalité consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » (art. 1er) et « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art. 4)) - Le libéralisme peut également avoir un sens plus économique : il s’agit alors d’une doctrine proposant une organisation de la société également fondée sur les libertés économiques (libre concurrence, liberté du travail, libre circulation des biens et des capitaux, etc.), la propriété privée, et la régulation par le marché. Remarque : Dans les faits, économie de marché et démocratie politique sont le plus souvent associées. Il y a cependant des contrexemples, comme La Chine aujourd'hui. Cette vision résolument optimiste et idéalisée de la société incarnée par la célèbre métaphore de la « main invisible » va cependant buter sur la réalité sociale très dure de la révolution industrielle, ce qui va nourrir à partir de la seconde moitié du 19ème siècle une pensée critique à l’opposé de celle de Smith, et que développera en particulier Marx (1818-1883) d'abord dans son manifeste du parti communiste16 (1848), puis dans son œuvre majeure : Le Capital (à partir de 1867). Pour Lénine (1870-1924), « cet ouvrage expose avec une clarté et une vigueur remarquables la nouvelle conception du monde, la théorie de la lutte des classes et du rôle révolutionnaire dévolu dans l'histoire mondiale au prolétariat, créateur d'une société nouvelle, la société communiste ». Adam Smith : Témoin de la révolution industrielle, l'auteur de La richesse des nations (1776) s'emploie à mettre au jour les causes de l'enrichissement (on dirait aujourd'hui la croissance), en n'hésitant pas à remonter jusqu'à l'Antiquité. Il développe ses idées à partir d'exemples concrets, comme la fameuse fabrique d'épingles, et de rappels historiques. Celui qu'on considère comme le père du "laisser-faire" en économie, était pourtant guidé en priorité par des considérations morales, comme en témoigne son autre ouvrage majeur, mais oublié : la Théorie des sentiments moraux (1759). David Ricardo : Bien qu'elle soit considérée comme un pas vers l'abstraction, l’œuvre de ce financier anglais, partisan du libre-échange, se veut une réponse aux perturbations de son temps : la guerre avec la France, qui déstabilise la monnaie et rompt les échanges, la mécanisation accélérée, qui crée du chômage et tend à comprimer les salaires après la fin de la guerre. Sa théorie de la compensation, suivant laquelle la maind’œuvre libérée par la mécanisation trouve à s'employer ailleurs, contribue à dissocier la dynamique économique liée au progrès technique de ses conséquences sociales. Karl Marx : Le socialisme de Marx est une doctrine d’organisation sociale qui entend faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers, au moyen d’une organisation concertée et collective, dans un souci de progrès social. Chez Marx, le socialisme n’est qu’une phase transitoire entre le capitalisme (système économique fondé sur l’accumulation du capital et sur le fait que les salariés ne possèdent pas le capital qu’ils utilisent) et le communisme, qui prône entre autres choses la disparition de l’état et de la monnaie, ainsi que l’appropriation collective des biens de production. C’est la fin de l’histoire.

5/ La Révolution néoclassique (marginaliste) de la fin du 19ème siècle A la fin du XIXème siècle et au début du XXème, les néoclassiques (Léon Walras, Carl Menger, Stanley Jevons, etc.) reprennent et systématisent la démarche scientifique initiée par les classiques. Sous leur impulsion, l’économie devient une discipline abstraite centrée sur l’individu (approche microéconomique), et calquée sur les sciences exactes comme la physique de Newton (1642-1727), les derniers développements des mathématiques (calcul marginal), les sciences de l’ingénieur (Jules Dupuit, 1804-1866). La modélisation mathématique devient l’outil privilégié de la discipline, et veut démontrer qu’un équilibre spontané est possible, afin de confirmer scientifiquement l’intuition d’Adam Smith. Comme les classiques, et en dépit de certaines découvertes et 16

écrit en collaboration avec Friedrich Engels

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

5

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie innovations majeures (la thermodynamique notamment), les néoclassiques restent attachés à une conception « horlogère » du monde fondée sur l’équilibre et la conservation. Ainsi, pour Walras, L’économie est comme l’astronomie, la mécanique, une science à la fois expérimentale et rationnelle. L’économie politique s’efface, la science économique s’affirme avec les néoclassiques17.

6/ La naissance de la macroéconomie au 20ème siècle : Cette évolution de l’économie vers une science exacte se poursuit tout au long du XXème siècle. Les turbulences économiques de l’entre deux guerres vont cependant faire naître des interrogations quant à la portée pratique de la démarche néoclassique. La microéconomie se révèle alors incapable d’expliquer des phénomènes comme le chômage de masse et elle ne peut proposer de remèdes à la crise économique et sociale de l’époque (crise de 1929). Pour la deuxième fois après Marx, la seconde loi de la thermodynamique (loi de la dégradation) l’emporte sur la première (loi de la conservation). Le système économique ne tend pas vers un équilibre spontané, il peut être menacé d’entropie. Il doit donc être régulé pour être conservé, c’est la révolution keynésienne. En 1936, l’œuvre fondamentale de John Maynard Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie introduit de nouveaux paradigmes. Elle impose une nouvelle approche, la macroéconomie, qui va venir se superposer à l’approche marginaliste (néoclassique). La macroéconomie, puisqu’elle s’attache aux phénomènes économiques au niveau de la société, est d’emblée plus opérationnelle. Elle ouvre la voie à la politique économique, c'est-à-dire à l’intervention « palliative » des états dans l’économie, et à la comptabilité nationale18, en tant qu’outil d’analyse de compréhension des phénomènes globaux. Keynes ne s’oppose pas au capitalisme : « J’estime – écrit-il – que le capitalisme, à condition d’être sagement conduit, est probablement capable d’être rendu plus efficace dans la poursuite d’objectifs économiques que tout autre système actuellement en vue ». Mais il ajoute dès 1924 : « J’introduis l ‘Etat, j’abandonne le laissez-faire ». Cette position n’allait pas de soi dans les années 30. Andrew Mellon, secrétaire du Trésor du président Hoover, pensait que le gouvernement devait rester totalement à l’écart et laisser la dépression se liquider d’elle-même : « Liquider le travail, liquider les actions, liquider les agriculteurs, liquider le secteur de l’immobilier ». M. Mellon insistait sur le fait que, lorsque les gens sont intoxiqués par l’inflation, le seul moyen de les en guérir, c’est de la laisser s’effondrer : « Cela purgera la pourriture qui infecte le système. Le coût de la vie trop élevé et le niveau de vie excessif baisseront. Les gens travailleront plus dur, ils mèneront une vie plus morale. Les valeurs trouveront un niveau d’ajustement et les gens entreprenants ramasseront les débris abandonnés par les moins compétents ». Cette position n’était pas très éloignée de celle de la France à la même époque (déflation Laval, 1935), et était largement partagée en Europe. C’est surtout au sortir de la guerre que le keynésianisme va voir son influence renforcée au sein des pays occidentaux, et ce jusqu’à la crise des années 70. Cette dernière offre alors une revanche aux économistes libéraux. John Maynard Keynes (1883-1946) Keynes développe sa contestation de la construction idéologique des néoclassiques à partir d'une analyse de la crise de 1929 et de ses conséquences, dont il fut témoin. Tout en s'inscrivant dans la tradition marshallienne (il fut élève de Marshall), il démontre qu'il existe des équilibres macroéconomiques de sous-emploi et que, pour en sortir, il faut un changement de comportement - moins d'épargne et davantage d’investissement et de consommation. Pour lui, l'économie ne tend pas spontanément vers l’équilibre, mais est, au contraire, en permanence le lieu de déséquilibres successifs. Keynes n’en est pas moins un libéral (au sens politique du terme), il croit à l’individualisme, pour peu qu’il soit débarrassé de ses excès et de ses défauts. Il est resté toute sa vie un opposant sans concession de Marx, qu’il a toujours considéré comme un piètre penseur. En 1926, dans une lettre ouverte au ministre français des Finances de l'époque, il estimait impossible que les prélèvements publics puissent dépasser 25 % du revenu national.

17

En affirmant le caractère « neutre » de l’économie, il s’agit également de contrecarrer le marxisme naissant qui met l’économie au service d’une perspective idéologique et révolutionnaire. 18 Les premiers développements de la comptabilité nationale datent cependant des physiocrates

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

6

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie 7/ De la fin des années 70 à aujourd’hui : Sous l’influence des travaux de Hayek (prix « Nobel » d’économie 1974) et de Milton Friedman (prix « Nobel » d’économie 1976), une nouvelle génération d'économistes libéraux (néoclassiques) entre en guerre, dès les années 60, contre l'action de l'Etat dans l'économie (critique du « Welfare State »). Peu entendus au début (« Nous sommes tous keynésiens » avait encore clamé Richard Nixon en 197119), la stagflation des années 70 réhabilite les thèses libérales. La fin de l’ère keynésienne « En donnant indûment aux gouvernements le sentiment que, par l'investissement, ils avaient le moyen de procurer l'expansion désirée et de bannir le chômage honni, la doctrine du plein-emploi a ouvert toutes grandes les vannes de l'inflation et du chômage. Elle est en train de détruire sous nos yeux ce qui subsiste de la civilisation de l'Occident ». Jacques Rueff (1896-1978) – Le Monde, février 1976 A partir du début des années 8020. la pensée économique orthodoxe s’impose progressivement dans le monde. Ronald Reagan, élu président des USA élu en 1980 dira ainsi lors de sons discours d'investiture : « Ne demandez pas à l'Etat de résoudre votre problème, car votre problème c'est l'Etat ». Cette pensée libérale va depuis cette date non seulement chercher à isoler le champ de l'économie des autres sciences sociales, mais à intégrer (dissoudre ?) le social dans l’économique. Gary Becker (prix « Nobel » d’économie 1992) prétend ainsi utiliser l'analyse microéconomique pour expliquer tous les comportements sociaux et psychologiques (école du public choice). L’hégémonie de la pensée « néolibérale » a culminé jusqu’à la fin de la « mondialisation heureuse » au début des années 2000. La fin du XXème siècle est en effet marquée par un processus croissant d’intégration des économies (mondialisation) tant sur les plans financier (globalisation financière) que productif (Chine), conduisant ainsi à une nouvelle division internationale du travail (DIT) et à un déplacement du cœur de l’économie monde vers l’Asie. De nouvelles problématiques émergent à nouveau, comme celle d’une nouvelle gouvernance pour tenir compte de cette nouvelle complexité (Edgar Morin). Les institutions internationales issues de la libération (FMI, banque mondiale, ONU, etc.) atteignent en effet aujourd’hui leurs limites, et doivent repenser leurs missions. La financiarisation des marchés et la crise des subprimes à partir de l’été 2007 déstabilisent également les pays les plus développés, les obligeant à rechercher de nouvelles régulations (intégration plus poussée au niveau européen ?). Le retour d'un chômage de masse (autour de 12% en Europe, croissance zéro sinon récession) et la crise des dettes souveraines limitent cependant les marges de manœuvre des pays occidentaux. Leurs plans de relance financés par le recours massif à l’endettement à partir de 2009 hypothèquent aujourd’hui les chances de sortie de crise tout en précipitant le basculement du cœur de cette économie monde vers les pays émergents (BRICS21).

II – Les principaux courants de pensée Comme cela a été dit précédemment, l’économie ne va véritablement commencer à conquérir son autonomie qu’à partir de la renaissance, marquée dès son début par les grandes découvertes (1492). Celles-ci vont évidemment éclairer les questions économiques d’un jour nouveau, et contribuer à faire émerger de nouveaux paradigmes.

A- Les mercantilistes22 : Le Mercantilisme est une doctrine des économistes des 16ème et 17ème siècles. Il repose sur un état fort et centralisé, dont l’objectif prioritaire en matière de politique économique est la maximisation de la richesse de l'Etat (ou plutôt du souverain). Il existe cependant plusieurs écoles mercantilistes qui se différencient principalement par la façon d’obtenir cette accumulation de richesses : 19

“En un sens, nous sommes tous keynésiens aujourd’hui ; en un autre sens, personne n’est plus keynésien.” Milton Friedman (février 1966) 20 "Trade but not aid" s’est imposé dans les dynamiques de développement vis-à-vis des PVD au début des années 80 21 Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud 22 Nom donné a posteriori dans un sens péjoratif par Adam Smith (le système mercantile = fondé sur le profit par le commerce)

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

7

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie 





Le mercantilisme espagnol : La course aux excédents extérieurs. On l'appelle aussi parfois le "Bullionisme" (de l'anglais "bullion" = lingot). Pour ce mouvement, l'augmentation de la richesse se fait par accumulation d'or et d'argent. Le protectionnisme est préconisé en matière de politique commerciale : Limitation des importations et développement des exportations. Le mercantilisme français : L’état et la politique industrielle. Le mercantilisme français est représenté par des hommes tels que Jean BODIN (1530-1596), Antoine de MONTCHRESTIEN (1575-1621) ou Jean Baptiste COLBERT (1619-1683). Il s'agit toujours d'enrichir l'Etat, mais par un développement industriel dirigiste de l’Etat (appelé « colbertisme »). L'Etat doit donner l'exemple en créant de grandes activités comme par exemple des manufactures royales. Colbert a d’ailleurs considérablement modernisé l’économie française en mettant en place pour la première fois une véritable politique industrielle en France. Il va ainsi développer l'industrie en créant des manufactures d'État (tapisseries de Beauvais, des Gobelins) ou privées (glaces de Saint-Gobain, draps à Abbeville et Sedan, soieries de Lyon) dotées de privilèges à l'exportation. Ces nouvelles industries étaient protégées de la concurrence étrangère grâce à des droits de douane très élevés. Ces auteurs se préoccupent donc de rechercher les conditions de la richesse d'un Etat. Pour ces mercantilistes, la richesse trouve essentiellement sa source dans les profits des marchands et des manufacturiers. Ces excédents sont au service de la puissance du pouvoir politique, afin de renforcer la position du pays dans la hiérarchie des nations (vision « belliqueuse » du monde). L’abondance de la main d’œuvre est une condition qui doit qui permettre à l’état d’être puissant militairement, et de développer le commerce et l’industrie ("Il n'est de richesse ni force que d'hommes ". Jean Bodin) Les mercantilistes sont donc populationnistes, c'est-à-dire favorables à l'augmentation de la population dans un pays. Cela permet d'obtenir la main-d’œuvre nécessaire, ce qui favorise le développement de l'industrie et du commerce, notamment des exportations. Un siècle plus tard, un auteur comme Malthus aura une position strictement inverse. Le mercantilisme anglais : Leurs auteurs font l'apologie de l'enrichissement par le commerce en général et le commerce maritime en particulier. Ils se démarquent cependant déjà sur plusieurs aspects du mercantilisme proprement dit, et on peut considérer qu’ils amorcent une transition vers le libéralisme (les mercantilistes anglais considèrent comme bénéfique l'exportation de produits ouvrés et l'importation de matières premières). Il faut dire que l’Angleterre est devenue souveraine sur les mers à partir du 17ème siècle. A l’inverse, il faut selon eux restreindre et même prohiber l'importation de produits manufacturés et l'exportation de matières premières.

Le mercantilisme est loin d’avoir perdu toute actualité - Dans les pays riches : la tentation protectionniste est de plus en plus forte : volonté de limiter les importations venant notamment de Chine, notion de « patriotisme économique », dévaluations compétitives (livre, yen) voire « guerre des monnaies », débat sur la « démondialisation », etc. Parallèlement, l’innovation est encouragée pour développer les exportations à fort contenu en valeur ajoutée (économie de la connaissance), comme en France avec les pôles de compétitivité ou le crédit impôt-recherche. - Dans les pays émergents : La Chine en est un exemple emblématique : Forte présence de l’état et de la politique industrielle, main d’œuvre abondante et bon marché, protectionnisme, monnaie administrée et sousévaluée pour stimuler les exportations, espionnage industriel et non respect des droits de propriété, accumulation d’excédents en $, etc. Transition : La thèse centrale du mercantilisme a été beaucoup attaquée (voire ridiculisée) par le courant classique qui lui a succédé (et en particulier Adam Smith). La possession par l'Etat de l'or et de l'argent n'est en effet pas nécessairement une garantie de développement. Le déclin économique de l'Espagne en dépit de ses richesses immenses obtenues par le pillage de l'Amérique latine l’atteste. Cet exemple montre en effet qu'un accroissement de la masse monétaire n'entraîne pas nécessairement le développement économique d'un pays (notion de malédiction des matières premières), si les richesses ne sont pas introduites dans le circuit économique (ce qui a été le cas de l'or espagnol). Elle peut en revanche être source d’inflation.

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

8

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie B- Le courant libéral : Le courant libéral est le fondateur de la théorie économique moderne. Il a dominé le 18ème siècle et une partie du 19ème siècle. Il fut contesté à partir de la seconde moitié du 19ème siècle par l'émergence de la pensée marxiste, mais reste néanmoins le courant dominant jusqu'à la crise de 29. Après la guerre, il perd de son influence, et ne retrouve une place dominante qu'à partir de la fin des années 70, sous l’influence des néolibéraux. Même si la crise des subprimes a conduit à contester certains paradigmes libéraux comme l’efficience des marchés, il reste néanmoins influent. Le courant libéral est constitué de différentes écoles de pensée qui sont autant de strates accumulées depuis le milieu du 18ème siècle jusqu’à aujourd’hui.

1/ Les physiocrates Littéralement, "physiocratie" signifie "gouvernement" (du grec Kratos) par (ou de) la nature ("physio"). La physiocratie est l'un des plus importants courants d'idées du 18ème siècle et cela en dépit d'une durée de vie assez brève (de 1750 à 1770), soit 20 ans. Le courant physiocrate apparaît en effet en 1758, avec la parution du Tableau économique de Quesnay et s'efface devant l'Economie Politique Classique en 1776, date de la parution de la Richesse des Nations d'Adam Smith. Ce courant de pensée économique préclassique a, en France, pour représentants les plus illustres : F. Quesnay, Mirabeau, Dupont de Nemours, Turgot. L'époque de la Physiocratie a servi de trait d'union entre le mercantilisme et l'économie politique moderne. Elle a permis "une libération nécessaire de la pensée et de la réglementation étouffante du mercantilisme ". C'est une doctrine économique qui peut être résumée à trois propositions : - La première proposition est qu'il existe un ordre naturel gouverné par des lois. « Le monde est gouverné par des lois physiques et morales qui sont immuables » (F.Quesnay). Le rôle des économistes est de comprendre, de révéler les lois de la nature telles qu'elles opèrent dans la société et dans l'économie23. Il s’agit de montrer comment ces lois agissent dans la formation et dans la distribution des richesses. Pour les physiocrates il y a des lois économiques, au même titre qu'il y a des lois physiques ou biologiques. - La seconde proposition est que le devoir des hommes, et en particulier des gouvernants, est de se soumettre à ces lois en interférant aussi peu que possible par des interventions intempestives. Les physiocrates sont de ce point de vue à l'origine du libéralisme. Après deux siècles de mercantilisme, marqués par un interventionnisme fort de l’état, le mouvement physiocrate s’inscrit résolument dans un cadre libéral de désengagement de l’état. - La troisième proposition est que la physiocratie est un courant qui reflète une économie dominée par l'agriculture. Pour les physiocrates, seule l'activité agricole est productive. « La terre est l'unique source des richesses, et c'est l'agriculture qui les multiplie » F.Quesnay. Ce « paradigme agricole » s’explique par le fait qu’à cette époque, plus des 3/4 du revenu national proviennent de l'agriculture, même si celle-ci connaît cependant les prémices d'un déclin. La physiocratie apparaît donc comme une réaction contre ce déclin, et semble ne pas avoir vu venir la révolution industrielle qui s’annonce. Quesnay dépeint une société composée de trois classes sociales. : La classe productive, la classe des propriétaires et la classe stérile. 1. La classe productive est celle qui, par la culture du territoire, permet la création des richesses de la nation, qui fait les avances des dépenses des travaux de l'agriculture, et qui paye annuellement les revenus aux propriétaires des terres. On intègre dans la richesse créée tous les travaux et toutes les dépenses qui s'y font jusqu'à la vente des productions, c'est par cette vente qu'on connaît la valeur de la production annuelle des richesses de la nation. 2. La classe des propriétaires comprend le souverain24, les possesseurs des terres et les décimateurs25. Cette classe subsiste grâce au revenu (ou produit net) de la culture, qui lui est payé annuellement par la classe productive, après que celle-ci ait prélevé, sur la production qu'elle fait renaître chaque année, les 23

Approche positive de l’économie Les physiocrates défendent la monarchie absolue (autoritarisme politique et libéralisme économique) 25 Le décimateur était, sous l'Ancien Régime, celui (individu ou communauté) qui avait le droit de lever la dîme (impôt en nature prélevé par l'Eglise sur les productions agricoles). Ce terme de décimateur a été pour Voltaire l'occasion de créer, dans un but critique et ironique, le mot-valise de "décimeur", faisant ainsi directement allusion à l'excès du taux perçu, pouvant contribuer à affamer tellement les populations qu'elles risquaient d'en mourir. 24

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

9

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie richesses nécessaires pour s’assurer un revenu de subsistance, se rembourser de ses avances annuelles, et pour entretenir ses richesses d'exploitation. 3. La classe stérile est formée de tous les citoyens occupés à d'autres services et à d'autres travaux que ceux de l'agriculture, et dont les dépenses sont payées par la classe productive et par la classe des propriétaires, qui eux-mêmes tirent leurs revenus de la classe productive (clergé, commerçants, financiers).

Maximes générales du gouvernement économique d’un royaume agricole  Que la nation soit instruite des lois générales de l'ordre naturel qui constituent le gouvernement

évidemment le plus parfait.  Que le souverain et la nation ne perdent jamais de vue que la terre est l'unique source des richesses, et que c'est l'agriculture qui les multiplie.  Que la propriété des biens fonds et des richesses mobilières soit assurée à ceux qui en sont les possesseurs légitimes, car la sûreté de la propriété est le fondement essentiel de l'ordre économique de la société.  Que le gouvernement économique ne s'occupe qu'à favoriser les dépenses productives et le commerce des denrées du cru, et qu'il laisse aller d'elles-mêmes les dépenses stériles.  Qu'une nation qui a un grand territoire à cultiver et la facilité d'exercer un grand commerce des denrées du cru, n'étende pas trop l'emploi de l'argent et des hommes aux manufactures et au commerce de luxe, au préjudice des travaux et des dépenses de l'agriculture, car préférablement à tout, le royaume doit être bien peuplé de riches cultivateurs.  Qu'on ne provoque point le luxe de décoration au préjudice des dépenses d'exploitation et d'amélioration de l'agriculture, et des dépenses en consommation de subsistance, qui entretiennent le bon prix et le débit des denrées du cru, et la reproduction des revenus de la nation.  Qu'on ne soit pas trompé par un avantage apparent du commerce réciproque avec l'étranger, en jugeant simplement par la balance des sommes en argent, sans examiner le plus ou le moins de profit qui résulte des marchandises mêmes que l'on a vendues et de celles que l'on a achetées. Car souvent la perte est pour la nation qui reçoit un surplus en argent [...].  Qu'on maintienne l'entière liberté du commerce ; car la police du commerce intérieur et extérieur la plus sûre, la plus exacte, la plus profitable à la nation et à l'État, consiste dans la pleine liberté de la concurrence. François Quesnay - 1760

2/ Les classiques (1770-1850) Ce courant de pensée est contemporain des Révolutions Industrielles (1782 – machine à vapeur de James Watt26) et accompagne l'essor du capitalisme. Les principaux représentants de ce courant sont Adam Smith, David Ricardo, Thomas Malthus, Jean-Baptiste Say (en France), etc. Selon Walter ELTIS, l'analyse de l'école classique repose sur quelques propositions fondamentales que l'on peut résumer ainsi : 1) La concurrence est à la base du fonctionnement efficace des économies. 2) Les décisions d'investissement et de production sont d'autant plus efficaces qu'elles sont prises par ceux qui les financent, non seulement grâce à leur argent, mais aussi grâce à leur talent et leur travail. Autrement dit, les décisions d'investissement et de production sont d'autant plus efficaces qu'elles sont prises par des entrepreneurs privés. « On ne peut pas attendre des régisseurs de l’argent d’autrui qu’ils apportent dans le maniement de leurs affaires, autant de vigilance que s’ils employaient leur propre argent ! » (Adam Smith - 1776, La richesse des nations) 3) La propriété privée est donc la condition d'un fonctionnement efficace des marchés.

26

Adam Smith est un ami de James Watt

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

10

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie 4) Il y a des activités productives et d'autres qui sont improductives. Les activités productives engendrent un surplus net, c’est à dire que ces productions sont seules à l’origine de la création des richesses. Les activités improductives, notamment celles qui sont organisées par l'Etat, ne peuvent être entretenues que grâce au surplus des activités productives. 5) La croissance des économies (dynamique du système) dépend de sa capacité à réinvestir les surplus dégagés par les activités productives. Si celles-ci sont absorbées (ou plus qu'absorbées) par les activités improductives, il ne restera rien pour l'investissement, de sorte que le produit national sera condamné à la stagnation ou au déclin. 6) L'Etat doit intervenir le moins possible dans l'économie. Le rôle de l'Etat est réduit à la notion "d'Etat gendarme", il doit se limiter à ses fonctions régaliennes. L'économie politique classique est représentée par les économistes suivants :  Adam SMITH (Ecosse, 1723-1790) à qui l'on doit la fameuse "main invisible" (Chacun en poursuivant son intérêt individuel contribue au bien être collectif). Pour Smith, lorsqu'un pays s'enrichit, tout le monde doit en profiter. A travers la fabrique d’épingles, il pense que la prospérité des entreprises passe par une individualisation des tâches (division du travail) en son sein (idée qui sera reprise ensuite par Taylor dans sa fameuse OST). Parabole du boucher « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ». Adam Smith – La richesse des nations Smith n’est cependant pas partisan d’un laisser-faire intégral, et considère que l’état a un rôle de régulateur à jouer (ex : Smith reconnaissait que les employeurs disposaient d’un avantage sur les salariés en matière de conflits du travail). Il se définissait lui-même comme un philosophe moral : l'idée qui prédomine chez Smith (en France chez Guizot), est que la loi doit dicter les règles du jeu, car c'est ainsi que l'État peut encourager la responsabilité individuelle et l'esprit d'entreprise. La loi des avantages absolus : Selon Adam Smith, chaque pays est plus efficace que les autres dans la production d'un bien au moins. Le pays en se spécialisant dans la production de ce bien (ce qui signifie l'abandon de la production d’autres biens), approfondit la division du travail et ainsi la liberté des échanges va accroître le bien-être de l'ensemble des pays. C'est l'avantage absolu dans la production d'un bien qui détermine la spécialisation de chaque pays. En s'appuyant sur le concept de coût d'opportunité27, Smith démontre que le libre-échange conduit à la meilleure allocation des ressources nationales et que, par conséquent, le protectionnisme, qui interfère avec cette allocation optimale, réduira forcément le revenu national. De plus, la division du travail est contrainte par la taille du marché, et le libre-échange permettra d'étendre le marché et d'approfondir la division (aujourd’hui internationale) du travail. Adam Smith fonde ainsi la première théorie en faveur du commerce international. Limite de l’analyse d’Adam Smith Etant donné le fait que les agents économiques s'engagent dans des activités risquées, en fonction de leurs seuls intérêts individuels, comment ces coordinations spontanées peuvent-elles permettre au système non seulement de survivre, mais aussi se révéler plus efficace qu'un autre système régi ou régulé par l'État28 ? En d'autres termes, la somme des intérêts individuels conduit-elle nécessairement à l'intérêt général ? A défaut de véritablement démontrer sa théorie, Smith est plutôt un plaideur (de l’économie de marché), sinon un prêcheur (expression de Stigler).

27 28

Le coût d’opportunité est le manque à gagner potentiel entre deux investissements ou deux types de financement. Cf. le paradoxe de Condorcet ou le théorème d’impossibilité d’Arrow

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

11

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie 

David RICARDO29 (Angleterre, 1772-1823) à qui l'on doit les théories de la valeur et de la rente, ainsi que la loi des avantages comparatifs. Ricardo (qui sera suivi par Marx) croit repérer dans la valeur d’une chose la quantité de travail employée à sa fabrication. Lorsque les individus échangent des marchandises, ils échangeraient en réalité le travail "incorporé " dans ces marchandises. Il suffirait de compter ce travail, par exemple en heures d'ouvriers, pour déterminer le prix " juste " (théorie de la valeur travail). Ricardo rejoint sur ce point Thomas d’Aquin. Selon Ricardo, ce n'est pas l'avantage absolu qui compte mais l'avantage relatif (ou comparatif). Autrement dit un pays, qui est moins efficace que les autres pays dans la production de tous les biens qui peuvent être échangés, sera relativement moins inefficace dans la production d'au moins un bien. En exploitant cet avantage comparatif, c'est-à-dire en se spécialisant dans la production de ce bien, le libre-échange se révélera préférable à l'autarcie. D'autres hypothèses fondent le modèle : concurrence pure et parfaite, existence d'un seul facteur primaire par pays, coûts de production fixes (totalement indépendants de l'échelle de production et des effets externes).



Thomas MALTHUS (Angleterre, 1766-1834) et la loi de la population (elle croît à un rythme exponentiel alors que la production agricole croît au mieux à un rythme arithmétique. Inexorablement, la famine revient (« A la table de la nature, il y a de plus en plus de convives »). Plutôt que ce soit la mort d’une partie de la population qui régule le système, le puritain Malthus prône la modération sexuelle (voire la virginité dans le mariage) pour éviter cette calamité (d’où le nom de malthusianisme à toute politique de limitation des naissances). Population

Ecart croissant

En matière de libre-échange, Malthus a une position nuancée. S’il s’est déclaré favorable au libre-échange, il formula néanmoins deux arguments en faveur des restrictions au commerce du blé : tout en acceptant l'argumentation ricardienne en faveur du libre-échange, il craignait tout d'abord qu'en cas de mauvaises récoltes les pays exportateurs de blé ne restreignent leurs ventes, à un moment où l'Angleterre, trop spécialisée, ne pourrait plus développer cette culture. Son autre argumentation est plus " physiocratique " dans son essence, car elle reposait sur le fait que la réduction des revenus des propriétaires fonciers aurait pour conséquence de réduire leurs dépenses et donc le bien-être de tous ceux qui en dépendent, et en particulier " les industries dont ils sont les premiers clients, les premiers financiers, en même temps qu'ils fournissent l'essentiel des forces aux armées ". 

29 30

Jean-Baptiste SAY30 (France, 1767-1832), industriel et libéral, disciple et vulgarisateur des idées d’Adam Smith, son maître à penser. Il est surtout connu pour la fameuse loi des débouchés : l'offre crée sa propre demande. Plus l'entreprise produit, plus la redistribution vers les salariés et les actionnaires est importante, favorisant ainsi une augmentation de la demande. A noter que lors de son discours de janvier 2014, François Hollande a fait

Agent de change puis riche propriétaire terrien, membre de la chambre des représentants Penseur insipide et fade pour Marx

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

12

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie explicitement référence à la politique de l’offre de Jean-Baptiste Say, pour justifier l’inflexion de sa politique économique. La loi de Jean-Baptiste SAY La problématique des classiques porte principalement sur la question de la formation des richesses. Leur analyse est donc centrée sur l’offre, considérant que tout produit répond à un besoin. Jean Baptiste Say pose en principe que tout produit crée des débouchés pour d’autres produits. Chaque fois qu’un producteur augmente son activité, il crée en même temps de nouveaux débouchés pour ses fournisseurs, il rémunère de nouveaux salariés et crée un surcroît d’activité pour ses distributeurs. Cette « loi de Say » ne veut toutefois pas dire que tout produit trouve nécessairement une demande, ou comme l’a interprété Keynes que « l'offre crée sa propre demande ». Il peut y avoir surproduction de tel ou tel bien, mais pas de surproduction ou de crise généralisée et durable. Si un produit ne trouve pas preneur, ses producteurs cesseront de le produire et réorienteront leurs ressources vers d’autres productions. Cette opinion émise par Say a été soutenue par Ricardo et Mill, mais contestée par Malthus et Sismondi. D’après Wikipedia



Frédéric BASTIAT (France, 1801-1850) ou l'apologie de l'économie de marché. "Détruire la concurrence, c'est tuer l'intelligence", "L'État, c'est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde" (l’état est considéré comme un Léviathan, monstre froid et dangereux évoqué dans la bible). Frédéric Bastiat postule que le libéralisme conduit à une société plus prospère, plus progressiste, plus juste et plus heureuse. A travers la célèbre pétition des fabricants de chandelles (1845), Frédéric Bastiat dénonce de manière ironique et humoristique le protectionnisme des producteurs de chandelles : « Nous subissons l'intolérable concurrence d'un rival étranger placé, à ce qu'il paraît, dans des conditions tellement supérieures aux nôtres, pour la production de la lumière, qu'il en inonde notre marché national à un prix fabuleusement réduit ; car, aussitôt qu'il se montre, notre vente cesse, tous les consommateurs s'adressent à lui, et une branche d'industrie française, dont les ramifications sont innombrables, est tout à coup frappée de la stagnation la plus complète. Ce rival, qui n'est autre que le soleil, nous fait une guerre (si) acharnée […] Nous demandons qu'il vous plaise de faire une loi qui ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, abat-jour, contrevents, volets, rideaux, vasistas, œils-de-bœuf, stores, en un mot, de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquelles la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons, au préjudice des belles industries dont nous nous flattons d'avoir doté le pays, qui ne saurait sans ingratitude nous abandonner aujourd'hui à une lutte si inégale. […] Et d'abord, si vous fermez, autant que possible tout accès à la lumière naturelle, si vous créez ainsi le besoin de lumière artificielle, quelle est en France l'industrie qui, de proche en proche, ne sera pas encouragée ? » L’impôt par Frédéric Bastiat « Ce que l’on voit, ce que l’on ne voit pas » « Ne vous est-il jamais arrivé d'entendre dire : « L'impôt, c'est le meilleur placement, c'est une rosée fécondante ? Voyez combien de familles il fait vivre, et suivez, par la pensée, ses ricochets sur l'industrie : c'est l'infini, c'est la vie ». Les avantages que les fonctionnaires trouvent à émarger, c'est ce qu'on voit. Le bien qui en résulte pour leurs fournisseurs, c'est ce qu'on voit encore. Cela crève les yeux du corps. Mais le désavantage que les contribuables éprouvent à se libérer, c'est ce qu'on ne voit pas, et le dommage qui en résulte pour leurs fournisseurs, c'est ce qu'on ne voit pas davantage, bien que cela dût sauter aux yeux de l'esprit. Quand un fonctionnaire dépense à son profit cent sous de plus, cela implique qu'un contribuable dépense à son profit cent sous de moins. Mais la dépense du fonctionnaire se voit, parce qu'elle se fait, tandis que celle du contribuable ne se voit pas, parce que, hélas on l'empêche de se faire. Vous comparez la nation à une terre desséchée et l'impôt à une pluie féconde. Soit. Mais vous devriez vous demander aussi où sont les sources de cette pluie, et si ce n'est pas précisément l'impôt qui pompe l'humidité du sol et le dessèche. […..] Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015 13

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie Quoi ! Je vais m'arranger avec un terrassier pour qu'il fasse une rigole dans mon champ, moyennant cent sous. Au moment de conclure, le percepteur me prend mes cent sous et les fait passer au ministre de l'intérieur, mon marché est rompu mais M. le ministre ajoutera un plat de plus à son dîner. Sur quoi, vous osez affirmer que cette dépense officielle est un surcroît ajouté à l'industrie nationale ! Ne comprenez-vous pas qu'il n'y a là qu'un simple déplacement de satisfaction et de travail ? Un ministre a sa table mieux garnie, c'est vrai, mais un agriculteur a un champ moins bien desséché, et c'est tout aussi vrai. Un traiteur parisien a gagné cent sous, je vous l'accorde ; mais accordez-moi qu'un terrassier provincial a manqué de gagner cinq francs. Tout ce qu'on peut dire, c'est que le plat officiel et le traiteur satisfait, c'est ce qu'on voit, le champ noyé et le terrassier désœuvré, c'est ce qu'on ne voit pas ».

3/ La période néoclassique (1870-1929) La microéconomie est une branche de la science économique qui privilégie dans son étude les comportements des entreprises (producteurs ou offreurs) et des consommateurs (demandeurs). Elle étudie en particulier leur rencontre sur le marché, et la manière dont les prix se forment sur ce dernier (« croix de Marshall »), qu’il s’agisse du marché des biens, du travail, des capitaux, etc. Selon l’économiste français Léon Walras (1834-1910, chef de file de l’école de Lausanne), un équilibre général sur tous les marchés est possible. En décrivant un univers pacifié, sans interactions ni conflits, où les prix se forment sans frottement, elle est évidemment très éloignée de la réalité sociale de la fin du 19ème siècle. Il faut dire que le reproche principal fait à l'économie politique qui a précédé cette nouvelle école est d'avoir - selon certains dirigeants politiques - encouragé les événements révolutionnaires de 1848 en fournissant aux socialistes "extrémistes" les outils politiques d'une théorie économique fondée sur la lutte des classes (Marxisme). Il s'agit donc avant tout d'établir des lois, des modèles même si ces derniers n’ont pas d’abord vocation à décrire le réel, et donc de renforcer la dimension scientifique de l’économie, d’affirmer son caractère apolitique, afin de ne pas menacer « l’ordre bourgeois » (Marx). Il existe plusieurs courants en son sein, qui ont rayonné partout en Europe à la fin du 19ème siècle, et qui ont, chacun à leur niveau, contribué à la mise en place du corpus théorique néoclassique. Ces différentes écoles sont : l'école autrichienne, l'école de Lausanne (qui compte notamment dans ses rangs le français Léon WALRAS - 1834-1910), l’école anglaise et enfin l’école française. Après avoir identifié les différentes écoles, on peut essayer de dégager le noyau commun à l'analyse néoclassique. De façon générale, c'est une théorie de la valeur qui se fonde sur l'échange économique. La formation de la valeur se fait à travers l'échange. De façon un peu caricaturale, on a parfois tendance à réduire l'école néoclassique de la valeur au croisement d’une courbe d'offre (croissante) et d’une courbe de demande (décroissante). On doit cette représentation géométrique à A.MARSHALL (croix de Marshall), et non pas à L.WALRAS qui préférait une résolution algébrique (système d’équations).

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

14

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie De façon plus précise, les traits suivants caractérisent une bonne part des analyses néoclassiques : 1. Une définition restrictive du champ de l'analyse économique : On se situe dans une perspective microéconomique où les préférences des agents économiques sont considérées comme stables. Les agents économiques sont en situation d’isolement (relation homme-chose), l’économie apparaît donc « désencastrée » du social (critique de Karl Polanyi). 2. L'économie apparaît comme une science de l'allocation optimale des ressources par le marché : les ressources étant fixées, l'analyse néoclassique se concentre sur leur allocation optimale, c'est-à-dire leur répartition efficiente entre les agents économiques. Cette allocation optimale se fait à travers l'échange volontaire des ressources entre les agents économiques, par l'intermédiaire d'un mécanisme de marché. Les prix des biens se forment sur les marchés et les agents économiques sont confrontés à ces prix qui sont pour eux des données sur lesquelles ils n'ont pas d'influence. Le cas particulier de l’ordolibéralisme allemand (1932) Sans remettre en cause le marché, l’ordolibéralisme ne croit pas que la concurrence puisse être spontanément efficace, il faut donc que l'Etat intervienne pour donner un cadre au système et organiser la concurrence. On doit ce courant de pensée à l’école de Fribourg (1928), il s’est imposé après la période d’hyperinflation que l’Allemagne a connu dans les années 20. Il inspire aujourd’hui largement la politique d’Angela Merkel (indépendance de la BCE, règle d’or budgétaire). Les néoclassiques aujourd'hui : La théorie économique néoclassique vit actuellement des jours difficiles. L’autorégulation des marchés était admise car elle semblait se justifier par la parfaite efficience des marchés, du fait de la rationalité sans faille des agents. Or depuis la crise de 2008, cette théorie est remise en cause. Parallèlement, une nouvelle microéconomie s'affirme, et notamment la Behavioral economics (ou économie comportementale). Cette école, tout en restant compatible avec la plupart des postulats de la science économique orthodoxe, incorpore les enseignements de la psychologie comportementale. Elle est fortement portée par les évolutions technologiques récentes en matière d'imagerie cérébrale. Pour ces nouveaux microéconomistes, il faut développer de nouveaux outils complémentaires afin d'améliorer le cadre néoclassique, pour comprendre le comportement de l’Homoeconomicus, en intégrant par exemple la psychologie pour expliquer les décisions prises dans un contexte de crise. De même, la neuroéconomie permet grâce à l'imagerie cérébrale de repérer quelles zones du cerveau sont activées lors de décisions économiques, et à quel type d'émotions positives ou négatives elles correspondent. Une meilleure connaissance du rôle des émotions dans la décision économique conduit à l'émergence de nouvelles techniques de promotion des ventes (neuromarketing).

4/ Les néolibéraux (Des années 70 à nos jours) Ce courant s’est créé à l’origine en réaction à l’hégémonie du keynésianisme, à partir des années 70. Les principaux économistes de ce courant sont Von Hayek (école autrichienne), Milton Friedman31, Ronald Coase, Gary Becker, Robert Barro, Robert E Lucas (école de Chicago, monétaristes), etc. Friedrich Hayek avait lancé l’offensive contre Keynes dès 1947.

Création d’un « Think Tank » libéral : La Société du Mont-Pèlerin La société du Mont Pèlerin est une société de pensée qui réunit des économistes, des juristes, des philosophes, des historiens et des hommes politiques favorables aux thèses libérales, à l'économie de marché et aux valeurs politiques d'une société ouverte. Elle a été fondée en 1947 par Friedrich Hayek dans un contexte où l’URSS s’affirme sur le plan politique et où le keynésianisme s’impose sur le plan économique. C’est lors de la parution de « La Route de la servitude » en 1944 que Hayek avait envisagé la création de cette société, dont la vocation est dès l’origine clairement internationaliste : «Le besoin d'une rencontre internationale [...] me semblait particulièrement grand en raison de la guerre qui, non seulement a cassé les liens existants, mais également créé un cadre nationaliste incompatible avec une approche réellement libérale de nos problèmes » (Friedrich Hayek, Déclaration d'ouverture de la rencontre). 31

" Est libérale une société où les dépenses publiques, toutes collectivités confondues, ne dépassent pas 10 à 15 % du produit national. Nous en sommes très loin" (M.Friedman, été 2003)

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

15

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie Depuis sa création, la société du mont pèlerin est un lieu de rencontre et de débats entre auteurs s'accordant sur les fondements du libéralisme : liberté, responsabilité et propriété. Parmi les courants libéraux représentés, on trouve notamment l’école de Chicago, le courant ordo-libéral et l’école autrichienne. Parmi les premiers participants, on trouve les plus grands penseurs libéraux de l'époque : Maurice Allais, Milton Friedman, Jacques Rueff, Bertrand de Jouvenel, Frank Knight, Karl Popper, Lionel Robbins, George Stigler, et bien sûr Ludwig von Mises, un des maîtres à penser d’Hayek. Huit d’entre eux ont obtenu le prix Nobel d'économie : Milton Friedman, Friedrich Hayek, George Stigler, James McGill Buchanan, Ronald Coase, Gary Becker, et Vernon Smith, Les économistes français sont représentés avec notamment Pascal Salin et Florin Aftalion. On peut pour résumer considérer que ce mouvement se caractérise par quelques grandes idées : 1. Ce mouvement se caractérise d’abord par sa volonté de réduire au maximum les interventions de l'Etat32. Pour Hayek, le véritable libéral est celui qui est convaincu que la libre négociation entre les hommes est le meilleur moyen d'arriver aux arrangements les plus satisfaisants et que les solutions imposées par une autorité centrale seront toujours moins satisfaisantes que ces arrangements. Le véritable libéral est donc celui qui soutient qu'il ne faut confier au gouvernement que le soin d'assurer la sécurité et la liberté de tous. Grâce à la sélection darwinienne du marché (sélection naturelle), les institutions efficaces prendront forme spontanément, pour peu que la liberté et la sécurité des individus soient assurées et qu'on ne mette pas d'entraves à ce processus. Le budget de l'Etat doit donc être réduit, grâce à une baisse de la pression fiscale, et une diminution de la redistribution. De plus, cette baisse des impôts et des taxes doit se focaliser sur les entreprises pour favoriser l'activité économique (courbe de Laffer, 1974 - « trop d’impôt tue l’impôt »).

T : Taux d’imposition M : Recettes fiscales maximales « Un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte » JB Say Les libéraux considèrent que si on baisse les impôts et les taxes qui pèsent sur les entreprises, ces dernières vont être incitées à embaucher plus, ce qui entretient la demande et donc l’activité économique. La logique de subventions est donc très largement contestée par les libéraux car toute forme d'assistance doit être combattue. 2. La politique économique est inefficace Les anticipations des agents économiques sont rationnelles33, c’est à dire que les effets des politiques publiques sont toujours intégrés « rationnellement » par ces derniers, (Ex : les agents économiques vont par exemple anticiper les conséquences inflationnistes d’une relance de la consommation financée par déficit budgétaire, en augmentant leur épargne pour faire face à une probable augmentation des impôts). L’effet obtenu sera finalement opposé à l’effet recherché. Dans cette hypothèse, plus les anticipations sont rationnelles, plus le fonctionnement naturel de l’économie est optimal, et plus les politiques de régulation sont inutiles. 32

« Ne demandez pas à l’Etat de résoudre votre problème, car votre problème c'est l'Etat » Discours inaugural du Président américain Ronald Reagan (1980-1988) 33 Les anticipations sont des représentations individuelles, plus ou moins informées, d'événements futurs généralement aléatoires. Si on suppose que les agents utilisent de manière optimale toute l’information disponible pour prévoir l’avenir, on dit que leurs anticipations sont rationnelles.

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

16

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie 3. Le monétarisme (école de Chicago) : Courant de pensée théorique, le monétarisme accorde à la monnaie un rôle important dans les dérèglements économiques. Tombé pratiquement dans l'oubli devant la poussée keynésienne, le courant monétariste a connu depuis les années 1960 un renouveau certain, dû au développement des tendances inflationnistes, avec des auteurs anglo-saxons et surtout américains (Milton Friedman). Ce courant a redonné vie à l'ancienne théorie quantitative de la monnaie (TQM), qui établissait une relation directe entre le niveau de la masse monétaire, celui de l'offre de biens et de services et celui des prix. Pour les monétaristes : - L’inflation s’explique toujours par une augmentation excessive de la quantité de monnaie en circulation (« la monnaie est le carburant qui alimente toujours l'inflation », Jacques Rueff - 1965). - Le rôle de l’état en matière de politique monétaire doit donc se limiter à maintenir une quantité de monnaie proportionnelle au volume de la production. - Les politiques de relance sont inefficaces. Elles peuvent avoir des effets à court terme qui ne sont que transitoires et qui s’avèrent nuisibles à long terme. Pour M.Friedman, il faut donc revenir aux principes des économistes classiques : • abandon des politiques budgétaires et limitation de la création de monnaie par l’Etat • diminution des dépenses sociales de l’Etat providence • privatisation des entreprises publiques et déréglementation • flexibilité de l’emploi et des salaires34 Gary Becker et les choix rationnels Sa théorie du choix rationnel s’appuie sur la mise en évidence des préférences individuelles. Là où sociologues, psychologues et anthropologues voient généralement, de la morale, des normes et pressions sociales, des forces culturelles, l’approche beckerienne revient à tout ramener à des préférences individuelles. Selon Becker, les sciences sociales ne sont vraiment des sciences que lorsqu’elles repoussent les explications évoquant de l’irrationalité, de la culture, des forces collectives. Et il existe une science reine, l’économie, ou, plus précisément, une démarche d’économiste consistant à révéler, mesurer et analyser les choix et les fondements des choix individuels. L’individu, vu par Becker, n’est pas totalement ni tout le temps rationnel. Il est, néanmoins, toujours en quête de bonheur et prêt à arbitrer entre des choix différents pour obtenir des satisfactions. Becker applique son approche à la criminalité. Celle-ci n’est pas le fait de personnalités déviantes différentes, mais d’acteurs rationnels qui arbitrent entre leurs obligations, opportunités et aspirations, en fonction des risques. Le criminel met ainsi en balance l’espérance de gain d’un acte illégal et le risque de sanction. Gary Becker considère que délinquants et criminels raisonnent tous de la sorte. Constatant que la criminalité a augmenté à mesure que les peines déclinaient, Becker plaide pour l’alourdissement des sanctions, mais, surtout, pour la certitude de la punition. Le fond de l’affaire est toujours un calcul de probabilités. De même, le mariage se comprend comme un contrat permettant d’optimiser le capital humain des membres du foyer. La femme s’engage à faire des enfants puis s’en occuper en échange de protection et d’assurance. Le foyer est une unité de production de services domestiques (ménage, cuisine, relations sexuelles..), et tout ce qui le concerne (vie quotidienne, mais aussi décisions radicales comme le divorce) peut être décrit par les mécanismes économiques d’optimisation individuelle. Becker a ainsi été pionnier avec cette application systématique de la démarche économique aux sujets sociaux. Il a été consacré par l’obtention du « Prix Nobel » d’économie en 1992, pour « avoir étendu le domaine de l’analyse microéconomique à un grand nombre de comportements et d’interactions humains, y compris le comportement non marchand ». D'après “Gary Becker – L’individu calculateur”, Sciences Humaines, Grand Dossier n° 30, 2013 (Extraits). « […] Puisque l’altruisme seul se montre insuffisant pour régler le problème de la pénurie d’organes, il devient nécessaire d’envisager d’autres pistes pour augmenter l’offre […].Dans leur étude « Introducing Incentives in the Market for Live and Cadaveric Organ Donations », le Prix Nobel d’Économie Gary Becker et Julio Jorge Elías estiment qu’une compensation économique de 15.000 dollars à un donneur vivant pourrait pallier la pénurie de reins. Et cette

34

On peut constater que ces préconisations sont aujourd'hui à l'œuvre dans certains pays européens : Grèce, Italie, Espagne notamment

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

17

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie compensation pourrait même être payée par l’État, qui y gagnerait en économisant sur les interminables dialyses dans l’attente d’un organe […] Contrepoints - 18 septembre 2010 dans Édito, Sujets de société 4. Les néolibéraux considèrent que le chômage est en grande partie lié à la rigidité sur le marché du travail (il existe un salaire minimum trop élevé). Sur un marché du travail libéré de toute contrainte, il existerait un salaire d'équilibre permettant l’ajustement entre l'offre de travail et la demande (qui correspond aux besoins des entreprises). A ce point d'équilibre, le chômage n'existerait plus (hors chômage « volontaire » : les salariés refusent alors de travailler au prix du marché). Tous les salaires versés par les entreprises au dessus de ce salaire d'équilibre seraient nuisibles aux embauches, et génèreraient du chômage selon les néolibéraux. Néolibéralisme et mondialisation : Le capitalisme moderne tend à reprendre à son compte les thèses libérales dans le cadre de la mondialisation. Le néolibéralisme milite pour une plus grande liberté du commerce au sein de grandes institutions internationales comme l’OMC, afin de favoriser l’intégration des marchés (qui ne se limitent plus désormais aux seules marchandises, mais qui s'étend aux services, aux capitaux…) et dynamiser la croissance. La déréglementation, prônée par ces organismes, consiste en la suppression des barrières réglementaires nationales. Les services, avec le développement des accords AGCS35, mais également l'ouverture à la concurrence de marchés comme la santé et l'éducation, autrefois réservés aux États, sont concernés. Ainsi, le capitalisme tend non seulement à s'étendre à de nouveaux pays, mais aussi à de nouveaux domaines de la vie humaine (notion de marchandisation, de marchéisation, de société de marché, Gary Becker). Pour ce faire, la version moderne du néolibéralisme insiste particulièrement sur le respect des contrats et des droits de propriété qui seul peut favoriser le développement des échanges et la circulation d’un capital de plus en plus financier et dématérialisé (actions, droits à polluer) au niveau mondial. La crise économique et sociale actuelle (issue de la crise des subprimes de l’été 2007) interroge aujourd’hui les préceptes libéraux et monétaristes. Le Figaro (quotidien d’obédience plutôt libérale) a ainsi élu Keynes (mort en 1946) économiste de l’année 2009.

Transition : L'apport de la thermodynamique à l'économie L'économiste du 18ème siècle est convaincu, sous l'influence de Descartes et Newton, que le monde est une horloge qui fonctionne à l'équilibre, il construit donc une science à l'image de cette vision du monde. Ce n'est pas un hasard si Adam Smith parle de l'équilibre gravitationnel des marchés. Le prix du marché tourne autour d'un prix "naturel", celui qui correspond à la somme des prix de production. Il lui tourne autour comme une planète autour de son étoile (Adam Smith était par ailleurs l'auteur d'un traité d'astronomie). Lorsque le physicien français Sadi Carnot (1796-1832) fonde la thermodynamique (traité de 1824) avec ses deux lois de conservation et de dégradation, cette conception horlogère de l'économie va progressivement être remise en cause. L'explication des forces qui mènent le monde va ainsi se déplacer des lois de l'équilibre à celles de l'énergie. Si Léon Walras (qui connaissait pourtant les principes de la thermodynamique) fournit une théorie de l'équilibre général en 1874 conforme à la mécanique newtonienne, privilégiant ainsi la loi de conservation, il n'en sera pas de même - à la même époque - dans l'œuvre de Marx. Pour Marx et les marxistes, les contradictions du capitalisme conduisent inéluctablement à son entropie. C'est donc ici la loi de la dégradation qui l'emporte sur celle de la conservation. Keynes, à travers son analyse de la crise des années 30, contestera également le principe d'un retour spontané à l'équilibre, même s'il n'en tire pas les mêmes conclusions en matière de politique économique. Pour éviter que "la crise engendre la crise" (loi de dégradation), le retour à l'équilibre (loi de conservation) n'est possible qu'avec le rôle contracyclique de l'état. D'après René Passet (les grandes représentations du monde et de l'économie à travers l'histoire)

5. Le courant marxiste Ce courant est apparu à partir de la seconde moitié du 19ème siècle, dans un contexte marqué par la révolution industrielle. Il est principalement incarné par Marx (1818-1883), d’autres auteurs comme Engels, Rosa Luxemburg (cofondatrice du PC allemand), Boukharine (Russie), etc. y ont également contribué. 35

Accord général sur le commerce et les services (OMC)

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

18

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie Ce courant critique d’abord le système capitaliste, pour proposer ensuite une rupture avec ce dernier. A la différence des autres théories économiques, le marxisme se prolonge dans l’action politique : « Chez Marx, l’intellectuel n’était que la moitié de l’homme, c’était avant tout un révolutionnaire » (F.Engels) 1848 : Manifeste du parti communiste avec F.Engels. A partir de 1867, le capital (œuvre maîtresse et encore inachevée à la mort de Marx en 1883). a) La critique de l'économie de marché Le marxisme va beaucoup s’inspirer de la théorie classique, mais cette fois en tant que vecteur d'une critique radicale du capitalisme. L’analyse marxiste ne se limite cependant pas à la seule sphère économique. Elle est également fondée sur une approche historique et dialectique (en termes d’opposition). Pour Marx, les classes sociales sont inscrites dans la réalité sociale, et leurs luttes déterminent le changement social de manière durable. « L'histoire de toutes les sociétés humaines jusqu’à nos jours n’est que l’histoire de la lutte des classes ». L'antagonisme entre les classes est donc le moteur de toute transformation qui affecte le fonctionnement de l'organisation sociale et modifie le cours de son histoire : hommes libres-esclaves sous l’antiquité, seigneur-serf au moyen-âge, etc. Marx voit donc dans l’opposition capitaliste-ouvrier un nouvel avatar de cette lutte des classes. Comme pour les précédentes, Marx pense que la classe ouvrière triomphera de la bourgeoisie, car le mode de production capitaliste porte en son sein les contradictions qui finiront par l’emporter (crises de surproduction, paupérisation croissante, baisse tendancielle du taux de profit, aliénation, etc.). L’extorsion de la plus-value (ou survaleur) : Pour un temps de travail T, le salarié reçoit une rémunération de son travail correspondant à Tr, la différence constitue la plus-value extorquée par le capitaliste (ce qui équivaut pour le salarié à un travail non rémunéré). Le salaire versé (Tr) lui permet juste de « reproduire sa force de travail » (notion proche de la loi d’airain du socialiste allemand Lassalle). Le taux de plus value (T-Tr)/Tr traduit le degré d’exploitation du travailleur. T Tr

Plus-value

T : Durée totale du travail (valeur d’usage) Tr : Temps de travail rémunéré qui donne lieu à un salaire de subsistance permettant la reproduction de la force de travail du salarié La loi de la baisse tendancielle du taux de profit : Selon Marx, les entreprises sous l’effet de la concurrence et du progrès technique, ont tendance à accélérer la substitution capital-travail. Or pour Marx, seul le facteur travail permet l’extorsion de la plus-value (seul le travail peut créer de la valeur), l’augmentation de la productivité du travail conduit inéluctablement à la baisse de la plusvalue, donc du profit. Comment Marx envisage t'il la façon pour les capitalistes de contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profit afin de restaurer la profitabilité des entreprises : 1. Augmenter le degré d’exploitation du travail vivant en prolongeant la journée de travail sans augmenter les salaires afin de permettre, par une intensification du travail, une augmentation de la productivité ; 2. Baisser le prix du capital constant, notamment à l’aide d’innovations technologiques, et d’une rationalisation de leur usage par un allongement du « temps machine » (augmentation de la durée d'utilisation des équipements). 3. Favoriser l’accroissement du chômage en tant qu’armée de réserve. La constitution d’une surpopulation relative exerce une pression à la baisse des salaires réels ; 4. Dévaloriser plus globalement l'ensemble des salaires afin de réduire la part des salaires dans la valeur ajoutée, afin d'augmenter la rémunération du capital. On obtient cette dévalorisation en remplaçant le travail vivant par le travail mort (substitution capital-travail), en agissant sur la formation des salaires (remise en cause des conventions collectives par exemple) ; 5. Ouvrir l'économie en promouvant le commerce extérieur (exportations, investissements à l’étranger), permettant ainsi l’extension des débouchés et par voie de conséquence une meilleure absorption du coût fixe grâce aux économies d’échelle réalisées aux niveaux de la production et de la distribution. Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

19

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie Certains de ces déterminants n'ont rien perdu aujourd'hui de leur actualité. Livre I du troisième volume du Capital b) La rupture avec le système capitaliste Pour les marxistes, ces mesures ne font que retarder l'échéance, le système capitaliste n'est donc pas viable à long terme. Ils préconisent une solution radicale pour remplacer ce système : la révolution « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » (K.Marx) En effet, pour les marxistes, une rupture nette avec le capitalisme doit ensuite laisser la place à un nouveau système, ce qui n’est possible qu’avec une révolution. Cette révolution doit permettre d’instaurer : 1. le socialisme : Phase transitoire (mais à la durée non déterminée par Marx) au cours de laquelle la propriété privée est abolie (les moyens de production sont collectivisés). Le rôle de l'Etat devient central, tant sur le plan économique (état planificateur) que politique (dictature du prolétariat). « Arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie [...] Cela ne pourra naturellement se faire, au début, que par une violation despotique du droit de propriété et du régime bourgeois de production, c'est-à-dire par des mesures qui [...] au cours du mouvement, se dépassent elles-mêmes et sont indispensables comme moyen de bouleverser le mode de production tout entier. » (K.Marx) 2. puis le communisme : Au niveau théorique, le communisme est une conception de société sans classe, sans monnaie, une organisation sociale sans État, fondée sur la possession commune des moyens de production (communauté des biens). De « à chacun selon ses moyens » (socialisme) on passe (rait) ainsi « à chacun selon ses besoins ». A ce stade, l’homme a vaincu son aliénation (idéologique, politique, économique et sociale). Marx et Engels sont cependant restés très évasifs sur leur représentation d’une société communiste (fin de l’histoire). Analyse critique du marxisme : La dictature : Dans les faits, le communisme en URSS s'est rapidement transformé en dictature du parti communiste et s'est accompagné d’une forte régression des libertés individuelles. De ce fait, le communisme est devenu une idéologie très controversée. La question est, en particulier, de savoir si les "pages noires du communisme" sont la conséquence de ses principes fondamentaux (le communisme intrinsèquement totalitaire et négateur de l'individu) ou si elles résultent de régimes politiques qui se sont par la suite dévoyés (stalinisme). N'ayant jamais été réellement mise en place, la société communiste telle que Marx l'avait imaginée ne peut être accusée de ces dérives totalitaires. La nomenklatura : Loin de tendre vers une société sans classe, le socialisme soviétique a paradoxalement engendré une classe de privilégiés, détentrice du pouvoir : La nomenklatura (livre de Michael Voslensky, 1980). Contrairement au système capitaliste où la classe dominante a le pouvoir parce qu’elle a la richesse, la nomenklatura soviétique accède à la richesse parce qu’elle a le pouvoir. Paradoxe : Alors que la théorie marxiste repose sur le rôle moteur de la classe ouvrière (prolétariat) dans la révolution socialiste, le premier régime d’inspiration marxiste (léniniste) s’installe en 1917 en Russie, dans un pays essentiellement rural et agricole. Cela vaut également pour la révolution chinoise de 1949.

6. La révolution keynésienne C'est à partir des années 30 que l'économiste britannique J.M.Keynes (1883-1946) commence à exercer son influence sur la pensée économique contemporaine. Ses thèses vont connaître une popularité croissante36 après la publication de l’ouvrage majeur de Keynes : la théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, en 1936. Cette pensée a cherché à fournir le cadre théorique d'une pathologie évidente des économies de marché lors de la grande crise de 1929, et que la théorie standard de l'époque se révélait incapable de comprendre et d’expliquer. Son influence a été grande jusqu'à la fin des années 70, sa pensée renaît aujourd’hui sous les effets de la crise financière des subprimes.

36

En France, le front populaire élu au printemps 36 va très vite s’inspirer des recommandations de Keynes en matière de politique économique (L.Blum comptait Keynes parmi ses amis). Dès 1933 en Allemagne, Hitler se lance également dans une politique économique « de guerre » d’inspiration keynésienne.

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

20

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie a) La pensée keynésienne Chez Keynes, comme chez Marx, la critique porte de nouveau sur le libéralisme économique, sa contrepartie étant cette fois, non pas le socialisme, mais le keynésianisme. Ce dernier est une doctrine qui s’inscrit dans le cadre de l'économie de marché, mais avec des réserves, dans la mesure où le projet de Keynes est de démontrer que le laissez-faire peut mener à des situations d'échec de marché, auxquelles l'intervention directe de l'État dans l'économie peut remédier (Keynes, l’homme qui a fait mentir Marx ?). Les principaux piliers de la pensée keynésienne : - L'approche est macroéconomique (holiste). Keynes privilégie une analyse globale en termes de circuit et d’agrégats, et non pas de comportements d’agents isolés sur le marché. Il raisonne cependant dans le cadre d’une économie fermée. - L'incertitude est au cœur de l’analyse keynésienne. Il estime que la crise des années 30 est d’abord une crise des débouchés qu’il explique par les anticipations négatives des entreprises, persuadées qu’elles n ‘écouleront pas leur production. Ce faisant, elles diminuent leur offre et donc les investissements qu’elles réalisent, car elles craignent l’avenir et son incertitude. Cela conduit alors à des comportements « malthusiens » qui vont produire des effets systémiques : baisse des investissements, de la consommation, chômage, déflation… Pour Keynes, « la crise engendre la crise », et il ne croit pas au mécanisme vertueux d’un retour automatique à l’équilibre. Cela justifie donc à ses yeux l’intervention des pouvoirs publics. CRISE

CRISE

Baisse de l’activité

Baisse de l’activité

Moins d’emplois (chômage)

Moins d’investissement s

Moins d’emplois (chômage)

Moins d’investissement s

Baisse du prix du travail

Baisse des taux d’intérêt

Baisse du prix du travail

Baisse des taux d’intérêt

Reprise des embauches

Reprise de l’investissement

Baisse de la demande

Anticipations négatives

Retour à l’équilibre

Résolution « libérale » de la crise (système convergent)

Accentuation de la crise

Critique keynésienne « La crise engendre la crise » (système divergent)

Ex : En matière d’investissements, Keynes dit : "Le niveau des investissements dépend du caractère plus ou moins « sanguin37 » des entrepreneurs", ce qui signifie de manière sous-entendue qu’il suffit de réduire l’incertitude qui pèse sur l’avenir pour que les entrepreneurs (y compris les moins « sanguins ») investissent davantage38. Il faut rappeler que pour Keynes, c’est d’abord l’investissement (et non pas la consommation) qui peut être le vecteur d’une sortie de crise durable.

37 38

ou « animal spirits » (esprits animaux) Ce point de vue sera plus tard contesté par la théorie des anticipations rationnelles de Lucas

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

21

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie - Le chômage endémique des années 30 est au centre de ses préoccupations et de ses travaux. Contrairement aux néoclassiques, Keynes estime qu’il n’est pas nécessairement lié au fait que les salaires sont trop élevés, et qu’il ne suffit pas de les baisser pour espérer retrouver un équilibre de plein emploi. Il s’oppose donc aux politiques déflationnistes prônées alors par les économistes libéraux (comme Jacques Rueff en France39). Pour Keynes, le chômage est davantage dû au fait que les entreprises anticipent les faibles débouchés quand la consommation ralentit, il est donc la conséquence d’une insuffisance de la demande. Pour lutter contre le chômage et sortir de cette boucle de rétroaction positive et dépressive (le - entraîne le -), il faut stimuler la demande "effective" (en d’autres termes, encourager la consommation de biens et services ainsi que l’investissement des entreprises). Pour cela, Keynes préconise une hausse des dépenses publiques. La relance doit encourager la consommation et la reprise des investissements. Les dépenses de l'Etat doivent enclencher un "effet multiplicateur", vertueux devant favoriser la croissance, et in fine l’emploi. - Enfin, d'un point de vue monétaire et financier, Keynes préconise des injections massives de liquidités par la baisse des taux d'intérêt (favorisant ainsi le crédit, l’investissement et donc la consommation des agents économiques). A la limite, un certain niveau d'inflation (due notamment aux augmentations de salaires) est préférable à la déflation, et l'économie doit accepter l'idée d'un déficit budgétaire, que la croissance future se chargera de résorber. Il faut cependant noter qu’à l’époque de Keynes, la question de la dette publique ne se pose pas comme aujourd’hui, et les prélèvements obligatoires sont modérés (l’impôt sur le revenu est récent, 1914). Keynes n’était d’ailleurs pas partisan d’une fiscalité trop lourde considérant qu'au-delà de 25% de prélèvements obligatoires, il y avait "remise en cause fondamentale du régime capitaliste" (il est de l’ordre de 44% aujourd’hui).

b) Les successeurs de Keynes Après la mort de Keynes, différents courants ont plus ou moins repris l'héritage keynésien, et peut-être d'autant moins que l'on s'éloignait du contexte très particulier de la grande dépression des années 30. L’environnement économique a sensiblement évolué lors des « 30 glorieuses », il est également très différent aujourd’hui. Ce qui a nécessité une actualisation de la pensée du maître mort en 1946. Le keynésianisme « canal historique » constitué des disciples de Keynes a été assez éphémère, et s’est plus ou moins dilué dans un nouveau courant de néokeynésiens à partir des années 60, puis de nouveaux keynésiens (NEK) à partir des années 80. Ces 2 courants ont effectué un rapprochement avec les économistes libéraux, au grand dam d’une économiste comme Joan Robinson (1903-1983, disciple de Keynes) qui s’y est toujours fortement opposée. C’est ainsi que des économistes néokeynésiens comme Robert Solow et Paul Samuelson, ont été accusés de "dégénérer" le keynésianisme en recherchant la synthèse avec les néoclassiques (controverse des 2 Cambridge40). À l'instar de Keynes, Joan Robinson croit que le capitalisme est un système économique efficace, à la condition qu'il soit encadré beaucoup plus strictement que ne le suggère la pensée libérale. Ces néokeynésiens se sont également intéressés à l’offre (retour à JB Say) et pas seulement à la demande. Par exemple, si l’équilibre sur un marché n’est pas atteint, les causes sont à chercher à la fois dans les rigidités des prix et des salaires sur les marchés (approche plutôt libérale), et dans l’existence d’une incertitude se traduisant par des asymétries d’informations (approche plutôt keynésienne). Ce courant raisonne également de plus en plus dans le cadre d’une économie ouverte, alors que Keynes raisonnait plutôt dans le cadre d’une économie fermée. En économie ouverte, les politiques d'intervention de l'Etat pour stimuler l'économie butent sur la contrainte extérieure, car une partie des stimulations du pouvoir d'achat profite aux importations (échec relatif des politiques de relance Chirac de 1975 et Mauroy de 1982). Ce courant envisage également la possibilité d’une situation de baisse durable du chômage, et donc de tensions sur le marché du travail, dans le cadre d'une économie en croissance, ce qui n'était évidemment pas envisageable pour Keynes à son époque. De fait, l’Etat peut être amené à intervenir en période de « suremploi » pour éviter la surchauffe de l'économie (on en est évidemment très loin aujourd’hui) : * Il peut ainsi freiner la demande en menant une politique budgétaire restrictive : Pour simplifier, cela consiste par exemple à réduire les dépenses publiques et/ou à limiter le plus possible les baisses d’impôts pour éviter la surchauffe de l’économie et en particulier l’inflation. 39

L’économiste français J.Rueff (1925) considérait qu’en période de baisse des prix, les salaires devaient également baisser, et que les allocations chômage étaient responsables du chômage (chômage volontaire) 40 Cambridge en Angleterre et Cambridge aux États-Unis. Le débat était alimenté principalement par les économistes Joan Robinson et Piero Sraffa de l'université de Cambridge en Angleterre et les économistes Paul Samuelson et Robert Solow du Massachusetts Institute of Technology aux États-Unis.

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

22

Connaître la pensée économique pour comprendre l'économie *

Il peut également freiner la demande en utilisant la politique monétaire : Les autorités monétaires favorisent alors une hausse des taux d'intérêt dans le but de ralentir les investissements, favoriser l'épargne, et diminuer la consommation. Le courant néokeynésien est ainsi rattaché à ce que l'on a appelé le « keynésianisme hydraulique » pratiqué par les gouvernements dans les années 50/70. Le circuit économique est vu comme une grande machine dont l'Etat est le pilote. Il peut agir par un réglage fin de l'économie en manipulant certains leviers (politiques budgétaire ou monétaire) pour relancer la machine quand elle est en baisse de régime, et inversement. En réaction aux néolibéraux, une «nouvelle économie keynésienne » (NEK) a vu le jour dans les années 80. Ce courant reste critique envers les prescriptions des keynésiens « orthodoxes » (déficit budgétaire et taux d'intérêt bas) qui, selon la NEK, ne tiennent pas assez compte des problèmes structurels de l’économie. Ils reconnaissent ainsi la nécessité de prendre en compte les politiques d’offre, et considèrent que la politique conjoncturelle ne doit pas être la seule façon pour l’Etat d’intervenir. Ils conservent néanmoins de Keynes deux principes majeurs : l'imperfection du marché et la nécessité de l'intervention de l'Etat. Ils admettent cependant que, outre un sous-emploi lié à une insuffisance de la demande, le chômage comporte également une composante offre, c'est-à-dire une rigidité du travail et des salaires (pouvoir des syndicats, coûts de licenciement). Cette nouvelle génération de keynésiens est incarnée par des économistes importants : Grégory Mankiw (1958,), George Akerlof (1940, prix Nobel d'économie en 2001), Olivier Blanchard (1948, France, actuel économiste en chef du FMI), Joseph Stiglitz (1943, prix Nobel d'économie en 2001), Stanley Fischer (1943, actuel gouverneur de la Banque d'Israël), Lawrence Summers (ancien secrétaire au trésor de Bill Clinton), Paul Krugman (1953, prix Nobel d'économie en 2008), Janet Yellen (1946, actuelle présidente de la Fed), etc.

Bibliographie indicative -

Comprendre les économistes (Alternatives économiques – HS N°31) L’histoire de la pensée économique (Alternatives économiques – HS N°73 – T3 2007) L’économie de marché (Alternatives économiques – HS N°77 – T3 2008) Le capitalisme (Alternatives économiques – HS N°65 – 2005) La grande aventure de l’économie (Alternatives économiques – HS N°67 – T1 2006) Les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire (René Passet – Les liens qui libèrent - 2010) Keynes ou l’économiste citoyen (Bernard Maris, Presse Sciences Po – 2007) Antimanuel d’économie (Bernard Maris, Editions Bréal – 2004) (disponible gratuitement en ligne)

-

Université populaire – Jaunet Philippe - janvier 2015

23

Connaître la pensée économique1.pdf

premier à avoir développé quatre cents ans avant Jésus Christ une réflexion sur un sujet économique dans des écrits,. en particulier dans « l'Oeconomique » (il ...

751KB Sizes 2 Downloads 38 Views

Recommend Documents

Radiografía de la Reforma Sanitaria. La universalidad de la ...
Radiografía de la Reforma Sanitaria. La universalidad de la Exclusión.pdf. Radiografía de la Reforma Sanitaria. La universalidad de la Exclusión.pdf. Open.

Rue La La UK
streamlined with Google's solution by giving Android users the option to link Google Wallet to Rue La La with a single click, overcoming what Gabriella noted.

Rue La La UK
Sign-up, sign-in, and checkout processes are all streamlined with Google's ... required to back end systems, integration with existing software was seamless.

Healthy Moo Baa La La La
Nov 30, 1982 - PDF File : How To Get Free Moo Baa La La La. Improving Moo Baa La La La. Moo Baa La La La - This raucous story about the sounds animals.

from La La Land
Another Day Of Sun (from La La Land) sheet music by La La Land Cast (Piano & Vocal – 179165).pdf. Another Day Of Sun (from La La Land) sheet music by La ...

La bella y la bestia.pdf
Mi amiga no parece bromear. Yo murmuro: «¿De veras?», con acento tan grave y aire seguramente tan. desconsolado, que la señora se apiada después de ...

La teoría de la asociación diferencial para la explicación de la criminalidad y la articulación de una política criminal
Esta teoría señala que los sujetos han llegado a aprender a ser criminales por una serie de técnicas trasmitidas culturalmente, principalmente por el empoderamiento que adquiere el crimen en determinados grupos, donde se consolida dicha actividad y

la experiencia de la arquitectura.pdf
la experiencia de la arquitectura.pdf. la experiencia de la arquitectura.pdf. Open. Extract. Open with. Sign In. Main menu. Displaying la experiencia de la ...

LA LA LAND Piano Suite.pdf
There was a problem previewing this document. Retrying... Download. Connect more apps... Try one of the apps below to open or edit this item. LA LA LAND ...

La lechuza y la mariposa.pdf
Page 1 of 4. La lechuza y la mariposa. Autora Cayetana Rodenas. Ilustradora María Paseli ... Mientras tanto el sol y la luna seguían brillando, día. o noche, y eran muy amigos a pesar de salir en. distintos momentos. ... los consejos de Sol y Luna y

La liga de la justi
ManyGovernment officials we'reinvolved in aconspiracy. Epic mickey illusion. ... Thered dragon and thesheep pdf.Physical. control ofthe mind.Teenmoms05e02.

LA PERVIVENCIA DE LA HISPANIDAD.pdf
en la separación de aquel enclave agroexportador opuesto al presidente Morales. Santa Cruz de la Sierra es la capital agroindustrial de Bolivia. Su burguesía,.

la experiencia de la arquitectura.pdf
Whoops! There was a problem loading this page. Retrying... Whoops! There was a problem previewing this document. Retrying... Download. Connect more apps ...

La teoría de la asociación diferencial
La teoría de la asociación diferencial

La servante, la maîtresse.pdf
attendons d'eux qu'ils les suscitent en nous davantage que de la poésie. romantique (disons celle de Hugo). Non point parce que ce texte nous. raconterait une ...

La participación activa de la ciudadanía como elemento clave para la reducción de la violencia en México
El presente artículo se divide en tres partes, en la primera se revisa el concepto de seguridad como aspecto integral, contemplando diversas condiciones como la estabilidad social, trabajo, salud, entre otros, dando una vista más allá de la seguridad

El paso del positivismo por la antropología y la criminología para la comprensión criminal y la organización social
Las explicaciones antropológicas de la criminalidad surgen en Italia en la cumbre del positivismo, cuyo liderazgo lo llevaron los médicos, estos buscaron en la animalidad y rasgos primitivos, los estímulos criminales. Posteriormente, se reivindican l

pdf-0139\el-aroma-de-la-oscuridad-la-llamada-de-la ...
... Christina Dodd. Page 3 of 7. pdf-0139\el-aroma-de-la-oscuridad-la-llamada-de-la-oscuridad-1-spanish-edition-by-christina-dodd.pdf.