CORNERSTONE N° 50 – Eté (AUTOMNE) 2008 Publication trimestrielle du Centre œcuménique de Théologie de la Libération

LA

NAKBA

SE

SABÎL

POURSUIT Naïm Ateek Traduction Liliane Buot

DANS CE NUMERO

La Nakba se poursuit, Naïm Ateek Pourquoi êtes-vous revenus, Habib et Gosayna Karam Pensées pour faire réfléchir, Munir Fasheh Rompre le silence, George B. Sahhar Impressions sur la Conférence pour Jeunes Adultes de Sabîl, Margaret Evans, Hanna Ölhlen, Lina Saleh Ma qualité de Résidente, pas plus, Mona Nasir Une réflexion biblique : Un chant de justice, 3° Conférence pour Jeunes Adulte Les secrets des oliviers, ces choses qui font l’Histoire Jewish Peace News (JPN)

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« Prenez bien garde à la façon dont vous vous conduisez. Ne vous conduisez pas comme des ignorants mais comme des sages. Faîtes un bon usage de toute occasion qui se présente à vous, car les jours que nous vivons sont mauvais. C’est pourquoi ne soyez pas insensés, mais efforcez-vous de comprendre comment le Seigneur veut que vous agissiez. »

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Philippiens 5,15-17

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(Traduction Français courant)

Quand on examine l’histoire du conflit israélo-palestinien depuis le 19ème siècle jusqu’à la création de l’Etat d’Israël, au milieu du 20ème siècle, on peut relever au moins sept données historiques majeures qui ont finalement, de façon directe ou indirecte, produit la Nakba palestinienne. Pour aider le lecteur à comprendre cet arrière-plan historique, il convient de résumer brièvement ces éléments :

1) Dès les débuts du 19ème siècle, on peut constater le développement d’une théorie …/…

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d’inspiration millénariste dans certains cercles évangéliques et protestants d’Europe occidentale, plus spécialement en Angleterre, et plus tard aux Etats-Unis. Cette doctrine mettait l’accent sur la place centrale du peuple juif dans le projet historique de Dieu, l’importance capitale de son retour en Palestine, en accord avec la prophétie biblique, et le rétablissement de son ancien royaume, comme prélude à la seconde venue du Christ, avec la grande bataille d’Harmaguedon, la défaite finale du mal, la fin du monde et la création d’un nouveau ciel et d’une nouvelle terre.

2)

L’émergence du mouvement sioniste en Europe, à la fin du 19ème siècle, à la recherche d’un havre sûr pour les Juifs qui ont longtemps souffert en tant que minorités vivant parmi les Chrétiens d’Europe de l’Est et de l’Ouest. Le mouvement sioniste imagina la création d’un état juif en Palestine et ses environs, dans la perspective coloniale et impérialiste de l’époque. 3) S’en suivit alors l’accord du gouvernement britannique pour adopter et soutenir le projet sioniste, que nous connaissons comme la Déclaration de Balfour de 1917, juste avant la fin de la première guerre mondiale. Ensuite, les Britanniques assurèrent leur mandat sur la Palestine, et ils commencèrent à aider les Sionistes à réaliser leur rêve en Palestine. 4) La Déclaration Balfour donna un grand élan au mouvement sioniste. Ce dernier intensifia ses actions au sein des communautés juives partout dans le monde et entretint des liens importants parmi les personnes influentes, y compris des fonctionnaires de haut niveau et des chefs de gouvernement dans divers pays, surtout en Europe et aux Etats-Unis. 5) La tragédie de l’Holocauste pendant la deuxième guerre mondiale et les souffrances des Juifs sous le régime nazi ont accentué le problème juif, et ont attiré l’attention sur la condition des juifs en Europe. Cela leur valut une immense sympathie et la quête urgente d’une solution viable. 6) Le Mouvement Sioniste, grâce à ses amis influents dans le monde et surtout aux Etats-Unis, a réussi à faire adopter le Plan de Séparation de la Palestine en novembre 1947 par l’Assemblée Générale des Nations Unies, qui donnait plus de 55% de la terre de Palestine à l’Etat juif qui, légalement, en possédait alors moins de 7%. 7) Les Sionistes réalisèrent leur projet de créer l’Etat d’Israël et parvinrent à réaliser militairement l’épuration ethnique de 78% de la terre de Palestine et de son peuple palestinien et à démolir plus de 500 de leurs villes et villages. Ces sept éléments sont fondamentaux pour comprendre l’arrière plan de la Nakba palestinienne. Cependant on ne peut pas taire la faiblesse des chefs arabes et palestiniens de l’époque, leur diplomatie inefficace (voire leur complicité avec les chefs sionistes), leur manque de projet solide et leur organisation défectueuse. Dans une certaine mesure, ils ont sous-estimé aussi bien l’entraînement et la puissance militaire des Sionistes que leurs réseaux d’influence à l’étranger, qui protégeaient et soutenaient les initiatives de l’Etat naissant. Quand on considère les événements des soixante dernières années, il est clair pour la plupart des gens que ni les Palestiniens, ni les pays arabes, ni la communauté internationale à travers les Nations Unies, n’ont pu mettre un terme à la tragédie de la Palestine. Aucune résolution équitable du conflit n’a été mise en œuvre. En fait, la situation politique se détériore depuis l’occupation de ... / …

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la Cisjordanie et de la Bande de Gaza en juin 1967. Depuis lors, l’Etat d’Israël ne cesse de progresser à pas de géant économiquement et militairement. Sa pression militaire sur la terre palestinienne et sa population restante devient plus lourde et plus dure. Autrement dit, non seulement la Nakba palestinienne a continué ; elle s’est aggravée. Alors que le gouvernement israélien a réussi à faire alliance avec les Etats Unis, la plus forte puissance économique et militaire d’aujourd’hui, les Palestiniens n’ont pu bénéficier de l’appui d’alliés puissants pour les protéger et plaider leur juste cause. Au lieu de comprendre qu’aucune vraie justice ne viendra jamais des Etats Unis à cause de leur engagement constant envers Israël, les autorités palestiniennes ont continué, dans leur désespoir et frustration, à se raccrocher à l’administration américaine. Dans un monde soumis à l’hégémonie d’une puissance, la justice ne se définit pas toujours d’après les principes de la loi internationale, mais selon les intérêts du pays le plus fort et de ses alliés. Dans un tel contexte, on a lâché la bride à Israël. En grande partie, il a été libre d’agir à sa guise contre les Palestiniens et de leur dicter sa volonté, et cela en violation des décisions de la communauté internationale, sans qu’aucune puissance ne s’y oppose. Il importe de se souvenir que, lorsque les Nations Unies ont partagé la Palestine et légitimé la création d’Israël en 1947, les forces sionistes ont immédiatement commencé à procéder à la purification ethnique de la partie de la Palestine qui leur était octroyée. De fait, en faisant place nette, ils ont aussi vidé de sa population la partie devant revenir à l’Etat palestinien. Les Nations Unies ont ordonné aux Sionistes de rebrousser chemin et de permettre le retour des réfugiés. Israël, dès le début, s’est moqué des résolutions des Nations Unies. Il n’a jamais permis le retour des réfugiés, ni n’est revenu aux limites de la partie de la Palestine qui lui avait été attribuée. L’incapacité de la communauté internationale à rester ferme face à l’intransigeance d’Israël a entraîné un scénario répétitif. Les Etats Unis et leurs alliés ont ignoré les pratiques injustes et la politique expansionnistes des Israéliens. On peut ajouter à cela la faiblesse des chefs palestiniens et arabes, leur manque d’imagination et d’unité, et leur incapacité à utiliser leurs capacités de pression sur les Etats Unis afin de les obliger à mettre fin aux violations des droits humains et politiques des Palestiniens par les Israéliens. Dans une telle situation, la Nakba palestinienne est vouée à continuer et à s’aggraver. Chris Hedges a écrit fort à propos, « Les extrémistes ne commencent jamais en tant que tels. Ils le deviennent peu à peu. Ils progressent avec précaution dans une société ouverte. Ils avancent seulement tant qu’ils ne trouvent pas de résistance. Et aucune société n’est à l’abri d’une telle catastrophe morale » (Hedges : 2006, 152). Depuis 1948, Israël a pu continuer dans l’injustice à cause de la faiblesse de la communauté internationale (ONU) qui n’a pas pu ou n’a pas voulu maîtriser l’appétit vorace d’Israël pour la terre palestinienne et la domination de son peuple. …/…

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Il y a d’autres facteurs qui ont contribué à ce que la Nakba perdure. On pourrait les résumer de la façon suivante : 1) En plus des éléments mentionnés ci-dessus, y compris le mauvais usage de la Bible à l’appui des revendications des Israéliens, et le mauvais usage de l’Holocauste pour faire naître un sentiment de culpabilité et de sympathie chez les gens, la peur est un facteur puissant qui en empêche beaucoup, bienveillants et informés, dans le pays comme à l’extérieur, de prendre une position courageuse et prophétique contre l’injustice des Israéliens. La peur conduit au silence, et cela permet à Israël de poursuivre et d’intensifier son oppression. 2) Israël est devenu une grande puissance militaire et économique et jouit d’un large réseau d’affaires dans beaucoup de pays qui ne sont pas prêts à renoncer à leurs intérêts au bénéfice d’une solution palestinienne qu’ils jugent incertaine. 3) L’accent mis la judéité de l’Etat d’Israël, l’obsession démographique pour maintenir une majorité israélienne face à une minorité palestinienne, et la politique expansionniste de colonisation sont trois facteurs qui, ensemble, ont contribué à la perpétuation de la Nakba. 4) L’inefficacité des négociations frustrantes, fastidieuses et interminables entre les autorités palestiniennes et le gouvernement israélien ont conduit certains Palestiniens à choisir d’utiliser la violence pour parvenir à la libération. Ce cercle vicieux de la violence a aussi contribué à ce que la Nakba perdure.

5)

La lutte meurtrière à l’intérieur même de la communauté palestinienne, spécialement entre le Fatah et le Hamas, et cette violence interne continuelle n’a pas seulement prolongé la Nakba, elle a créé une nouvelle Nakba. Ces quelques mots du livre des Lamentations décrivent bien cette Nakba permanente: « Souviens-toi, Seigneur, de ce qui nous arrive. Regarde et vois comme on nous insulte ! Notre héritage est détourné au profit d’étrangers, nos maisons au profit d’inconnus. Nous sommes devenus orphelins, sans pères ; nos mères sont comme des veuves. Nous devons payer l’eau que nous buvons ; le bois que nous ramassons doit être acheté. Avec un joug sur notre cou, nous sommes malmenés, nous sommes exténués, on ne nous donne aucun repos… La joie a disparu de nos cœurs ; nos danses se sont changées en deuil. » (Chapitre 5, extraits) Cependant, au milieu de cette horreur et de ce désespoir, l’auteur des Lamentations conclut sur l’affirmation de la souveraineté de Dieu : « Mais toi, Seigneur, tu règnes pour toujours ; ton trône subsiste de génération en génération…..Ramène-nous vers toi, renouvelle nos jours comme autrefois… » (5 : 19-21). Il y a des périodes sombres dans l’histoire d’une nation, périodes où les croyants doivent réaffirmer leur confiance et leur espérance en leur Dieu vivant. Une telle confiance et un tel espoir en Dieu rendent jeunesse et énergie à la communauté alors qu’elle continue à lutter pour sa libération. Beaucoup de Palestiniens aujourd’hui, chrétiens et musulmans, affirment leur confiance et leur espérance dans la souveraineté de Dieu qui les conduira à la justice et à la liberté.

POURQUOI ÊTES-VOUS REVENUS ?

Habib et Gosayna Karam

Traduction Anne-Laure Bandelier « Pourquoi êtes-vous revenus ? » C’est une question que les gens nous posent à ma femme et à moimême quand ils découvrent que nous vivions aux Etats-Unis jusqu’à ce que nous revenions nous installer dans notre ville d’origine, Nazareth. Si j’avais déposé un dollar sur mon compte-épargne chaque fois que quelqu’un m’a posé cette question, nous ne serions pas millionnaires, mais nous serions plus riches d’au moins 1 000 dollars. J’ai toujours essayé de leur dire d’une façon ou d’une …/…

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autre que vivre à l’étranger n’est pas si simple, ni si agréable. Ma femme Gosayna leur dit que le fait même que nous soyons revenus a du sens. Mais pourquoi sommes-nous revenus ? En 1980, après avoir terminé le lycée à Nazareth, je suis allé rendre visite à mes oncles, tante et grand-mère qui vivaient à Los Angeles. Et là, j’ai suivi les cours à l’Université ; j’en suis sorti avec un diplôme de Sciences en Ingénierie électrique. Peu après, j’ai trouvé un travail chez Sun Microsystems dans la Silicone Valley, et j’ai déménagé là-bas. C’était bien de vivre à Los Angeles, loin de la maison ; je m’étais fait des amis au Club catholique Newman, et j’avais ma famille à proximité. Par contre, déménager en Californie du Nord pour le travail a été totalement nouveau pour moi. La famille n’était plus là pour me soutenir, et mes amis étaient à six heures de route de là. Nouvelle vie, nouveau départ. En 1979, Gosayna avait émigré avec sa famille depuis une ville dans les environs immédiats de Nazareth à Melbourne en Australie. C’était un tout nouveau départ pour eux. Elle avait tout juste 11 ans à cette époque. En 1988, je suis retourné à Nazareth pour le mariage de ma sœur. Gosayna y était aussi, en visite chez ses parents. Nous nous sommes rencontrés, nous sommes plus, et avons eu deux ans d’une relation à longue distance, avant notre mariage en 1990 à Nazareth, après quoi nous sommes repartis aux Etats-Unis pour y vivre. Gosayna a travaillé pour HP (Hewlett Packard) et plus tard, elle m’a rejoint chez Sun Microsystems. Le 7 mai 1993, notre premier fils est né et nous l’avons appelé Akram Fabian Karam. Akram était le nom de mon père, et habituellement, dans notre culture, le premier enfant du fils aîné (si c’est un garçon) porte le nom de son grand-père paternel. Mes parents ainsi que la mère de Gosayna sont venus nous voir. Nous avons baptisé Akram, et ils ont assisté à ma remise de diplôme pour mon MBA (Maîtrise de gestion d’affaires). Puis, tout le monde est reparti et nous nous sommes sentis bien seuls. Il n’y avait pas de grands-parents près de nous pour nous aider et nous guider dans l’éducation d’Akram, mais nous nous en sommes sortis. Pourtant, nos vies changèrent le matin du 15 octobre 1993 lorsqu’à notre réveil, nous avons découvert que notre bébé nous avait quittés pour aller vers Dieu. C’était le syndrome de mort subite du nourrisson. Il n’avait que 5 mois ; il était rempli de sourires et il était le soleil de nos vies. Nous étions complètement seuls. Les amis et la famille proche sont venus nous réconforter, mais ils ne firent qu’un aller et retour. Nos parents, nos frères et sœurs n’étaient pas avec nous. Nous nous sentions seuls et loin de la maison. Le 29 août 1994, Christopher John est né, et la joie est entrée à nouveau dans nos vies. Pourtant, nos nerfs étaient mis à rude épreuve chaque fois que Christopher dormait un peu plus longtemps le matin et que nous allions vite voir s’il allait bien… Le 20 juin 19997, nous avons été encore bénis par la naissance de Matthew John. Nous étions très heureux avec nos deux fils, et Gosayna a décidé de quitter son travail pour rester à la maison avec les garçons. Ce fut une décision importante pour nous, mais nous avons pensé tous les deux que ce serait mieux pour les enfants, et nous avons fait confiance, sûrs que Dieu est toujours avec nous. J’ai changé de travail ; nous sommes partis, nous avons emménagé dans une plus grande maison, en banlieue, et nous avons acheté de nouvelles voitures. …/…

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« Pourquoi êtes-vous revenus ? » demandent les gens. Mais pour l’amour, la paix et la joie ! Nous sommes revenus pour être « chez nous ». Nous appartenons à ce pays, à cette langue, à cette culture et à la plupart des gens. Sur le plan matériel, la vie était belle, mais du côté du cœur nous avions toujours le sentiment de ne pas être vraiment heureux. Bien sûr, j’avais un bon travail, et nous avions la « belle » vie, mais nous ressentions toujours un certain vide parce que les Etats-Unis n’étaient pas « chez nous ». Je rentrais à la maison du travail à 17 h chaque soir et je fermais la porte. C’était la routine de notre vie quotidienne. Nous ne nous sommes jamais sentis rassurés pour la sécurité de nos enfants même si nous habitions dans un nouvel environnement. Nous ne pouvions jamais les laisser jouer seuls dehors dans la cour de devant. Même au parc, nous ne les laissions jamais jouer seuls (si vous avez habité en Californie, vous savez de quoi je parle). Nous achetions du lait au supermarché, et sur l’emballage, il y avait la photo d’un enfant disant « M’avez-vous vu ? ». Cela ne nous aidait certainement pas à nous sentir en sécurité. Nous étions en train de vivre le « rêve américain », mais à quel prix ? Qu’est-ce qui était important pour nous ? Quel était la priorité des priorités ? Dieu nous a bénis avec la naissance d’une fille, Serene Thérèse, le jour de la, fête de Thanksgiving, le 25 novembre 1999. Nous en étions tout excités. La venue de cette petite fille était une grande bénédiction pour nous tous. Toutefois, alors que tout le monde célébrait le Nouvel An, nous sommes tombés malades tous les cinq, cloués au lit pendant cinq jours. Gosayna et moi-même ne pouvions pas vraiment nous occuper des enfants, mais nous devions nous débrouiller malgré tout. Nous nous disions que nos parents auraient pu venir prendre soin de nous si nous avions habité près de chez eux. Nous ne nous sommes jamais sentis aussi désarmés à l’égard de nos enfants. Nous avions déjà pris du recul par rapport à nos vies, pensé à nos priorités et à l’endroit où nous voulions vivre, mais cette expérience nous a fait envisager plus sérieusement notre retour « au bercail » à Nazareth. En dépit de nombreux amis très proches, de différentes nationalités et religions, nous avons pris la décision de rentrer définitivement chez nous durant l’été 2001. Nous avons commencé à faire des projets ! Durant l’été 2000, nous avons fait un voyage familial à Nazareth et avons cherché à acheter une maison, inscrit les enfants à l’école et accompli d’autres formalités nécessaires au déménagement. A Noël de la même année, mes parents nous ont rendu visite et ils ont passé notre dernier Noël et Jour de l’An aux Etats-Unis avec nous. Pour nous faire une surprise, ils avaient emmené avec eux ma nièce de 11 ans. Quand nous sommes arrivés à la maison depuis l’aéroport, Christopher est allé droit dans sa chambre et il a fermé la porte. Quand Gosayna est partie le chercher et lui a demandé pourquoi il n’était pas avec toute la famille, il lui a expliqué qu’il détestait s’attacher à la famille parce qu’un jour elle repartirait. En se tenant loin, il se protégeait ainsi émotionnellement des difficultés qui accompagnent les « adieux ». C’est alors que nous avons réalisé tous les deux combien nos enfants ressentaient le même vide que nous. Ce vide qui provient de la distance entre les grands-parents, les tantes et les oncles et leurs petits-enfants, neveux et nièces. Aussi longtemps que nous resterions aux Etats-Unis, nos enfants continueraient de ressentir ce vide plutôt que l’amour qui provenait de la famille entière. Nous avons déménagé le 4 juillet 2001. Cela faisait 21 ans que j’étais parti et Gosayna, 22. Nous rentrions à la maison. Nous sommes Palestiniens et c’est notre pays, nous voulions être chez nous là où tous nos ancêtres et nous avons grandi et vécu. Aux Etats-Unis, nous nous sentions seuls ; nous sentions que nous perdrions un peu de notre identité à chaque génération. Aux Etats-Unis, nous …/…

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avons rencontré la seconde et troisième génération d’Américains d’origine arabe et nous avions sympathisé avec eux. Leurs enfants épouseraient des personnes d’autres nationalités et commenceraient à perdre leur identité. Ils oublieraient facilement la langue et perdraient tous les liens avec le pays de leurs ancêtres ! Dès notre arrivée, nous avons loué une maison en attendant d’avoir la nôtre. Matthew et Christopher ont commencé l’école en septembre de la même année. Ils se sont fait des amis tant à l’école que dans le voisinage. J’ai commencé mon nouveau travail en août. Nous nous sommes sentis vraiment « chez nous », nous avons énormément apprécié d’être près de notre famille, et de savoir nos enfants en sécurité. C’était chez nous dans le plein sens du terme. Les autres pays, même si l’expérience y était intéressante, n’étaient pas « chez nous » pour nous. Nous avions pris notre décision et nous avons fait confiance. Nous avons tout vendu sans regarder en arrière. Il y avait des obstacles à franchir, beaucoup de choses nouvelles à mettre en place et à apprendre, mais nous n’avons pas abandonné. Nous avons regardé chaque obstacle comme une expérience enrichissante et nous avons repris la route. Nous n’avons jamais douté de notre décision. Nous sommes allés aux Etats-Unis en famille, deux ans après notre retour. Nous y avons eu un bon séjour, mais après trois semaines, les enfants voulaient rentrer à la maison ! C’est alors que nous fûmes persuadés d’avoir pris la bonne décision. Nous sommes de retour depuis sept ans et nous ne pouvons pas imaginer déménager un jour de Nazareth. Gosayna et moi-même sommes engagés en tant que bénévoles dans différents endroits. En plus de notre travail et de l’éducation de nos enfants, nous nous sommes investis dans l’école de nos enfants, dans l’association Sabîl, à l’Eglise et dans d’autres lieux. Nous encourageons toujours les gens, en particulier les écoliers, à rendre service à la communauté en s’engageant dans les hôpitaux et dans les organisations à but non lucratif. Notre famille a été bénie par la naissance d’une autre fille, le 7 mai 2006. Katrina est née exactement treize ans après la naissance de notre petit ange Akram. Ce fut une vraie bénédiction divine. Nos vies sont remplies d’amour. Même si nous vivons dans un pays où la paix (politique) n’a pas sa place, nous sommes en paix dans notre vie quotidienne. Le vide nous a quittés et nos vies sont remplies par la famille, les voisins et les amis. Nous habitons dans une grande communauté avec laquelle nous partageons joies et émotions fortes quand des couples se marient, et l’affliction quand d’autres passent sur l’autre rive. Le soutien reçu de nos familles a été formidable pour nous. Nous trouvons même du temps libre pour notre vie de couple, même avec quatre enfants. Nous n’avons jamais d’entretien avec les baby-sitters, mais nous pouvons leur faire confiance. Nos enfants ont plus de liberté de mouvement, comme aller chez leur grand-mère à pied, faire les magasins, revenir de l’école en bus, jouer dans le voisinage avec des enfants de leur âge, etc. Nos enfants ont une vie sociale active, en toute sécurité. Il est rare qu’ils s’ennuient ne s’ennuient ! Tout le monde connaît tout le monde, c’est bien un environnement sur pour nos enfants. Tout le monde s’occupe de vous et vous soutient, dans les joies comme dans les peines. Chaque pays a ses avantages et ses inconvénients. Pour nous, la vie ne va pas de soi. Elle est trop courte, et la priorité ne consiste pas à s’occuper des biens matériels, mais de l’amour et de la famille. Nous voulons que nos enfants grandissent dans les bras de leurs grands-parents et de la grande famille qui les aime. Les événements comme les anniversaires, les premières communions, Pâques, et Noël parmi d’autres ont pris un sens nouveau. Ils sont remplis de plaisir, de joie et d’amour. « Pourquoi êtes-vous revenus ? » demandent les gens. Mais pour l’amour, la paix et la joie ! Nous sommes revenus pour être « chez nous ». Nous appartenons à ce pays, à cette langue, à cette culture et à la plupart des gens. __________________

- Habib Karam travaille dans une entreprise de haute technologie et il est membre du bureau de SabeelNazareth. - Gosayna Karam travaille pour une organisation à but non lucratif.

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IDEES

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A

MEDITER

REFLEXIONS DE FOI SUR LA NAKBA Munir Fasheh Traduction Gilbert Charbonnier

Quel fut le message principal de Jésus durant sa vie ? A mon, avis, c’est la protection de la vie et des gens à l’égard de tout ce qui leur nuit et de quiconque leur fait mal, les déchire, leur ôte leur valeur – notamment l’injustice et les ois injustes. Son commandement majeur pour affronter de telles menaces, pour protéger et fortifier les gens est de s’aimer les uns les autres. L’amour et le respect pour les gens furent au centre de sa vie, et s’illustrèrent dans ses paroles et ses actes. Je désire poursuivre et m’inspirer de tout ceci, en essayant de m’imaginer ce que Jésus pourrait nous dire au sujet de la Nakba. Par ses paroles et ses actes, il a toujours défié les opinions dominantes, les idées reçues, les mesures, et les relations qui déchirent la vie. Je vais donner quelques exemples de ces défis avant de continuer avec ce que Jésus nous dirait de la Nakba. Dans les paroles et les actes de Jésus, il est toujours fait une nette différence entre les gens et ceux qui veulent écraser les gens. Par exemple, il a défié les hommes satisfaits d’eux-mêmes en demandant que celui qui est sans péché lance la première pierre contre la femme (adultère). Il n’a pas fait de reproche à la femme, il a plutôt défié les hommes. Il a replacé la femme et les hommes dans le contexte social de leur affaire. Il a vu en elle une victime, et en eux des gens avides de pouvoir et d’autorité. Il a manifesté sa compassion en faisant une différence entre la femme et son comportement. Il a pris la défense de la femme, pas de son péché. En comparaissant devant Pilate, Jésus refusa de se défendre contre les accusations portées contre lui ; il s’est contenté de dire : « C’est toi qui le dis ». Il s’est refusé à reconnaître une légitimité à l’occupant ; au pouvoir militaire et politique – C’est une forme de résistance rare dans l’histoire. Dans le Temple (de Jérusalem), il a pris un fouet et chassé les prêteurs à gages qui

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asservissaient le peuple sur le plan économique. Il n’a pas combattu la pauvreté et la misère, mais plutôt leurs causes : l’avidité et le pouvoir. Dans le monde d’aujourd’hui, cela revient à quelqu’un qui prendrait un fouet pour expulser de la Banque mondiale et de ses succursales beaucoup de personnages de renommée « nationale ». Jésus doit probablement attendre que nous fassions de même : au moins que nous soyons particulièrement prudents à l’égard des banques qui prolifèrent comme des champignons à Ramallah. Il est très significatif de noter que Jésus a été beaucoup plus dur à l’égard du pouvoir économique qu’à l’égard des pouvoirs politique ou militaire – peut-être parce que celui-là est plus subtil, et qu’il provoque un mal plus profond et plus consistant. Il est aussi significatif de noter qu’il ne s’attaque pas au pouvoir culturel – probablement parce que, à l’époque, le pouvoir culturel n’était pas aussi développé qu’aujourd’hui. Pourtant, si Jésus devait dire quelque chose aujourd’hui, par rapport aux racines culturelles de la Nakba, il déclarerait sans doute : « Attention au pouvoir culturel ; c’est le plus dangereux ». Quand ses disciples ont refusé d’être indifférents ou aveugles devant les injustices à l’oeuvre dans leur milieu, les Pharisiens élevèrent la voix dans la foule pour dire à Jésus: « Maître, reprends tes disciples ». Et lui de leur répondre : « Je vous le déclare, s’ils se taisent, les pierres se mettront à crier » - chose qui s’est toujours répétée, encore et encore, en ce qui concerne les Palestiniens : les pierres se sont mises à crier. Dernier exemple ; Jésus a dit que si tu dis que tu aimes Dieu et que tu haïsses ton prochain, tu es un menteur. Pour Jésus, notre relation aux autres était le meilleur moyen de mesurer notre amour pour lui. « Pour Jésus, notre relation aux autres était le meilleur moyen de mesurer notre amour pour lui. » Ce qui précède peut nous aider à imaginer ce que Jésus peut nous dire au sujet de la Nakba. Il commencerait par nous rappeler sa propre histoire qui fut extraordinairement semblable à la nôtre (avec des noms différents) : il a été un sujet déshérité vivant sous la menace du pouvoir romain. La similitude entre la situation sociale de Jésus en Palestine et celle des Palestiniens aujourd’hui, au même endroit, est très frappante. Les gens que Jésus aimait et défendait avaient le dos au mur., Certains murs étaient visibles, tout juste comme aujourd’hui; d’autres étaient invisibles. En même temps, il nous rappellerait la similitude entre hier et aujourd’hui quant à la manière dont les gens font preuve de courage, d’intrépidité, et de force pour vivre avec amour, dignité, créativité, et foi. J’ai vu que ceci arrive encore et encore en Palestine … Exactement comme il le disait dans les récits que j’ai évoqués plus haut, il commencerait par lettre en question notre usage du mot Nakba, et les opinions et les idées qu’il exprime. Jésus ne parlerait pas de Nakba. Il fait très attention au choix des mots. Nakba, en langue arabe, fait référence – plus ou moins – à des désastres qui se produisent naturellement, sans aucun plan d’exécution préalable. Il est employé habituellement à l’occasion de désastres naturels (comme un tremblement de terre). Il n’en a pas été ainsi pour la Palestine. En 1948, les événements ne se sont pas produits par hasard ; ils ne furent pas le fruit d’une cause naturelle. Jésus les replacerait dans leur contexte historique, politique, militaire et économique. Il les qualifierait comme l’occupation étrangère de la terre d’un peuple, avec la destruction de leurs maisons et villages, et l’arrachage de leurs arbres. Il les qualifierait de crime contre les Palestiniens, planifié, imposé et exécuté au moyen d’une collaboration entre les Britanniques et l’organisation sioniste. Leurs origines remontent aux accords Sykes-Picot, à la Déclaration Balfour, et à tous ceux qui ont donné une légitimité à l’occupation de la Palestine. Il a toujours traité d’hypocrites les gens qui sont au pouvoir.

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Croire que les banques nous feront sortir de la Nakba (comme beaucoup le disent aujourd’hui) serait qualifié par Jésus de cruelle plaisanterie. Jésus nous rappellerait qu’il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à une riche société de faire le bien (ou d’aller au paradis). De même, il nous inviterait à dire aux créateurs de l’UNRWA que l’homme ne vit pas de pain seulement. Il désignerait la nouvelle Rome – Londres et Washington – comme la responsable de ce qui est arrivé en 1948, et de ce qui continue à se produire. Il nous rappellerait ce qu’il disait, il y a 2000 ans : Donner à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu – ce qu’on peut traduire pour ce qui concerne la Palestine de 1948, par : « Donner aux Britanniques ce qui appartient aux Britanniques, et aux Palestiniens ce qui appartient aux Palestiniens ». C’est-à-dire, renvoyer les Britannique en Grande Bretagne, et rendre la Palestine aux Palestiniens. Il était clair, même dans le mandat confié à la Grande Bretagne par la Société des Nations au sujet de la Palestine, qu’il s’agissait d’aider les Palestiniens à se gouverner eux-mêmes ! La Palestine était comme un coffre-fort confié à la Grande Bretagne ; coffre-fort qui n’a jamais été rendu à ses propriétaires légitimes. En réalité, cela signifie que les Palestiniens devraient réclamer aux Nations Unies et à la Grande Bretagne le coffre-fort appelé Palestine, qu’ils n’ont jamais rendu. Mon opinion est que Jésus irait encore plus loin ; il remonterait aux origines culturelles de ce qui est arrivé en 1948 : Les écoles occidentales qui s’installèrent en Palestine, et furent des outils pour compartimenter la société palestinienne à plusieurs niveaux. La domination culturelle a commencé avant l’occupation militaire et politique. Jésus nous rappellerait que la tragédie de 1948 n’a pas commencé avec la conquête militaire et politique, mais par une conquête au niveau des opinions et des idées. Elle a commencé par la déchirure du « monde intérieur » de chaque personne, et du tissu social au sein de la communauté. Elle s’est opérée au nom de la civilisation, de l’éducation et de la conversion. On a même travaillé dur pour convertir les seules communautés chrétiennes autochtones au monde ! J’éprouve de la pitié pour ceux qui ramènent le christianisme à un effort pour la conversion de gens. Les premiers phénomènes migratoires hors de Palestine n’ont pas eu lieu sous la contrainte, mais furent le fait des missions religieuses et éducatives : les gens y étaient plus préparés à vivre à Londres, Detroit ou San Francisco, que dans leurs propres villages ou communautés. De plus, ces missions ont modifié ce qui fait la valeur d’une personne : elle n’a plus résidé dans son harmonie intérieure et dans l’harmonie de ses relations avec les gens et la nature qui l’entourent, mais la source de l’estime de soi s’est trouvée dans les décisions et les comités de Londres ou de Philadelphie. C’est le péché d’arrogance qui a désorienté ceux qui sont venus avec les meilleures intentions, et qui sont devenus des instruments à la fois de l’autosatisfaction et de la supériorité raciale. Il est difficile d’accorder trop d’importance au rôle joué par la domination culturelle dans la déchirure du tissu social dans la société, et dans la spoliation des gens au niveau de ce qu’ils possèdent, de leur manière de vivre, de leur vie relationnelle, de leur savoir, de ce qu’ils sont capables de faire par eux-mêmes. Wasif Jouhariyyeh, un chrétien palestinien de Jérusalem, relate dans ses mémoires (qui couvrent des périodes antérieures et postérieures à l’occupation britannique de la Palestine) que l’un des tout premiers règlements militaires imposés par les Britanniques concernait l’espace public – les espaces communs – autour de la Mosquée El-Aqsa. Cet espace était ouvert à tous les habitants de Jérusalem, de tous les milieux religieux et ethniques, où ils pouvaient communiquer librement. Le nouveau règlement attribuait certains jours aux musulmans, d’autres aux chrétiens, et d’autres aux juifs – ils disaient vouloir assurer les mêmes droits à tous ! Ceci est un exemple révélateur de la façon dont les Britanniques ont compartimenté la société. Ils ont transformé une société pluraliste en une société sectorisée par une simple loi qui prétendait servir les droits de tous ! C’est là un extraordinaire, ingénieux et subtil tour du mal. Au cours des années, le voisinage entre les religions a été remplacé par des expressions comme « dialogue interreligieux », « religions comparées », etc.- ce qui, plus d’une fois, déchire le tissu social dans la population. Les mots en langue arabe pour désigner cette transformation méritent d’être mentionnés : transformation tajaawur en tahaawur – du voisinage au dialogue ! Jésus a toujours insisté sur ce que les gens pouvaient faire plus que sur le mal qui leur était fait. Il voulait passer de la manie courante de s’intéresser au mal subi, à l’intérêt porté à ce que l’on peut faire pour permettre à la vie de se poursuivre ; il voulait passer des ruines causées par le pouvoir à l’esprit de régénération. Il voudrait nous rappeler que la manière dont il nous a soutenu, au cours des années, a été l’amour, l’entraide mutuelle et le soutien entre les gens. __________________ Munir Fasheh est né à Jérusalem, en 1941. Il a un doctorat en éducation, de l’Université de Harvard, et a travaillé dans l’éducation pendant 40 ans (en Palestine et aux Etats-Unis), en relation avec « Apprendre sans enseigner »

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ROMPRE LE SILENCE SUR LA NAKBA George B. Sahhar* Traduction Roger Besançon-Matil Depuis plus de soixante ans une génération de Palestiniens a été bouleversée : qu’ils vivent dans des habitations cossues ou comme simples fermiers, ils perdirent leurs biens et devinrent des réfugiés. Ils n’avaient plus qu’à disparaître dans l’oubli, avec leur histoire jamais racontée et leur expérience effacée. Les vieux n’avaient qu’à mourir et les jeunes oublier ; leurs souffrances n’étant jamais reconnues ni rachetées. Il semble que pendant de nombreuses années ceux qui vécurent la NAKBA succombèrent à leur destin. Ils priaient et se lamentaient en silence, leurs coeurs continuant à saigner. Ils avaient peur, et derrière les fils de fer barbelés ils rêvaient silencieusement. Pourquoi des gens qui traversent des expériences tumultueuses restent-ils silencieux ? Certains d’entre eux ne pouvaient pas imaginer ni croire ce qui leur arrivait, d’autres le voyaient comme un épisode qui passerait rapidement car finalement la justice allait prévaloir ; tandis que d’autres conservaient la clé de leur maison, rêvant dans les plus petits détails que la porte demeurait à sa place. Mais que se passa-t-il quand la réalité devint évidente, et qu’ils comprirent que leurs cuisines et leurs lits étaient occupés par d’autres ? Ils en furent effrayés, et pleurèrent en silence. Cependant, quelque chose d’intéressant se produisit aussi. Ils se persuadèrent connaître la vérité, et d’une manière parfaitement prophétique ils se trouvèrent libérés par leur récit ; et parce que leur mémoire était aussi concrète que les biens qu’ils avaient laissés derrière eux. La Bible nous dit que la vérité vous rend libre ; elle vous rend libre de vous souvenir, libre raconter l’histoire ; et, de ce fait, rien ne disparaît. Enfin, et c’est le plus important, la vérité vous rend libre de travailler pour la paix. C’est cette aspiration pour la paix qui leur permettaient ‘aller de l’avant. Mon père avait 25 ans quand il perdit sa maison à Baqqa’ (qui devint Jérusalem Ouest). Ils s’enfuirent devant le canon des fusils, ainsi ils fermèrent la porte de chez eux, et partirent. Et, en signe d’espoir, ils laissèrent les lampes allumées. En 1967, mon père revint en étranger, et quand il se trouva devant la porte d’entrée, une femme sortit de la maison et lui demanda ce qu’il faisait là. Il lui dit qu’il était venu parce qu’il voulait se souvenir de sa mère qui était morte, et que c’était sa maison. « Ecoute, lui dit-elle, j’ai acheté cette maison au gouvernement et si je vous revois encore ici, je vous dénoncerai à la police ». Il s’en retourna calmement mais ce fait n’est jamais sorti de son cœur, et il continua à parler de sa maison, de l’Hôtel Regency de son père, du cinéma et du club sportif qu’il possédait, mais le plus important fût qu’il ne devint jamais amer ou haineux, et demeura une personne aimable et gentille. De même ma mère était une fillette de 12 ans, quand ils s’enfuirent de Jaffa. Ils habitaient là parce que son père était officier des douanes, et travaillait sur le port. Ils louaient leur maison à la famille Franjiyyeh. Certes, la maison n’a jamais été leur propriété mais elle devint une partie de leur histoire. Ils s’enfuirent dans la peur, sans savoir où aller, et ils emmenèrent leur mémoire avec eux. Ainsi la maison Franjiyyeh devint une partie de leur histoire. Les faits jamais ne moururent ni ne furent oubliés. Ils ont été transmis à une nouvelle génération qui travaille pour la paix, la réconciliation et la dignité de l’être humain. Ce ne fut qu’en Mai 2008 que les enfants, les petits-enfants, et les arrières petits-enfants, à coté des militants des droits humains et d’amis venus du monde entier, se rassemblèrent à Jérusalem Ouest, devant les vieilles maisons, et se promenèrent d’une rue à l’autre, dans une manifestation qui faisait ,penser à la façon dont Jésus revint de la mort à la surprise générale, et provoquant l’incrédulité de beaucoup. Certainement on peut perdre une maison, son lit et ses meubles, mais on ne peut oublier l’album de photos, les souvenirs et les histoires de la famille. Quand ils vinrent de présenter devant chacune de ces maisons, ils disaient à leur manière que la plupart des anciens étaient morts, mais que les jeunes doivent travailler à la paix et à la réconciliation. __________________ * George B. Sahhar, natif de Jérusalem, est membre du bureau de Sabîl. Son texte est dédié à tous ceux qui travaillent à la paix et à une prise de conscience du besoin de justice et de réconciliation. …/…

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Impressions de la 3ème Conférence internationale pour Jeunes Adultes de Sabeel

Margaret Evans

Traduction Fred Lucas

“J’ai toujours bénéficié du privilège de la liberté” Je m’appelle Margaret et je suis une canadienne de 21 ans. On ne m’a jamais dit où je pouvais et où je ne pouvais pas aller, ou vivre. J’ai toujours bénéficié du privilège de la liberté. Il y a autant de différence entre ma réalité et celle d’un Palestinien qu’entre l’Est et l’Ouest. En me réveillant le matin, la seule chose qui me vient à l’esprit, c’est : “Que vais-je manger lorsque je vais monter à l’étage ?” Je déjeune, je saute dans ma voiture pour aller à mon travail, à 30 km. Je pars de chez moi seulement 30 minutes avant le début du travail de mon équipe. Je n’ai pas besoin de m’inquiéter de ce qui pourrait m’empêcher d’arriver à l’heure. Á un poste de contrôle, à Bethléem, le groupe de la rencontre de Sabeel a attendu 45 minutes pour franchir 10 mètres, de la Cisjordanie à une autre partie de la Cisjordanie, séparée en deux. Nous avons du franchir trois barrières différentes avec des contrôles répétés des papiers d’identité et des visas avant d’être autorisés à passer. Et cela n’est rien en comparaison des queues interminables habituelles. On nous a dit que les Palestiniens se lèvent dès 3h30 ou 4h du matin pour faire la queue devant les barrières qui ouvrent à 7h, juste pour arriver à l’heure au travail. Cela conduit à se poser la question : “Pourquoi” ? S’agit-il de protéger les Israéliens des “terroristes” ? Ceux que l’on appelle les terroristes palestiniens n’avaient aucune arme jusqu’à la seconde Intifada, à la fin de l’année 2001. Lors du retour d’une visite à Hébron, nous avons été les témoins d’un véritable acte de terrorisme. Au moment où je franchisais un barrage, mon attention a été attirée par …/…

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deux soldats israéliens en train de harceler trois petites filles palestiniennes qui habitaient dans le voisinage. Les enfants avaient le dos au mur et les soldats dirigeaient négligemment leurs armes en direction des pieds des enfants. Quelques uns des Palestiniens présents se mirent à crier en direction des soldats en arabe. Un soldat porta brusquement son attention sur les Palestiniens de notre groupe. Il commença par interroger « Ềtes-vous musulmans ou chrétiens ? » en désignant le groupe. La réponse de l’une des Palestiniennes, profonde, restera à jamais gravée dans mon cœur. Elle dit « Nous sommes chrétiens, mais en quoi cela importe-t-il ? Ne sommes-nous pas tous des êtres humains ? » En fin de compte, les enfants furent libérées, mais l’un des Palestiniens fut retenus et ses papiers d’identité confisqués. Voilà la réalité. Élever la voix contre l’injustice, c’est risquer sa propre liberté. J’avais le coeur lourd de questions. Pendant combien de temps les enfants auraient-ils été harcelés si nous n’étions pas intervenus ? Jusqu’où les soldats seraient-ils allés? Toute cette expérience me laissa dans la bouche un goût d’amertume persistant. Pourtant, j’avais à prendre conscience moi-même de mes propres injustices. Les Israéliens vont et viennent chaque jour sachant que cela se produit, et pourtant ils l’ignorent. Je ne peux pas les juger ; combien de fois suis-je passée devant une personne sans abri, un drogué ou quelqu’un d’autre dans le besoin sans rien faire ? Combien de fois cela m’arrivera-t-il encore ? Je ne peux pas répondre catégoriquement que je ne les ignorerai plus à l’avenir, tant mon cœur et ma raison s’affrontent l’un l’autre. En bonne logique, je sais qu’il faut se mettre au service de la justice, mais la réalité de mon environnement me conduit à me préoccuper de petits problèmes matériels. Et maintenant, où cela me conduit-il ? Cela me conduit à promettre que je ferai de mon mieux, quelles qu’en soient les modalités, pour faire partager cette tragédie et aider le monde à l’entendre. Je ne peux pas promettre la perfection, cela n’existe pas, mais tout ce que je peux offrir, c’est de faire de mon mieux.

Hannah Öhlén Nous sommes au deuxième jour de la rencontre et cela me fait l’effet d’une semaine. Les choses sont donc bien engagées. Nous avons déjà éprouvé et appris tant de choses, vu tant de lieux, rencontré tant de gens et entendu tant d’histoires. Avoir été guidés dans le village déserté de Lifta par un homme qui y a grandi a été très émouvant. Il nous a montré où avait été sa maison, où ils avaient l’habitude d’acheter des friandises, où se trouvait la mosquée. Après avoir fait 17 années de prison, sa voix n’exprimait aucune haine lorsqu’il nous parlait des Israéliens. Il continuait à espérer. Bien que nous ne soyons encore qu’au deuxième jour de la rencontre, on a l’impression que nous avons déjà rencontré beaucoup de personnes comme lui. Des gens qui refusent de perdre espoir, même après 60 années de Nakba. Ils tiennent à partager leur histoire avec le reste du monde et avec nous qui représentons pour eux un lien avec l’extérieur. Ces gens sont un espoir dans un lieu de désespérance, et c’est tellement stimulant de les rencontrer. Lina Saleh Pour la Palestinienne de 23 ans que je suis, vivant à Jérusalem, cette rencontre a été pour moi vraiment utile à bien des égards. D’abord, j’ai été amenée à voir toutes sortes d’injustices, d’humiliations et de souffrances en Cisjordanie et diverses formes de discriminations indirectes à l’égard des arabes palestiniens qui vivent en Israël. L’arrestation du propriétaire d’une maison parce qu’il ne veut pas quitter sa maison est la situation qui m’a le plus affectée. Les démolitions de maisons que nous avons vues à Jérusalem Est et à Ramlé (considérée comme située en Israël) sont une pratique tout à fait courante du gouvernement israélien pour occuper de plus en plus de territoire, et effrayer les Palestiniens qui y vivent. Cette politique garantit que les communautés palestiniennes de Jérusalem arrêtent de se développer pour ne pas atteindre un nombre qui menacerait la position majoritaire des juifs. Lorsque nous étions au poste de contrôle de Bethléem, la discrimination que j’ai ressentie à mon égard en tant que résidante locale (surtout par rapport à la façon dont étaient traités les internationaux) m’a laissée sur un sentiment de profonde humiliation. Les soldats ne nous ont pas …/…

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permis de quitter le poste de contrôle prétendant que nos cartes d’identité bleues signifiaient que nous ne pouvions nullement y entrer. Ils donnaient l’impression de jouer avec les règles à leur guise, et je me trouvais à ce moment-là totalement dépendante des caprices des soldats. Une telle incertitude fait de chaque déplacement matière à des “si”, et limite encore plus la liberté de mouvement des Palestiniens. Lors de la visite des camps de réfugiés de Bethléem et d’Hébron, j’ai été particulièrement impressionnée par les jeunes adultes qui vivent dans ces camps dans des conditions difficiles mais qui cependant atteignent des niveaux d’instruction élevés. Leur volonté d’étudier et de réussir est leur seule arme pour la liberté. Mon cœur a été touché de voir tant d’espoir dans les yeux de ces jeunes gens qui doivent en plus se battre pour satisfaire leurs besoins élémentaires. Les entretiens personnels que j’ai eus avec les participants internationaux a été l’une des meilleures choses que j’ai éprouvées au cours de cette rencontre. D’abord, la possibilité donnée à des non arabes de voir notre situation et de prendre conscience que les media ne rendent pas compte de façon précise de ce qui se passe ici a constitué un réalisation majeure. Ensuite, les relations personnelles fraternelles qui se sont créées entre les locaux et les internationaux ne seront pas oubliées. Ils témoignent de valeurs humaines qui ne connaissent pas de différences entre les gens, quels que soient leur langue, leur nationalité ou leur mode de vie. Au bout du compte, nous sommes tous des humains. Margaret Evans est canadienne. Elle est actuellement en quatrième année d’Études Internationales Comparées et se spécialise en Mondialisation à l’université de l’Ontario Hannah Öhlén est de Stockholm, Suède. Elle a travaillé l’an dernier comme volontaire de la Swedish Missionary Covenant church ; elle a enseigné l’anglais à l’école SIRA de Bethléem. Lina Saleh vit à Jérusalem et poursuit ses études à l’université hébraïque. Elle a obtenu une licence d’enseignement et de français et prépare un master en résolution de conflits. Trad . Fred Lucas

J’ AVAIS LE STATUT DE RESIDENTE … AUTREFOIS Mona Nasir * Traduction Bendt Messerschmidt

Ayant obtenu de mon travail un congé sans solde, j’ai quitté les Etats-Unis pour ma patrie, avec mon bébé âgé de cinq mois, afin d’y renouveler mon visa de retour, et de préserver mon statut de résidente en Israël. Je consultai avocat pour rédiger ma demande de renouvellement, mais les Israéliens refusèrent de me l’accorder sous prétexte que j’avais pris la décision d’épouser un « Américain » qui n’a pas le droit de s’établir à Jérusalem (A noter que mon mari est né et a été élevé à Jérusalem, mais son statut de résident a été annulé en 2004 ; il est aujourd’hui détenteur d’un passeport américain). En outre, j’ai obtenu une ‘Carte Verte’ américaine démontrant, selon eux, que j’ai choisi une résidence dans un pays étranger et que je renonce à mes droits de résidente à Jérusalem. En bref, j’ai perdu mes droits de résidente dans mon propre pays ! Je ne peux revenir le visiter qu’en touriste, après avoir obtenu un visa à l’ambassade d’Israël. L’ironie de l’histoire est que toute ma famille vit toujours là-bas ! Et pourtant, désormais, je ne pourrai jamais choisir de vivre avec eux ; il n’y a pas d’alternative. Nous les gens du pays, sommes jetés dehors ! J’ai perdu le droit de retourner dans mon pays… le seul pays auquel j’ai jamais appartenu ; le seul endroit que j’ai jamais pu appeler mon foyer. …/…

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En revenant d’une réunion, des soldats israéliens m’ont arrêtée pour contrôler mes papiers. Ils se sont adressés à moi en russe ! Je me suis dite : ces immigrants ne savent rien de ce pays qu’ils servent et protègent ; ils ne parlent même pas sa langue. Ils sont originaires de Russie, d’Europe, d’Afrique, des Etats-Unis, ou d’autres endroits encore, et ils choisissent de vivre dans mon pays à moi. Ils ont même le droit de m’en chasser ! Il n’y a pas de loi humaine pour me protéger, ni pour défendre mes droits. Ayant passé les dernières 33 années de ma vie d’adulte sous l’occupation, j’en fus vexée, mais ce qui m’arrivait ne fut pas vraiment une surprise. Cependant je fus stupéfaite de ce qui se produisit pour mon fils, Ramzi, âgé de sept mois. Né aux Etats-Unis. il a un passeport américain. Bien que fils de parents palestiniens pur-sang, pour qui Jérusalem et la Palestine constituent le foyer, le droit de résidence à Jérusalem lui a été refusé, et on lui a donné un visa de touriste. A notre arrivée à l’aéroport, je demandai à la dame qui vérifiait nos papiers si elle pouvait donner un visa de quatre mois pour Ramzi (qui avait alors 5 mois), au lieu d’un visa ordinaire de trois mois. Je lui montrai ma carte de résidente (j’étais alors encore considérée comme résidente), et nos billets d’avion de retour. Sa réponse fut négative. Plus tard, je fis une demande au Ministère de l’Intérieur ; à ma grande surprise ce fut encore non. Mon avocat aussi essaya, mais en vain. Le gouvernement israélien refusait donc à un bébé de 7 mois une extension de son visa ! C’est ainsi qu’il me fallait choisir entre repartir avec Ramzi plus tôt que prévu, ou bien rester selon le programme fixé, consciente que mon fils serait en séjour illégal dans le pays de ces ancêtres. Le côté amusant de l’affaire est que le pauvre petit ne savait même pas dire « maman » ou « papa », et qu’il paraissait constituer une telle menace pour la sécurité d’Israël qu’on refusait une prolongation d’un mois à son visa ! Je décidai d’essayer encore auprès du Ministère, parce qu’on me dit que si le bébé restait au-delà de la durée légale accordée, il risquait de se retrouver sur une liste noire. J’essayai donc encore et encore. Finalement, à la cinquième demande, son visa de touriste fut prolongé d’un mois. Ainsi, désormais, mon petit trio familial rejoint les millions de Palestiniens qui ont perdu leur droit de résidence dans leur propre pays, et ont été flanqués hors de chez eux. Mais je parlerai toujours de la Palestine comme de mon foyer ? Depuis la dispersion, en 1948, de notre peuple à travers le monde, les Palestiniens ont attendu un e solution juste qui leur donnerait le droit de revenir dans leur patrie. Et maintenant, 60 ans après, la liste s’allonge de ceux qui, comme nous trois, sont chassés de leur pays. Je n’abandonnerai jamais l’espoir de pouvoir un jour choisir de vivre en Palestine, et je veillerai à ce que Ramzi sache qu’il a le droit de revenir.

* Mona Nasir est la fille de Kamîl et Abla Nasir.

Elle obtenu sa licence et sa maîtrise en Education spécialisée à Hope College, Université d’Etat de l’Ohio. Elle vit actuellement à Las Vegas, avec son mari et son fils.

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Une réflexion biblique : un chant de justice Une étude participative de la Bible par la troisième Conférence pour les Jeunes Adultes, de Sabeel Traduction Fred Lucas

Du 24 juillet au 4 août 2008 s’est tenue la troisième rencontre de jeunes adultes de Sabîl. La rencontre a rassemblé plus de 40 jeunes adultes du Canada, de Norvège, de Suède, du Danemark, du Royaume Uni, des États Unis, de Jérusalem, de Nazareth et de Bethléem. Le thème de la rencontre était la Nakba : 1948, justice, et au-delà. Les participants ont été éclairés sur l’histoire de 1948 appréhendée du point de vue palestinien, sur la réalité actuelle des palestiniens dans l’état d’Israël et dans les territoires palestiniens occupés, et sur les initiatives de plaidoyer pour la justice de Palestiniens et d’Israéliens, de chrétiens, de juifs, de musulmans et d’autres. Comme environnement spirituel, le groupe a eu des prières communautaires, des célébrations et des études bibliques. Ce qui suit est un résumé du premier essai de contextualisation participative qui est une caractéristique des études bibliques de Sabîl. Les participants à la troisième rencontre pour les jeunes adultes, de Sabîl, se sont réunis pour étudier la Bible au couvent des sœurs de Sion à Ein Karem, la ville de Jean-Baptiste, et de la visitation de Marie à Élisabeth. Le groupe a été invité à réfléchir sur le cantique de Marie (Luc 1, 46-55) dans le contexte de la situation actuelle en Palestine et en Israël. Les participants à l’étude biblique ont d’abord été initiés au contexte de la Palestine du premier siècle où vivait Marie – un contexte caractérisé par l’occupation romaine et des divisions dures entre les puissants et ceux qui n’avaient aucun pouvoir, entre les riches et les pauvres, entre les occupants et les occupés. Comment ce contexte a-t-il pu nourrir la proclamation par Marie que “Dieu a abattu les puissants de leurs trônes et élevé les faibles” ? Á quoi Marie faisait-elle allusion lorsqu’elle louait un Dieu qui “a dispersé ceux qui avaient des pensées orgueilleuses dans le cœur ?” Comment les participants liraient-ils ce passage à la lumière du message d’introduction que leur a adressé le Rev. Naïm Ateek, dans lequel il leur a recommandé de garder leurs yeux, leurs oreilles et leurs cœurs ouverts à l’espérance face aux souffrances, à la non-violence face à la violence, à la justice face à l’injustice, et à la libération face à l’oppression. Á mesure que les participants réfléchissaient à ces questions, une vision plus complexe et plus libératrice du Magnificat a commencé à apparaître. Un participant local a parlé du courage de Marie pour protester contre l’injustice, une initiative en contraste absolu avec le silence imposé à l’Église que le groupe venait de visiter ! Un autre se demandait comment conserver l’espoir alors que 60 années de lutte pour la liberté n’avaient conduit à aucune réalité qui puisse répondre à l’espérance du cantique de Marie. En réponse, un participant international a mis l’accent sur l’importance de faire le deuil de ce qui était perdu et de se montrer honnête au plan des sentiments d’impuissance avant d’être capable d’en arriver à l’espérance de Marie dans un Dieu juste et libérateur. Un membre du groupe a critiqué le texte d’un point de vue féministe, critiquant les limites imposées à la voix des femmes dans la Bible pour célébrer la naissance d’un enfant. Le message du Dieu de justice pouvait-il offrir un espoir dans un contexte sans espoir de sexisme officiel et structurel ? Un autre encore …/…

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fit une réflexion sur l’importance de maintenir ouvertes des axes de communication qui amènent à des changements positifs. Le cri de Marie contre l’oppression fournit-il des indications pour une stratégie non-violente pour provoquer les changements qu’elle associe à l’action d’un Dieu de justice ? En examinant le cantique de Marie dans le contexte de mémoire et de réalité après 60 années de Nakba, les jeunes adultes ont pu commencer à concevoir leur propre cadre théologique pour s’engager dans la lutte pour la justice, la paix et la réconciliation en Palestine et en Israël. Le processus de mise en commun de leurs intuitions et de leurs lectures du texte a permis aux participants de s’approprier les récits bibliques comme des histoires de grande espérance et pertinence face à l’oppression, la violence et l’injustice.

Extrait de : Poème de la terre, de Mahmoud Darwish D’après la traduction anglaise de Lena Jayyusi et Christopher Middleton

Comme si je revenais à ce qui avait été Comme si je marchais en avant de moi-même Je rétablis mon harmonie entre le jugement et le verdict Je suis le fils de mots simples Je suis le martyr de la carte la fleur d’abricot de la famille Oh ! vous qui vous agrippez aux berges de l’impossible Depuis le début jusqu’à la Galilée revenez à moi, mes mains Reviens à moi mon identité

LA

NAKBA

MEMOIRE, REALITE ET AU - DELA’ SEPTIEME CONFERENCE INTERNATIONALE DE SABÎL

12 – 19 novembre 2008 DERNIERE POSSIBILITE – S’ INSC RIRE AUSSITÔT

INSCRIPTION A CETTE ADRESSE : ShepherdsTours, P.O. Box 19560, Jeruisalem Tél. (00) 972 2 6284121 - Fax. (00) 972 2 6280251 Email : [email protected] Télécopie : [email protected]

Pour tout renseignement, s’adresser à : [email protected]

RETENIR LA DATE CONFERENCE POUR JEUNES ADULTES DE SABÎL Du 22 juillet au 2 août 2009

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CES CHOSES QUI FONT L’ HISTOIRE LES SECRETS DES OLIVIERS Jewish Peace News (JPN) Traduction Gilbert Charbonnier

Le village d’artistes d’Ein Hod se présente lui-même, sur son site Internet en hébreu, comme « un vieux complexe israélien ». Il appartient à « une culture moyen-orientale d’un autre temps », et d’après le site en langue anglaise les visiteurs peuvent « reconnaître, dans les vieilles structures des édifices, de nombreuses traces et formes architecturales des occupants antérieurs – depuis l’âge des Croisades chrétiennes jusqu’à l’Empire ottoman. » Les maisons des arabes qui vivaient là jusqu’en 1948 ne sont pas évoquées. C’est un cas inhabituel : Une étude récente montre que les kibboutzim et les moshavim qui se sont édifiés sur les ruines de villages arabes n’omettent pas ordinairement ce fait, même si les arabes qui furent expulsés et durent s’enfuir, ne soient eux-mêmes presque jamais mentionnés, comme s’il avaient jamais existés. Quand elle écrivit son livre « Beshulei hjaderek uveshulei hatoda’a » (Au bord de la route, au bord de l’esprit), édité par November Books, la géographe Noga Kadman a commencé par supposer que les villages arabes étaient rangés en marge du discours israélien. Mais en étudiant les journaux internes et les textes commémoratifs des kibboutzim et mochavim qui s’étaient construits sur les ruines de ces villages, elle y découvrit une attitude de propriétaire et peu de scrupules moraux. On n’y trouve aucun scrupule à vivre dans des maisons arabes, mais on n’y parle pas facilement des arabes eux-mêmes. C’est comme si leur histoire et leur mode de vie n’avaient jamais existés. La réoccupation des villages abandonnés est souvent présentée comme un élément de l’effort fourni pour faire fleurir une région sauvage. …/…

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« Ici, il ‘y avait rien », écrivaient les membres du kibboutz Barkai dans une brochure citée par l’ouvrage. Il y est fait seulement ici et là quelques mentions du « legs » des arabes aux nouveaux colons, de leur terre, de leurs maisons et même de leurs meubles et de leurs affaires domestiques. « Notre vestiaire central était orné de quelques placards en acajou venus des propriétés abandonnées », stipule la publication du kibboutz Kabri. « Ainsi, nous sommes-nous peu à peu installés avec un minimum de confort ». Les arabes qui revenaient pour récupérer quelques unes de leurs affaires étaient considérés comme des voleurs, et leur traque était une source de revenu, comme l’établit un livre publié par le kibboutz Carmia, publié à l’occasion du 35° anniversaire de sa fondation : « Ils venaient la nuit pour voler des fruits du verger et retourner à Gaza chargés de butin … Nous gardions le domaine du kibboutz contre leur visite … Nous les faisions prisonniers, les ramenions au kibboutz, et chaque matin l’armée les emmenait et nous payait une prime … Dans le kibboutz, il y avait une sorte de « prison » - une petite cabane en tôle d’étain – où on gardait les prisonniers jusqu’à ce que l’armée vienne les prendre. » Madame Kadman trouva des signes de remords seulement dans les publications de deux kibboutzim, Yiron et Sasa. Un bulletin de Yiron, de 1949, déclare : « Les faits montrent que les hommes, femmes, vieillards, et enfants étaient tués, les villages détruits et incendiés, sans justification. » Un membre du kibboutz Sasa écrit : « Je pense au village abandonné de Sasa où nous sommes entrés ce matin avec fierté et vigueur, et aux existences des arabes qui vivaient ici. J’allais et venais au milieu de quelques maisons en ruines. J’examinais les cruches qui avaient été retournées sans dessus dessous, les céréales moissonnées, les livres, les chaussures d’enfants, et je respirais une odeur de destruction … Mes camarades discutaient de ce qu’il fallait faire de la mosquée. L’armée l’avait détruite, et la plupart des camarades s’accordaient à dire que c’était inévitable. »

Extrait de l’autobiographie de Shimon Tzahar … Au milieu des années cinquante, j’ai reçu une lettre de la Société des Peintres et Sculpteurs, dont j’étais membre. Elle disait que le gouvernement avait destiné un village situé sur les contreforts du Mont Carmel à être un village d’artistes. Il s’appelait Ein Hod. Pour y obtenir une maison, je n’avais qu’à payer cinquante Livres israéliennes pour frais d’enregistrement, et je pouvais choisir où je désirais vivre. Je ne possédais pas cette somme. Aussi, je l’empruntai à une amie, Chana Shofman, la fille d’un député du Likoud. Je versai l’argent, et me précipitai à Ein Hod pour y choisir une maison à la campagne. J’y trouvai une très belle maison arabe, parce que ce village avait été un village arabe auparavant. J’ai pris cette maison comme une retraite pour le week-end. Quelques semaines plus tard, quand je vins dans ma maison de Ein Hod, je me promenai autour du village et je montai en suivant la grande route. Au bout d’un moment, je rencontrai un jeune berger palestinien avec deux chiens bâtards. Les chiens se mirent à aboyer contre moi, tandis que le garçon s’efforçait de les retenir. Nous engageâmes vite la conversation. Le garçon parlait très bien l’hébreu. Je lui demandai d’où il venait. Il me dit qu’il était de Ein Hod. C’était le même Ein Hod que celui où je venais d’acquérir une maison. Le garçon me raconta qu’il y a quelques années, l’armée israélienne était venue dans le village et avait demandé à la population de s’en aller pour une semaine dans le village arabe voisin, à quelques kilomètres de là, plus haut dans la colline, à cause d’exercices de tirs dans le secteur, et qu’ils ne voulaient pas que quelqu’un soit blessé. Depuis lors, ils n’ont jamais reçu l’autorisation de rentrer chez eux. C’est ainsi que le village fut abandonné, et qu’il a été donné à nous, les artistes. J’ai renoncé à la maison, et demandé le remboursement des 50 Livres israéliennes de frais d’enregistrement, que j’ai promptement rendues à Mademoiselle Shofman. _______________ Jewish Peace News (JPN) est un service d’information qui fait circuler des coupures de presse, des analyses, des commentaires éditoriaux, et des consignes d’action en rapport avec le conflit israélopalestinien.

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Numéro 50 - Eté (Automne) 2008

NOS OBJECTIFS : DECLARATION DU CENTRE SABÎL Sabîl est un mouvement œcuménique de base de théologie de la libération parmi les chrétiens palestiniens. S’inspirant de la vie et de l’enseignement de Jésus-Christ, cette théologie de la libération cherche à fortifier la foi des chrétiens palestiniens, à promouvoir l’unité entre eux, et à les aider à agir pour la justice et l’amour. Sabeel s’attache à développer une spiritualité basée sur la justice, la paix, la non-violence, la libération, et la réconciliation pour les diverses communautés nationales ou de foi. Le mot « Sabîl » est un mot arabe signifiant à la fois « le chemin », « le chenal », ou « la source » d’eau vive. Sabîl s’efforce aussi de développer dans l’opinion internationale une conscience plus claire de l’identité, de la présence, et du témoignage des chrétiens palestiniens, ainsi que de tout ce qui les concerne aujourd’hui. Il encourage les personnes individuelles comme les groupes, à travers le monde, à travailler pour une paix juste, complète, et durable établie sur la vérité et rendue possible par la prière et l’action. Pour plus de renseignements sur les groupes Amis de Sabîl dans votre région, prière de s’adresser à nos représentants internationaux, ou au Centre Sabîl, à Jérusalem.

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