« Tu m’as donné à aimer un jour le paradis » « Tu sautes et tu saignes volontaire. Tu choisis ta chute. C’est ton retour sur terre. Même pas mal. » Céline Walter vient de voir publier chez Tituli son premier ouvrage. Un livre de poésie, ou plutôt de prose poétique. La chose est importante à signaler : rares sont les auteurs de poésie aujourd’hui qui trouvent spontanément à se faire éditer. Céline était journaliste. Elle a interviewé Christian Bobin, a évoqué ses textes, il l’a encouragée… Céline aujourd’hui écrit. Des poèmes. « La poésie se meurt », dit-elle, « et pourtant elle est bien vivante ! » Ce qu’elle vit est un luxe, dit-elle encore, avec un sourire attendrissant. « Cela fait deux ans que j’écris vraiment. J’ai choisi de me consacrer à l’écriture. Mais la poésie, ce n’est pas un choix. Ça me vient comme ça. » Comme une respiration, indispensable et quotidienne. Comme une clameur, rythmée, balancée, à la scansion bien particulière, qui tient de la comptine enfantine, chantonnée en sautant les cases d’une marelle. Comme un cri avant que d’étouffer complètement. Comme un psaume psalmodié pour endormir la douleur d’être. « Mais qui suis-je pour écrire ? Vous êtes une petite fille qui fait de la balançoire », a répondu François Bobin à Céline Walter. Et elle n’en finit plus de se chantonner sa petite berceuse à elle. « Christian Bobin m’a autorisée à écrire. Sans lui, je n’aurais jamais osé. Et du même coup je m’autorise à être moi-même… J’étais tellement mal à l’aise avec le monde des autres ! » ditelle aussi. « Écrire, c’est aussi respirer », dit-elle encore. Céline Walter n’en revient pas que l’on puisse aimer ses mots, ses émotions, son regard. « La vérité est un éclat de légèreté, qui fait désormais partie de moi. » Le livre est disponible sur www.tituli.fr.
Le portrait de la semaine : Céline Walter. Elle a fait des portraits pour Libération, a été correspondante pour des quotidiens régionaux. Elle vient de publier son premier recueil de textes poétiques. Une vraie révélation. Enfin seule ! Son bureau ressemble à un minuscule compartiment de train ancien. Comme si, finalement, Céline Walter était en voyage permanent. Dans cet espace minuscule, voisinent son ordinateur, ses livres, des lettres manuscrites comme on n'en voit plus. De plus, ce bureau n'est pas dans une maison, mais dans une magnifique roulotte, extension de la petite bâtisse où elle réside, avec son compagnon et son fils, à un jet de pierre des sources de la Seine. Vivre à moitié dans une maison, à moitié dans une roulotte, promesse de partances même imaginaires, voilà qui cadre finalement bien avec un personnage qui paraît merveilleusement inadapté au monde qui l'entoure. Toujours en décalage. Jamais sûre de sa légitimité. Il suffit de lui demander de parler du recueil de textes poétiques dont elle est l'auteure, et qui vient de paraître (*) pour le comprendre. « L'écriture, soulignet- elle, est quelque chose qui m'habite. J'en ai toujours eu très envie sans jamais oser franchir le pas. Longtemps, je ne me suis pas autorisée à écrire. Il a fallu une rencontre avec Christian Bobin (L'un des plus importants représentant de l'écriture poétique française, natif du Creusot. NDLR) pour les besoins d'un portrait dans Libération. Je me suis permise de lui glisser trois textes très personnels. Il les a lu et m'a rappelée un dimanche soir ». « Arrêtez tout ! » Elle ne le sait pas encore, mais les propos que le poète lui tient alors au téléphone vont lui faire prendre un virage énorme. « Vous vous trompez de métier, lui explique Christian Bobin. Vous tournez autour du pot mais on n’exerce pas le métier de journaliste pour écrire. Arrêtez-tout ! Ce que vous écrivez est vraiment très beau. Consacrez-vous à l'écriture poétique... ». Les trois textes en question figurent au début du recueil qui vient de paraître. Naturellement, dans un premier temps, et comme tout au long de sa vie, Céline Walter estime qu'on lui dit cela par pure gentillesse, pour éviter de froisser. « Face à cette invitation à l'écriture, se souvient-elle, j'ai dit : “Mais qui suis-je, moi, pour écrire ?”. Et Christian Bobin m'a répondu :
“Vous êtes une petite fille qui fait de la balançoire...” ». En clair, on lui affirmait tout bonnement qu'il fallait qu'elle reste sur cette balançoire pour n'en plus jamais descendre. Cela tombait bien : la maison où elle vit aujourd'hui est celle où, petite, elle venait passer des vacances. Elle y est revenue, en 2011, lassée de son travail au sein du Conseil général de l'Aisne et de la correspondance pour le quotidien local, L'Union de Reims. En Bourgogne, elle a aussi, un temps, collaboré au Bien Publicet a poursuivi son activité ponctuelle mais enrichissante de portraitiste pour Libération (son dernier, consacré à Jean d'Ormesson, est paru en juillet). Inexorablement, néanmoins, s'est imposé à elle ce besoin de se retirer du monde, dans son petit compartiment, pour se consacrer à l'écriture à temps plein, bien soutenue en cela par son compagnon, Bruno Walter, lui aussi journaliste. Pour elle, qui revendique d'avoir la foi, sans pour autant considérer qu'elle croit en dieu, pouvoir faire ce choix de l'écriture, sans concession, en dépit des réactions dubitatives de l'entourage est non seulement un bonheur sans égal, mais aussi une authentique révélation. La reconnaissance par Christian Bobin, mais aussi par une autre grand plume de la poésie française d'aujourd'hui, Bernard Noël, qui a préfacé son livre, de la qualité de son écriture, ont surtout permis à Céline de faire sauter un verrou, de se sentir autorisée à être enfin ellemême. Ce n'est pas l'envie de figurer au panthéon des best-sellers, quand on sait que le genre poétique attire difficilement plus de 10.000 lecteurs réguliers en France et que la plupart des maisons d'édition spécialisées sont en grandes difficultés. Mais Céline Walter reste très reconnaissante au patron des éditions Tituli, Jean-Vincent Debatte, par ailleurs grand patron du secteur de l'industrie, d'avoir accepté de « perdre de l'argent pour l'amour des mots. Pour moi, les éditeurs de poésies et les libraires qui en vendent sont des fous ou des résistants». Ces fous ou ces résistants ont d'ores et déjà invité Céline Walter pour des lectures et des rencontres, début 2015, à Chalon-surSaône, Avallon et peut-être Nevers. « Ce qui m'arrive, constatet-elle, avec la publication de ce livre, la préface de Bernard Noël, les échanges épistolaires avec lui et Christian Bobin, ça n'arrive tout simplement jamais... Je n'en reviens pas ! ». Tout aussi surprenant est son parcours de portraitiste pourLibération. Il a démarré à la suite d'une formation sur les techniques de portrait, à Paris, au Centre de formation professionnelle des journalistes (CFPJ). Son professeur, c'est Luc Le Vaillant, responsable de la rubrique « portrait » au sein du quotidien parisien. Elle choisit, en guise d'exercice, de faire le portrait de... Bernard Noël. Cet exercice, le formateur le qualifie « d'excellent », à tel point qu'il décide de le publier. Il paraît, le 23 décembre 2010, sous le titre Extrait du corps. Suivront des publications sur le danseur étoile Patrick Dupond,
l'avocat Philippe Brun, la comédienne Charlotte Valandrey, les écrivains Christian Bobin et Jean d'Ormesson. Avant cela, elle s'est frottée à mille-et-un petit boulots après avoir quitté l'école à 16 ans. Elle vend des manuels scolaires chez Gibert Jeunes, met en boîtes des fournitures scolaires dans une entreprise de Picardie, travaille dans une boucherie sur les marchés, fait les vendanges, occupe un poste de préparatrice en pharmacie vétérinaire, conditionne des croquettes pour chien... « Je prenais tout ce qui venait, raconte-t-elle, et je suis très fière de cela. Ce fut, là aussi, mon école et c'est aujourd'hui une vraie richesse ». Une richesse qu'elle a transportée avec elle, au fil du temps, qui s'est aussi renforcée par son expérience de journaliste locale même si, au bout d'un moment, l'envie de prendre du champs par rapport au monde a été la plus forte. Ce dimanche soir, où Christian Bobin l'a appelé pour lui dire qu'il fallait qu'elle se consacre à l'écriture, sans concessions, Céline Walter a entendu une petite voix résonner dans sa tête. Une petite voix qui disait : « Enfin seule... ». Comme une barrière qui se levait sur un pays inconnu à la découverte duquel elle a décidé de se lancer, dans son petit compartiment ou sur sa petite balançoire. Le livre est disponible sur www.tituli.fr.