Hélène Le Dauphin CC2A

Le corsaire rouge 1952

INTRODUCTION Dès les premières images, Le corsaire rouge me rappelle des souvenirs d’enfance et pour cause, ce film était l’un de ceux que j’ai le plus regardé avec la version technicolor du Voleur de Bagdad. Ce film de pirate est sortit dans les salles de cinéma en 1952. Il a été mis en scène en partie par Robert Siodmak, réalisateur issu d’une famille polonaise d’origine juive. Il a été obligé de quitter l’Allemagne où il est né à cause de la montée du nazisme au début des années 30. Il partit en France en 1933 puis rejoignit Hollywood où il réalisa beaucoup de films noirs. Son premier film américain date de 1941. Il a été très influencé par l’expressionnisme allemand et par les films d’Orson Welles. Il considérait le cinéma muet comme l’apogée du septième art car l’image suffisait à elle-même alors que le cinéma parlant a tendance à se complaire au théâtre filmé. Ses films sont avant tout des témoignages sur leur époque, ses tensions, ses injustices et ses mensonges. Il fit le choix de renier la perfection conventionnelle avec un goût certain pour l’improvisation. Le Corsaire Rouge a été produit par les studios Warner Bros en association avec la Norma, la maison de production de Harold Hetch et de Burt Lancaster, l’acteur vedette pour lequel le film a été crée. Il s’est beaucoup disputé pendant le tournage avec le réalisateur et son ancien ami Nick Cravat qui jouait pour la deuxième fois son acolyte. Il a tellement pris d’importance que nous lui devons une grande partie de la mise en scène, surtout pendant les scènes d’actions, notamment lors de la bataille finale sur le navire qui dure dix-huit minutes et qu’il a dirigée avec le scénariste spécialisé dans la comédie, Roland Kibbee pendant que Robert Siodmak était à Londres en train de tourner les intérieurs d’une autre partie du film. La musique a été composée par William Alwyn, compositeur prolifique britannique de formation classique tributaire du symphonisme hollywoodien, professeur à la Royal Academy de 1926 à 1955 où il était entré en formation en 1920, contribue à en faire une œuvre à part entière. Le corsaire rouge raconte l’histoire d’un pirate, le capitaine Vallo que tout le monde connaît sous le nom de «crimson pirate », naviguant sur les mers à la fin du XVIIIe siècle accompagné de son fidèle muet Ojo, un cigare souvent à la bouche. En faisant semblant d’être atteints du scorbut, une maladie due à une carence en vitamine C, lui et ses hommes s’emparent du navire sur lequel voyageait le baron Jose Gruda, émissaire de la couronne espagnole. Pour obtenir l’or que ses hommes auraient aimé trouvé dans le bateau, Vallo décide de vendre les armes, 3 000 mousquets, ancêtres du fusil employé du XVIéme siècle au XIXéme siècle, 2 500 barils de poudre et 65 000 munitions de mousqueterie, que le baron Gruda devait apporter aux colons de l’île de Cobra à El libre, le chef rebelle de l’île, pour 50 000 florins et de le livrer par la suite à Gruda en échange de 50 000 autres florins. Une fois à Cobra, son plan de trafiquant d’armes et d’hommes ne fonctionne pas comme prévu. Il se fait capturer par les rebelles mais la fille d’ El Libre, Consuelo pensant qu’il peut l’aider à sauver son père qui est enfermé dans la prison de l’île de St Pirot, le libère. Il tombe sous le charme de la jeune fille et renonce à sa trahison. Il se fait passer pour le baron Gruda au bal organisé en son honneur et se fait remettre El Libre et son savant, le professeur Prudence. Humble Bellows, son second, le dénonce alors aux autres pirates qui se mutinent et livrent El Libre et Consuelo au baron Gruda. Vallo, Ojo et Prudence sont enchaînés sur une barque qui, retournée selon les principes du scientifique, devient une sorte de sous-marin tandis que les hommes de l’équipage de Bellows, victimes du rhum empoisonné, sont jetés à l’eau puis enfermés dans un filet par les hommes du baron Gruda. Une fois à terre, Prudence met au point de nouvelles armes terrifiantes. Ils construisent une montgolfière dans un entrepôt à grain où devait être stocké les 10 000 sacs de grains, cadeau au gouverneur de l’île de Cobra à l’occasion de son mariage avec Consuelo qui avait été contrainte de l’épouser par le baron Gruda qui lui a montré Pablo Murphy en train de se faire fouetter. Ce dernier jure de se venger. Pour passer inaperçus lors de la cérémonie, Vallo, Ojo et Prudence se déguisent en paysannes. Pablo Murphy est tué d’un coup de poignard alors qu’il tente d’assassiner le baron Gruda qui se trouve à la réception. Cet événement déclenche l’accélération du plan des trois conspirateurs. Ils libèrent ses hommes du filet dans lequel ils étaient prisonniers et s’empare d’un vaisseau espagnol en descendant de la montgolfière. Il attaque par la suite, en nageant sous l’eau, le bateau du baron Gruda qui croit triompher quand il 1

tire sur le bateau pirate où est resté Bellows. Le baron finit par mourir en tombant du haut d’un mat où il avait entraîné Consuelo. Pour clôturer cette épopée, Vallo embrasse Consuelo tandis qu’ Ojo mime la scène. Il annonce leur mariage en mettant une bague à son doigt et la fin du film en faisant un geste significatif avec ses deux mains. Le titre original du film est The Crimson Pirate. Le titre français du film pose problème. Le mot anglais Pirate a été traduit en Français par Corsaire. Or, la notion de pirate est très différente de la notion de corsaire et Vallo correspond plus au pirate car il ne sert aucun pays et en aucun cas l’Espagne. Les corsaires étaient munis de lettres de marque et s’attaquaient exclusivement aux navires marchands des puissances en guerre afin de les affaiblir tandis que les pirates ne servent aucune nation. Seul leur propre intérêt est important. Il accepte une mission de corsaire quand il propose de livrer El Libre aux colons espagnols mais son but n’est pas de servir un pays mais juste de récolter de l’argent. D’ailleurs, en faisant cette proposition, il attire le mécontentement de ses hommes. Il se rapproche alors plus du flibustiers qui s’attaquaient parfois aux ennemis de leur pays mais la plupart du temps s’en prenait à tout les bateaux qui croisaient le leur. Bellows, son second qui s’était pourtant opposé à sa démarche car elle relevait plus du business que de la piraterie mais qui avait accepté par fidélité à son capitaine reste allié au baron Gruda alors que Vallo change de plan et décide de ne pas livrer El Libre aux Espagnols mais de partir le délivrer. Ce brusque changement d’avis énerve Bellows qui désire s’en tenir à ce qui était prévu au départ et organise une mutinerie pour devenir maître du bateau.

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I/ LES STUDIOS : Contexte de production. 1) Le succès de Burt Lancaster. Le Corsaire Rouge doit presque tout à son interprète. Burt Lancaster assuma plusieurs rôles: acteur, cascadeur, metteur en scène et producteur. Burt Lancaster a grandit dans les rues de Harlem où il a développé un goût prononcé pour la lutte et s’est construit une image de dur. Il se lia d’amitié avec Nick Cravat, un italo-américain bagarreur, lorsqu’il avait neuf ans. Il devient son meilleur ami. Il commencèrent à mettre au point des numéros d’acrobaties. Ils baptisèrent leur tandem « Lang et cravat ». En 1932, il furent engagés par le cirque des Kay Brothers où ils travaillèrent pendant six mois. Nick Cravat se blessa pendant un numéro. Le directeur du cirque refusa de le reprendre dans la troupe et Burt Lancaster décida de quitter le cirque. Ils se produisirent ensuite dans des fêtes publiques et dans des petits cirques. Ils mirent au point leurs numéros de barres parallèles qui passèrent de deux à trois et leur numéro de perche parallèle. A cause d’une blessure à la main qui s’infectait, il dut mettre fin à leurs représentations après sept ans de pratique. Il exerça alors toutes sortes de métiers. A la fin du tournage de La corde de sable, il décida de refaire une tournée à travers tout les Etats-Unis avec son ami, organisée par le cirque des Cole Brothers. Il firent l’expérience d’un confort qui n’avait rien à voir avec les périples qui avaient lieu avant le succès de Burt. Le film de cape et d’épée assez humoristique inspiré de la légende de Guillaume Tell, La flèche et le flambeau qui sortit en salle deux ans avant Le corsaire rouge, fut la première occasion pour les deux anciens acolytes, Burt Lancaster et Nick Cravat de jouer ensemble et montrer leur talent d’acrobates à l’écran. Le film fut réalisé par jacques Tourneur. Nick Cravat interprète un muet, pour camoufler son inexpérience du théâtre, tout comme dans Le corsaire rouge.

En 1942, Burt Lancaster fut appelé à l’armée pour écrire, produire et interpréter des spectacles pour le théâtre des armées. Il rencontra alors Norma Anderson qui servait de doublure pour les spectacles qui devient par la suite son épouse. De retour à New York, Norma reprit son travail avec le producteur de radio Kay Knight à qui elle voulu présenter Burt Lancaster dans l’espoir qu’il l’aide à trouver un travail. Dans un ascenseur de l’immeuble où elle travaillait, Burt rencontra Jack Malhor, l’associé d’Irving Jacobs. Il était en train de produire une pièce à Broadway qui s’appelait Une partie de chasse et jugeait que Burt Lancaster avait le physique idéal pour interpréter le rôle principal, celui du sergent Mooney. En effet, Lancaster avait un corps à la musculature parfaite et se fut la raison pour laquelle il essaya de s’échapper du rôle de brute au grand talent de séduction auquel il était parfois réduit. Ce fut l’une des premières expériences de Burt Lancaster en temps qu’acteur. Il décida de se consacrer entièrement à cette nouvelle vocation. Le producteur Hal Wallis qui l’avait remarqué dans Une partie de chasse, lui proposa de tourner deux films pour la nouvelle firme qu’il venait de fonder au sein de la Paramount. Burt Lancaster accepta le contrat avec l’accord de son agent Harold Hetch. Il arriva à Hollywood en 1946. Il était un grand admirateur de Hemingway et il appris que l’adaptation de l’une de ses nouvelles, nommée Les tueurs, était en préparation à Universal. Son premier film fut produit par Mark Hellinger et dirigé par Robert Siodmak, réalisateur venant d’Allemagne. Ils se retrouvèrent plus tard pour le tournage de Pour toi j’ai tué et Le Corsaire rouge. A la suite de ce premier film, Burt Lancaster et Ava Gardner, qui jouait le rôle féminin principal, devinrent des stars. Ce film noir lança la mode des héros au grand cœurs manipulés par de jolies jeunes femmes. Burt Lancaster dut ensuite respecter son contrat avec Hal Wallis et joua sans grande conviction dans La furie du désert et La corde de sable. Burt Lancaster et Harold Hetch créèrent leur propre société de production qui prit le nom de l’épouse de l’acteur. Le premier film produit par la maison de production indépendante la Norma 3

fut les Amants traqués. Burt Lancaster fut la première star de l’après-guerre à renouer avec la tradition hollywoodienne où des acteurs comme Douglas Fairbanks et Errol Flynn produisaient leurs propres films. Cependant, la démarche de Burt Lancaster s’oppose à la leur par son but. L’acteur expliquait à propos de son initiative : « Il fallait briser la routine de Hollywood, produire autre chose que de la bouillie pour spectateurs infantilisés. Et dans les années qui ont suivi la guerre, les Etats-Unis ont traversé une très grave crise des valeurs. Le cinéma se devait d’être son reflet ; c’est le propre de l’art que d’être le témoin de son époque. » Il passèrent un contrat avec la Warner Bros qui devait prendre en charge trois de leurs films en échange de la participation de Lancaster en tant qu’acteur dans trois autres films produit seulement par elle. Après avoir proposé des sujets qui furent rejetés, Hetcht-Norma produisit La flèche et le flambeau qui remporta un grand succès. Ce film était destiné à donner un tournant à la carrière de Burt Lancaster qui ne voulait pas être limité aux films dramatiques et policiers. Pour sa promotion, le studio avait misé sur les prouesses physiques de Burt Lancaster qui avait refusé d’être doublé. Grâce à ce film, il s’impose en temps que successeur de son idole Douglas Fairbanks. La Norma et la Warner se partagèrent les bénéfices. A l’époque où a été tourné Le corsaire rouge, Burt Lancaster était un acteur recherché par tout les studios. Un film pouvait marcher juste à cause de sa présence à l’écran. Il était l’un des acteurs qui remportait la plus grande adhésion du public féminin. Burt Lancaster, grâce à son succès, commençait a gagner de l’indépendance envers la Paramount et l’Universal et avait une plus grande liberté dans le choix de ses rôles. Il devient l’un des acteurs les plus privilégiés des années cinquante. Il aurait aimé, vingt-cinq ans après, produire la suite du Corsaire Rouge car le personnage qu’il avait incarné l’avait profondément marqué.

2) Contexte politique : La chasse aux sorcières. Le scénario de La flèche et le flambeau avait été écrit par Waldo Salt et la maison de production Norma avait réussi à en obtenir les droits. Jack Warner a fait lire le scénario à ses assistants et a finalement rappelé Burt Lancaster pour lui dire qu’il était d’accord pour le soutenir en mettant à sa disposition les décors construits pour Robin des bois. Fort du succès de La flèche et le flambeau, Jack Warner, pour des raisons financières, n’allait pas refuser un film qui s’appuyait sur la même formule. C'est-à-dire sur le physique et les prouesses de Burt Lancaster et l’humour de son acolyte muet joué par Nick Cravat. Pour cette raison, le scénario du Corsaire Rouge a été tout d’abord écrit par Waldo Salt sans que cela pose de problèmes. Quand il fut dénoncé en tant que communiste par Richard Collins en 1951, Jack Warner demanda la réécriture du scénario pour que l’on ne puisse pas lui reprocher d’avoir fait travailler un écrivain communiste. Roland Keblee, spécialiste de la comédie, fut chargé de nettoyer le scénario de toute propagande communiste et le nom de Waldo Salt fut effacé du générique. Pendant la seconde guerre mondiale, certains employés d’Hollywood adhérent au parti communiste, en général pour s’opposer au nazisme. A la fin de la guerre, les communistes à Hollywood sont environ trois cent et un sur deux est scénariste. La traque des communistes qui avait été laissée de côté à cause de l’alliance avec l’ URSS reprend dès 1945. Sous l’impulsion de John E. Ranskin, le représentant du Mississipi, la commission des activités antiaméricaines qui avait été crée en 1938, prend une grande importance. Il dénonce Hollywood qui est, selon lui, « le plus grand foyer d’activité subversives des Etats-unis ». Il est soutenu par le révérend Gérald L. K. Smith qui publia The cross and the flag dans lequel se trouve des article au nom représentatif comme Le viol de l’Amérique par Hollywood. Il se base sur l’idée d’un complot judéo-chrétien. Après la victoire des républicains aux élections de Novembre 1946, les anticommunistes passent à l’action. Le 9 Mai 1947, John Parnell Thomas qui est le nouveau président de la commission des activités antiaméricaines, rencontre déjà quatorze témoins amicaux chargé de 4

dénoncer des communistes et organise des visites dans les studios pour conseillers aux producteurs de se séparer de leur employés communistes avant que le congrès fédéral ne leur demande. Le 20 octobre 1947, la comission des activités antiaméricaines convoque à nouveau des amicaux témoins dont le patron de la Warner, Jack Warner qui traite les communistes de « termites idéologues » venus semer « des germes subversifs ». Le lundi 27 octobre 1947, la commission convoque dix-neuf témoins inamicaux dont douzes scénaristes dont Waldo Salt, cinq réalisateurs et un acteur. Les accusés décidèrent après une longue réflexion de faire appel au premier amendement de la déclaration des droits basé sur la liberté d’expression. L’un d’eux, Philip Dunne, fonda ensuite le comité de défense du premier amendement. Selon un ancien agent du FBI, Louis J. Russel, le professeur de littérature Haakon Chevalier aurait approché le père de la bombe atomique américaine pour lui soutirer des informations au profits de L’URSS en 1942 et des communistes Hollywoodiens auraient été en relation avec lui. D’où le titre du Daily Mirror de New York, le lendemain : « Les rouges du cinéma ont aidé ceux qui espionnent pour la bombe atomique » Le climat politique oblige certains cinéastes a s’expatrier. Jules Dassin qui avait dirigé les démons de la liberté, un drame réaliste sur la vie dans les prison avec Burt Lancaster, s’est fut obligé de quitter l’Amérique pour la Grande-Bretagne en 1949 à cause de ses opinions politiques. Il avait été inscrit sur la liste noire qui fermait la porte des studios aux personnes suspectées de communisme. Pour obtenir du travail aux Etats-Unis, il aurait du passer devant une commission d’enquête pour désavouer ses opinions et dénoncer ses amis communistes Les « dix d’hollywood » est le nom donné aux témoins inamicaux qui ont été interrogés et qui ont niés qu’ils étaient communistes : Alvah Bessie, Lester Cole, Adrian Scott, John Howard Lawson, Dalton Trumbo, Samuel Ornitz, Ring lardner Jr. , Edward Dmytryk, Herbert Biberman et Albert Maltz. Il partirent récolter des fonds dans tout le pays pour financer la bataille judiciaire qui dura deux ans et demi. Pendant ce temps, il leur était interdit d’exercer leur métier et la plupart était au chômage. Certains se contentèrent de participer à l’écriture de scénarios en se cachant, en taisant leur nom ou en prenant un pseudonyme comme Lester Cole qui se donna le nom de J. Redmond Prior. En 1949, J. Parnell Thomas fut accusé de corruption et condamné à 18 mois de prison. Finalement, concernant les « dix d’Hollywood », en Avril 1950, la cour suprême confirma le verdict des tribunaux inférieurs. Huit furent condamné à un an de prison et durent payer mille dollars d’amende. Les deux autres, Edward Dmytryk et Herbert Biberman furent condamnés à six mois seulement. En Mars 1951, alors que huit des « dix d’Hollywood » allait être libérés, la commission des activités antiaméricaines organise une nouvelle audition. Cette fois, les témoins amicaux sont d’anciens communistes repentis qui étaient des témoins inamicaux en 1947 et qui deviennent des délateurs, comme Dmytryk, Larry Parks, Richard Collins et Robert Rossan. Ils souhaitent faire leur retour à Hollywood . Le scénariste Richard Collins cita au nombre de ses anciens compagnons, cinq membres des « dix d’Hollywood » et nomma également, Robert Rossen et Waldo Salt et Gordon Kahn. 3) Contexte économique : La crise Hollywoodienne. Warner Bros a coproduit Le Corsaire Rouge avec la Norma. Le studio a été fondé en 1923 par Harry, Sam, Albert et Jack L.Warner. En 1927, la Warner obtient le contrôle de la First National et devient l’un des cinq majors hollywoodiens. La même année Sam Warner mourut et Jack Warner qui fut surnommé « le colonel » pris alors la tête du service de production avec son premier adjoint Darryl F. Zanuck. Albert devient le trésorier et Harry, le président. En 1944, le ministère de la Justice dépose un projet de modification des décrets sur les trusts pour obtenir la séparation complète de l’exploitation et de la production-distribution dans un délai de trois ans. En 1946, il 5

fut adopté. En 1949, la Paramount fut le premier des majors à abandonner ses salles. En 1950, la Warner, la Fox et MGM obtiennent un sursis de trois mois pour appliquer la séparation de leurs activités. Cette loi antitrust oblige la Warner a se diviser en deux groupes, le groupe de production-distribution Warner Bros Pictures Inc et le groupe d’exploitation Stanley Warner présidé par Simon H. Fabian. Les frères Warner optent pour la production. Cette séparation entraîne une faiblesses des grands studios qui ne peuvent plus contrôler directement le prix des places ni le temps d’exploitation des films. Les producteurs indépendants sont favorisés. Les années 50 furent marquées par une diminution de la fréquentation des salles et des longs métrages produits. Cette crise économique trouvait l’une de ses causes dans la crise politique. Le cinéma se trouva en concurrence avec la télévision qui se mit à diffuser des témoignages d’invités sur l’influence communiste dans les milieux du cinéma. Hollywood dut donc mettre en avant son avance technique avec le cinémascope, la couleur et également la 3-D pour attirer les spectateurs dans les salles. Les studios évitèrent de s’engager sur des terrains politique et social dangereux et se consacrèrent au cinéma de divertissement. Le film social et le film noir disparurent peu à peu pour laisser place aux comédies musicales et surtout aux films en costume d’époque qui souvent ne s’embarrassait pas d’un soucis de réalisme historique. En général, les intrigues sont romancées et complètement irréalistes. Ainsi, les péplums, les films de cape et d’épée, les films de pirates et les films de chevaliers défilèrent sur les écrans. Ils connurent un véritable âge d’or puis s’essoufflèrent jusqu’à tomber dans la caricature à la fin de la décennie avec les copies italiennes bon marché. Le Star System a pris une importance impressionnante et le cinéma de propagande anticommuniste commence à apparaître. L’année 1952 est le point culminant de la crise qui lieu depuis 1947 à Hollywood. La querelle entre l’industrie du film britannique et les studios d’Hollywood a conduit à un décret stipulant que les Américains n’avaient pas le droit de transférer aux Etats-Unis les recettes d’un film diffusé en Angleterre. En 1947, 75 % des bénéfices du cinéma américain en Angleterre furent bloqués par le gouvernement Britannique et en 1950, le parlement britannique fixe à 30 % le quota relatif à l’importation de films américains. La meilleure chose à faire pour les Américains était de réinvestir ces capitaux gelés en tournant des films en Angleterre. Les coûts de production était moins élevés en Europe qu’aux Etats-unis. C’est pourquoi dans les années 50, beaucoup de films hollywoodien ne furent pas tournés aux Etats-Unis. Les intérieurs du Corsaire Rouge furent réalisés à Londres et les extérieurs dans la Méditerranée et notamment, près de la petite île italienne d’Ischia, dans la baie de Naples. C’était le premier film que Burt Lancaster tournait en Europe. II/ LES FILMS DE PIRATES 1) Définition. « D’une manière ou d’une autre, ils ont symbolisés la révolte et le refus d’un consensus social, le rejet de l’hypocrisie et des privilèges, ainsi qu’un goût de plus en plus aigu de la liberté. » Gérald A. Jaeger, Les pirates à l’affiche. « Bien des pirates, s’ils n’espèrent pas faire fortune, pensent du moins retirer quelques profits des risques encourus. En ce sens, ils représentent les meilleurs agents d’un capitalisme sauvage, se lançant dans la compétition en prenant le maximum de risques, tout en cherchant leurs propres intérêts. Là se trouve l’une des fascinations qu’exerce la piraterie aujourd’hui » Philippe Jacquin, Sous le pavillon noir : Pirates et flibustiers..

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Ce qui vient à l’esprit de chacun quand nous parlons de pirates, c’est l’image d’Épinal peu flatteuse d’un homme barbu aux traits hirsutes, mutilé à cause des nombreux dangers qu’il a dut affronter, arborant un crochet, un cache œil ou une jambe en bois et accompagné d’un animal exotique, un perroquet ou un singe. Tout en conservant cette image issue de la littérature, Hollywood a su imposer l’image d’un héro triomphant issu des autres films de cape et d’épée, lavé de toutes les laideurs et de tous les défauts. Historiquement, les pirates sont de tout les temps. Il étaient présents sur les mers de la Grèce antique. Ils capturaient des hommes, des femmes et des enfants pour les revendre à des marchés aux esclaves comme celui de l’île de Délos. Ils ont navigué sur toutes les mers. Au cinéma, les pirates sont souvent limités à un emplacement géographique et temporel restreint. En général, à part quelques exceptions, les films de pirates se déroulent dans les colonies antillaises entre le XVIIe et XIXe siècle. Les pirates apparurent dans les Caraïbes, après la découverte du nouveau monde, suite à un renforcement de l’ordre en Europe. Les brigands se sont vus obligés de partir pour des terres plus propices. Les Européens envoyèrent, pour peupler les îles, des soldats et des prisonniers. Les pirates se constituèrent de nombreux repères sur les îles de la mer des Caraïbes. Le plus célèbre est celui de l’île de Tortuga qui fut la capitale des pirates de 1630 à 1660. De cet emplacement stratégique, face aux Bahamas, ils pouvaient guetter les navires espagnols. Entre 1664 et 1676, le représentant du roi de France sur l’île, le gouverneur Bertrand d’Oregon, encouragea l’implantation des femmes qui plutôt que d’assagir les flibustiers, se convertirent à la piraterie. Pirates des Caraïbes :Jusqu’au bout du monde introduit les pirates chinois dans le cinéma avec le capitaine Sao Feng et la fameuse dame Ching qui domina la piraterie chinoise et régna sur cinq cents bateaux au début du XIXéme siècle, suite à la mort de son mari que l’empereur avait nommé maître des étables impériales. Elle établit un règlement strict et se distingua en temps que grande tacticienne. La vision que le cinéma donne des pirates est fantasmée, très différente de la réalité historique. La mythologie qui s’est construite autour d’eux en a fait des personnages plus sympathiques qu’ils ne l’ont été. Dés le film muet Le pirate noir, l’héro, joué par Douglas Fairbanks apparaît tout d’abord comme une victime de la piraterie puis comme un pirate idéalisé au grand courage et à l’honneur sans faille contrastant avec les hommes rustres qui l’entourent, correspondants à une image négative de la piraterie qui est souvent celle que renvoient des personnages comme Edward Teach, pirate rondouillard à la barbe tressée et garnie de rubans, plus connu sous le nom de Barbe Noire en Français et Black Beard en Anglais, légendaire pour son caractère particulièrement désagréable. Ces hommes ne pense qu’a l’or, aux combats, aux jeux, à l’alcool, le plus souvent du rhum, et aux femmes faciles. Ils profitent de la vie et suivent leurs propres règles. Ce sont des monstres sanguinaires et brutaux. Ils ne craignent rien et font régner la terreur sur les mers. Ils ne pensent qu’à leur propre intérêt et se trahissent facilement. Ils enterrent parfois leur butin sous terre, alimentant ainsi de nombreuses chasses au trésor. Avant d’aborder un bateau, ils cachent leur identité en hissant le drapeau d’une nation qu’ils remplacent par un pavillon pirate une fois le navire a portée. Le mot pirate vient du grec « peiratès », ce qui signifie celui qui tente fortune. Les pirates est donc ceux qui volent, pillent et tuent pour s’enrichir. Ils s’attaquent le plus fréquemment aux navires de commerce. Ils sont devenus des révoltés ayant rejetés les règles de la société de leur époque pour parcourir les mers, vaste espace loin de la civilisation et de ses contraintes. Ils suivent souvent un modèle égalitaire, le butin étant partagé entre eux. Les films des pirates appartiennent à la catégorie de l’aventure maritime. Ils relèvent du film historique et plus précisément du cinéma de cape et d’épée. Il peuvent également être des comédies et sont souvent indissociable d’un certain romantisme. Le personnage principal mettant souvent sa vie en danger par amour. Les cinéphiles anglo-saxons classent les films de pirates dans le genre du « swashbuckler ». Ce terme anglais, développé au XVI éme siècle, signifie littéralement en Français « Spadassin » et correspond aux romans et aux films de capes et d’épées. Les personnages les plus connus de ce 7

genre sont Zorro, Robin des Bois et d’Artagnan. Ces héros ont comme point commun leur bravoure, leur romantisme, luttant pour le triomphe du bien contre le mal et gagnant par cela le cœur d’une belle demoiselle. Les intrigues se déroulent dans un cadre historique, en général entre le XVéme siècle et le XIXème siècle. Le panthéon des « Swashbuckler » est composé d’ acteurs comme Douglas Fairbanks père et fils, Errol Flynn, Tyrone Power, Burt Lancaster et désormais Johnny Deep incarnant un personnage décalé, Jack Sparrow. Burt Lancaster fit ses débuts dans ce genre avec La flèche et le flambeau, référence ouverte à à Robin des Bois, le héro Dardo étant souvent armé d’un arc pour lutter avec ses hommes contre l’oppresseur local, Ulrich de Hesse le représentant en Lombardie de l’empereur Barberousse. L’univers des pirates est souvent exclusivement masculin mais il existe certaines femmes pirates comme Mary Read et Anne Bonny qui ont influencé par exemple le personnage d’Anne Providence, fille adoptive de barbe noire, héroïne de La Flibustière des Antilles, film réalisé par Jacques Tourneur qui est sorti un an avant Le corsaire rouge. Tout comme ses modèles, elle se comporte et s’habille comme un homme. Anne Providence découvre sa féminité en s’éprenant d’un général français Pierre François dont l’amour se révèle être un mensonge. La jalousie la mènera à sa perte. Le pirate Barbe Noir occupe une place importante dans le domaine des films de pirates. Il a été le sujet de nombreuses transpositions cinématographiques. En 1952, sort d’ailleurs Barbe Noire le pirate réalisé par Raoul Wash. Il sera à l’honneur ainsi que sa fille dans le prochain Pirates des Caraïbes : La fontaine de Jouvence. 2) Histoire. Les personnages des films de pirates sont très influencés par la littérature, notamment par le livre paru en 1678 et écrit par le chirurgien Alexandre-Olivier Exmelin qui avait embarqué sur les navires flibustiers des Antilles et par le livre A general History of the pirates paru entre 1724 et 1728 et écrit par le mystérieux capitaine Charles Johnson, pseudonyme derrière lequel se cachait probablement l’auteur de Robinson Crusoe, Daniel Defoe. Dans ce livre est évoqué la république de Libertalia, société utopique qui aurait été fondé par le capitaine pirate français Olivier Misson et le prêtre dominicain italien Carracioli dans la baie de San Diego sur l'île de Madagascar. Cette société était basée sur des idéaux communistes, antiracistes et théistes. Même du sang sur les mains, Misson, endoctriné par Carracioli, se revendiquait du bien le plus pur, loin de la brutalité du monde. La légende de John Avery a sans doute alimenté l’imaginaire des écrivains en épousant la fille du grand Mogol, chef du navire dont il venait de s’emparer. C’est au XIX éme siècle, juste après leur disparition des mers, que les les pirates se transforment en ce qu’ils sont devenus aujourd’hui dans l’imagerie populaire. Robert Louis Stevenson, avec son personnage Long John Silver dans l’Ile au trésor met en place les attributs du parfait pirate, la jambe de bois et le perroquet. en 1883. Ce livre a été adapté de nombreuses fois au cinéma. Le personnage du capitaine crochet qui lui aussi amputé d’un membre dans le célèbre roman Peter Pan écrit par J.M. Barrie et paru en 1911 a été également important dans la construction du mythe. Les films de pirates sont presque aussi vieux que le cinéma en lui-même. En effet, les pirates se prêtent au romanesque, à l’aventure, au spectaculaire… Ils fascinent et stimulent l’imaginaire. Le premier film de pirate est sortit en 1904. Par la suite, Griffith a réalisé L’or du pirate en 1908 et Louis Feuillade a réalisé Le secret du Corsaire Rouge ( Peut-être est-ce à cause de ce film que The Crimson Pirate fut baptisé d’un nom aussi farfelu en Français). Douglas Fairbanks a marqué l’enfance de Burt Lancaster. Quand il avait sept ans, la sortie de La marque Zorro fut un grand événement pour lui. Il essaya ensuite d’imiter les prouesses son héro en sautant partout au désespoir de sa mère. Cet acteur du cinéma muet est devenu son modèle comme il fut le modèle d’Errol Flynn. Le film Le pirate noir a été initié par le désir de Douglas Fairbanks d’être le héro d’un film de pirates. Il était prévu que Raoul Walsh soit le metteur en scène de ce film mais, à l’époque, les films de pirates n’avaient pas beaucoup de succès, donc 8

Douglas Fairbanks repoussa la date du tournage. Il tourna à la place Le voleur de Bagdad avec Raoul Walsh. Finalement, Douglas Fairbanks revient sur son idée première et joua dans Le pirate noir qui sorti en 1926. Le film fut réalisé par Albert Parker. Ce film muet utilise le Technicolor bichrome, apportant au film de pirates qui semblait démodé, un attrait technique. Il raconte l’histoire de Michel qui devient le Pirate Noir en voulant venger son père. Il tue le capitaine des pirates responsable du massacre de l’équipage du bateau où ils étaient passagers et s’empare d’un navire. Par la suite, il tombe amoureux d’une princesse, passagère d’un bateau qu’ils attaquent et décide de la libérer. Après avoir été dénoncé et condamné au supplice de la planche, il tue le second de l’ancien capitaine et finit par épouser la princesse. Dans Le Corsaire Rouge, Burt Lancaster, s’impose également comme le successeur de l’acteur Errol Flynn dont le premier film de pirate, Captain Blood qui est sorti en 1935 et qui a été réalisé par Michael Curtiz, a assuré la notoriété. L’acteur Robert Donat qui devait interpréter le personnage principal était tombé malade, permettant à Errol Flynn de faire ses preuves et de devenir l’héro incontournable des films d’aventures de la Warner Bros, studio qui l’avait sous contrat. Il incarnait à maintes reprises un homme valeureux prêt à défendre les plus faibles, de Peter Blood à robin des bois. Captain Blood marque le regain d’intérêt pour les films de pirates qui avaient été délaissés à l’arrivée du parlant. En 1940, Errol Flynn joua le rôle du capitaine Geoffrey Thorpe dans un nouveau film de pirates de Michael Curtiz, L’aigle des mers. Dans ces deux films, le pirate finit par retrouver le droit chemin en servant le pouvoir de leur nation l’Angleterre et en épousant la femme dont il est tombé amoureux. Le personnage de Peter Blood refit une apparition à l’écran en 1950 dans The fortunes of the Captain Blood et le fils du pirate a été interprété en 1962 par son propre fils, Sean Flynn. Le succès d’Errol Flynn a poussé les autres studios hollywoodiens a rivaliser avec la Warner Bros. Pour cela, la Century Fox engagea Tyrone Power qui joua James Waring dans le film en Technicolor réalisé par Henry King, The Black Swan qui sorti en 1942 et Universal misa sur Tony Curtis dans les années 50. Le mythe du pirate a été déjà parodié dans Le Pirate, film de Vincente Minelli produit par la MGM, adaptation d’une comédie à succès à Broadway par Cole Porter. La comédie musicale la plus chère de la MGM pendant quinze ans n’eu pas beaucoup de succès à sa sortie en mai 1948. Pourtant, ce genre était à la mode à l’époque. Cette modernisation du mythe se base sur un pirate reconvertit qui possède une bonne position dans la société. Ce personnage rappelle le capitaine Henry Morgan qui est devenu chevalier et gouverneur de la Jamaïque sous les ordres du roi de l’Angleterre, Charles II, après avoir été acquitté par les tribunaux anglais. Gene Kelly qui joue un acteur qui se fait passer pour un pirate pour gagner le cœur de la femme qu’il aime, utilise le ballet, la danse espagnole, la gymnastique et joue sur ses capacités athlétiques tout comme Burt Lancaster dans le corsaire rouge. Lors du ballet du terrifiant pirate Mack le noir, nous voyons dans l’imaginaire du personnage joué par Judy Garland. Ce pirate ressemble beaucoup au personnage de Douglas Fairbanks. En 1952, la production des films de pirates est intense. Dix films de ce genre sortent au cinéma. Ils connaissent leur âge d’or qui fut suivit d’un déclin à la fin des années cinquante, étant devenus trop difficiles à financer pour les studios hollywoodiens. Les films de pirates italiens et français se multiplièrent, pâles copies des films américains.

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III/ LE CORSAIRE ROUGE : UN FILM DE PIRATE LOUFOQUE. 1) Un film de pirate basé sur les prouesses d’un acteur dans la lignée de Douglas Fairbanks et Errol Flynn. Le Corsaire Rouge a été grandement influencé par les films de pirates antérieurs en ce qui concerne sa progression narrative et ses personnages. Le film se passe en grande partie sur les mers, ces scènes maritimes sont entrecoupées par des scènes se déroulant dans la terre ferme. Il utilise les attributs du pirates comme le crochet, la jambe de bois et le cache œil. Il reprend l’intertitre expliquant la situation au début du film, héritage des films muets qui se retrouve dans beaucoup de films du début du parlant, notamment dans les films de cape et d’épée, ils servent à placer le film dans un contexte historique précis. Dans le cas du Corsaire Rouge, il informe sur le lieu, les Caraïbes, et sur la date, la fin du XVIIIème siècle. Il est plus court que celui du début de La flèche et le Flambeau qui est plus explicatif. Nous retrouvons une mutinerie comme dans le film muet Le Pirate Noir. Elle advient pour des raisons similaires. Elle a lieu lorsque le héro Michel, appelé par les hommes de son équipage le pirate noir, tente de sauver la princesse dont il est épris avec la complicité d’un des pirate, Mc Tawish qui est toujours acquis à sa cause. Le lieutenant, second du capitaine tué s’oppose à lui et monte une révolte dans l’équipage. Michel est condamné avec la princesse à la planche. Le personnage de Mc Tawish par son rôle de complice du héro ressemble beaucoup à Ojo. Il n’a cependant pas de rôle comique dans la narration. Le lieutenant, par son rôle d’antagoniste opposé au décisions du capitaine pirate du navire, ressemble à Humble Bellows. A part que dans Le Corsaire Rouge, le personnage de Bellows, porteur des anciennes valeurs de la piraterie, est moins uniforme car il possède des motifs tout à fait défendables à ses actes même s’il n’hésite pas à espionner Vallo alors que le lieutenant est seulement motivé par la vengeance et l’envie. Consuelo est très différente du personnage de la princesse dont est éprise le pirate noir. Elle n’est pas noble. Au contraire, elle est politiquement opposé à la monarchie. Elle défend courageusement la démocratie et les siens. Dans les films de cape et d’épée, les héros tombent amoureux le plus souvent de femmes de haute condition. Peter Blood lui s’éprend de la nièce du colonel Bishop, Arabella. C’est son amour pour Peter qui la pousse à trahir son oncle et à se joindre à lui. C’est l’opposé de ce qui se passe dans Le Corsaire Rouge où Consuelo entraîne Vallo dans la cause défendue par El Libre. Le film se termine sur le baiser final caractéristique des films à grand spectacles Hollywoodiens, comme le disait Lancaster : « Tout cela était inévitable à Hollywood. Il devait y avoir une histoire d’amour dans tout les films à grand public » Le happy end est très conventionnel. Seul Prudence et Ojo viennent le troubler. Le baiser final se retrouve dans des films comme Le Pirate Noir, Le cygne noir ou encore Barbe Noire le pirate de Raoul Walsh.

Le baiser d’un libre Pirate Rouge.

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Autant en emporte la mer (Le Cygne Noir) Cliché du coucher de soleil romantique.

Le Corsaire Rouge joue avec les archétypes souvent utilisés dans les films de capes et d’épées. Ils sont également exploités dans les comics américains. Superman, le super héro musclé défenseur du american way of life de DC comics crée au début des années 30 par Jerry Siegel, a été ouvertement influencé par Douglas Fairbanks. Il fut rapidement accompagné par un confident Jimmy Olsen, jeune journaliste travaillant au Daily Planet, personnage crée en 1940 occupe la même place que Ojo et Consuelo rappelle Lois Lane, la petite amie de Superman crée en 1938. Le personnage joué par Burt Lancaster ressemble au personnage de Douglas Fairbanks et Errol Flynn sans partager tout à fait leur droiture d’esprit et leur honneur inébranlable car il trahit son second, Bellows en ne suivant pas sa proposition du départ qui paraît d’ailleurs tout à fait immorale. Il est moins exemplaire. Dès les premières images, Burt Lancaster apparaît le torse nu huilé, la puissante mâchoire animée d’un sourire constitué d’une longue enfilade de dents blanches reconnaissables, le corps mis en avant comme celui de Tyrone Power dans The Black Swan. Il est le héro qui ne se prend pas au sérieux, semblant rire du danger, évoluant dans un monde improbable. Physiquement, il a tout de l’idéal masculin américain. Il paraît jeune malgré son âge. Quand il tourne, Le Corsaire Rouge il a presque quarante ans alors que son personnage en fait vingt.

Burt Lancaster: Un regard séducteur.

Tyrone Power : Virilité affirmée.

Quand il s’introduit dans la cabine du baron Gruda et qu’il embrasse sa compagne, il se pose comme un éternel séducteur, usant de son charme pour arriver à ses fins, annonçant James Bond, tout comme dans l’antérieur la flamme et le flambeau où il partageait l’affiche avec l’actrice Virginia Mayo. Désormais, il est l’acteur le plus important et le nom de sa compagne à l’écran, Eva Bartok, se retrouve après celui de son acolyte, Nick Cravat. Les décisions qu’il prend sont plus souvent guidé par l’amour que par la raison. Quand il laisse partir le baron Gruda, c’est peutêtre plus à cause de son attirance envers sa compagne que pour l’or et quand il le tue, c’est par amour pour une autre femme, Consuelo. Tout les otages qu’il libère, c’est par amour. Comme le lui fait comprendre Ojo pendant une longue séquence de mimes à l’aide de cordes tressées, l’amour lui met des idées folles dans la tête, le rend aveugle et l’emprisonne.

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Burt Lancaster utilise son pouvoir de séduction Burt Lancaster rencontre une ancienne pour dérober un pistolet dans le Corsaire Rouge. connaissance dans La flèche et le flambeau. La séquence d’introduction joue avec les codes du cinéma et ses capacités à tromper. Elle a été visiblement tournée en même temps que le combat final sur le bateau du baron Gruda alors que le réalisateur était absent. Burt Lancaster introduit le film en faisant des acrobaties accroché à une corde au son des tambours et des cuivres. Après avoir demandé à son équipage de larguer les vergues et d’envoyer toute la voilure, il s’adresse directement au spectateur pour lui demander de s’approcher. Il lui dit ce à quoi il doit s’attendre, en jouant un rôle correspondant à celui du bonimenteur du cinéma muet qui était chargé d’attirer le public dans les salles. Cette scène transgresse les règles du cinéma par l’utilisation du regard caméra. Il présente le film comme un conte totalement irréaliste qui se déroule il y a très longtemps et très loin dans la mer des caraïbes. D’ailleurs, les gestes d’Ojo le muet lorsque Vallo et Consuelo s’embrassent rappelle la fin d’un conte de fée : « Ils se marièrent, eurent beaucoup d’enfants et vécurent heureux. » Burt Lancaster invite le spectateur au rêve. Il lui demande de ne pas poser de questions et de croire ce qu’on lui montre tout en sachant que c’est une tromperie. Le premier plan est un panoramique de droite à gauche où nous voyons le pirate passer d’une voile à l’autre. Ce plan est repris mais à l’envers après la première du discours de Burt Lancaster. Ce même plan se retrouve à la fin du film après que Gruda ai raté Vallo en tirant une balle avec son pistolet, avant même que Gruda meurt de sa propre maladresse. L’utilisation à plusieurs reprise du même plan semble narguer le spectateur, montrer les facultés de manipulation du cinéma. Après la phrase « Non, croyez la moitié de ce que vous voyez » (No, believe half of what you see ), un pavillon pirate apparaît flottant au vent. Il représente une tête de mort dont l’un des orbites est traversé par une épée. Ce qui fait rire l’œil aiguisé. Pour cause, cette tête de mort a des capacités de vision diminuée et fonctionne en écho avec la phrase provocante de Burt Lancaster. Il a été sûrement inspiré du pavillon de Jack Rackam, représentant deux sabres entrecroisés sous une tête de mort. Tout le générique est très signifiant. Il est très sophistiqué par rapport à d’autres génériques de films du même genre. Il n’est pas limité à un ciel parsemé de nuages comme celui du Cygne Noir. Cependant, ce fond se retrouve à la fin du film. Les lettres utilisés pendant le générique sont rouges, ce qui est souvent le cas dans les films de pirates comme Le cygne noir et La Flibustière des Antilles. Cette fois, elles entrent en résonance avec le titre du film tout comme le corsaire rayé du pirate. Pendant le générique, son nom apparaît en premier et de la même taille que le titre, d’abord en fondu avec l’image de l’acteur en train de demander avec volonté en bombant son torse nu, de lever l’ancre à son personnage Vallo qui est paré de tout les attributs d’un capitaine, dans un raccord regard expressif. Il disparaît en fondu avec le titre du film. Burt Lancaster est The Crimson Pirate. Vallo est filmé en plan américain et derrière lui, se trouve son acolyte muet en train de tourner le gouvernail et plus loin, à moitié caché, se devine Bellows, installant la hiérarchie entre les personnages du navire pirate. Les ordres de Vallo ne s’entendent pas. Ce qui est vraisemblablement une référence au cinéma muet. Le fondu du noms des autres acteurs avec les membres de l’équipage du bateau jetant la cargaison par-dessus bord rappelle la notion de 12

groupe permettant de réaliser un film et de faire fonctionner un bateau. Le nom de Nick Cravat est écrit un peu plus gros que les autres mais d’une taille nettement inférieure à celle du nom de son ami d’enfance. Le nom du compositeur de la musique William Alwyn et du chef d’orchestre Muir Mathieson apparaissent sur le plan d’un pirate en en train de frapper la cadence avec un marteau, symbolisant la rythmique musicale. La musique change complètement de registre quand le bateau espagnol est présenté. Elle devient plus douce et calme. Le thème des pirates est confronté à une musique militaire lorsque les soldats se mettent au garde à vous à l’arrivée du baron Gruda,.

Burt en équilibre sur une longue perche verticale Le numéro de barres parallèles dans Le Corsaire sur la tête de Nick dans La flamme et le flambeau. Rouge. Burt Lancaster joue un pirate nihiliste aux grandes capacités physiques. Contrairement aux autres acteurs qui ont pu jouer auparavant dans des films de cape et d’épée, Burt Lancaster dès La flèche et le flambeau désire ne pas être doublé. Il enchaîne les cascades les plus improbables, rappelant parfois des numéros de cirque : courte échelle pour sauter au dessus d’un muret, pirouettes à l’envers, trampoline sur des baldaquins, glissades sur des fils pour étendre le linge, trajet accrochés à une corde… Les hommes du roi restent droits et secs et ne sont pas capables de toutes ses fantaisies. Ils sont ridiculisés par leurs incapacités physiques et intellectuelles. Les deux trous percés dans les murs par les boulets de canon des soldats espagnols, avant que Vallo et Ojo fassent un numéro de barres parallèles en pleine ville, est une référence à l’époque où lors de la représentations, ils devaient faire des trous dans les parois de la scène pour fixer les barres. Ce que les directeurs salles n’appréciaient pas. Le numéro auquel il est fait référence dans La Flèche et le Flambeau, nécessitait une perche verticale trop haute. Ce qui a contraint Burt et Nick de faire leurs deux numéros dans des cirques et des foires. 2) Un film de pirate comique ? Le corsaire rouge joue sur l’ironie en ce qui concerne la navigation. C’est une innovation apporté aux films de pirates qui se retrouve dans Pirates des Caraïbes: Le secret du coffre maudit avec l’équipage de Davy Jones, qu’une malédiction a réduit à l’état d’hommes poissons. Pêcheurs ou poissons, les pirates sont des hommes de l’eau. Les analogies sont multiples. Quand Vallo part vendre les armes aux rebelles de l’île de Cobra, Bellows le compare à un pêcheur vendant son chargement dans la criée. En effet, le raisonnement commercial de Vallo est très différent de celui de Bellows qui a horreur du commerce qui, pour lui, est opposé à l’honneur des pirates. C’est une activité qui lui paraît totalement répugnante, d’autant plus que Vallo propose un trafic d’armes et d’hommes sans aucun état d’âme. Il propose d’aider et de trahir deux camps opposés sans servir aucune cause à part son propre intérêt. Cette caractéristique est propre au marchand capitaliste qui est capable de faire n’importe quoi, tant qu’il gagne de l’argent. Après s’être déguisés en pêcheurs, Vallo et Ojo prennent les soldats dans un filet de pêche étendu dans une rue. Cette fois, les 13

militaires sont les victimes. Ensuite, voir Vallo et Ojo monter sur un puit fait sourire. Quand ils se réfugient chez les pêcheurs révolutionnaires Del Libre qui sont en train de cuisiner, ils se cachent dans un tonneaux remplis de poissons bon à frire dans une casserole lorsque les soldats les cherchent. D’ailleurs, c’est avec cet instrument de cuisine que l’un des révolutionnaire les frappe, après le discours que Vallo tient, assit sur un puit, cherchant à les persuader d’acheter les armes. Finalement, celui qui croyait vendre le résultat de sa pêche et réduit à l’état de poisson. Quand Vallo et Ojo sortent du tonneau, cela annonce ce qui va se passer par la suite. Les pêcheurs révolutionnaires Del Libre sortent d’un passage secret ressemblant au couvercle d’un tonneau, peut-être, en relation également avec leur nature cachée de poissons. Par la suite, Bellows et les autres pirates sont endormis avec du rhum empoisonné et enfermés dans un filet par les hommes du baron Gruda. L’un d’eux déclare à propos de Vallo : « Il est parti en pirate et nous partons comme des poissons ». Bellows a fait ce qu’il ne fallait pas faire. Il s’est allié au baron Gruda et lui a vendu El Libre et sa fille. Par vengeance, il est devenu le marchand qu’il critiquait.

Les pirates naissent dans les puits.

La pêche est bonne aujourd’hui !

Comme un poisson dans un tonneau.

Attrapé qui croyait prendre.

Contrairement aux autres films de pirates, dans Le Corsaire Rouge, les situations sont absurdes, improbables, exagérées. Elles sont hérités des films burlesques américains des années 20. Elles rappellent les gags des films de Max Linder, Charlie Chaplin, Buster Keaton, Harry Langdon et du duo Laurel et Hardy, qui ont influencé le cartoon hollywoodien dont nous retrouvons l’imagerie et le traitement sonore caractéristique dans Le Corsaire Rouge. Cette référence est une façon de 14

placer Burt Lancaster dans la continuation de cette génération d’acteurs du temps du muet, souvent issus de la scène, du music-hall et du cirque, jouant le rôle principal tout en réalisant et produisant le film. Buster Keaton, tout comme Burt Lancaster, n’était jamais doublé pour ses cascades. Ojo, le personnage muet et comique rappelle les débuts du cinéma. Des pièges impossibles dans la réalité, typique du cinéma burlesque et des cartoons, sont utilisé par les pirates. Le premier gag correspond à la sortie d’un des pirates d’un panier, objet détourné de sa fonction habituelle. Il assomme un soldat espagnol avec un gourdin puis retourne dans le panier comme un diable à ressort sorti de sa boîte. Il est aidés par deux autres pirates qui frappent le soldat tout en restant allongés. Ils se lèvent tous seulement quand il ne reste plus qu’un marin debout. Cette action improbable est amplifiée par les bruitages complètement irréalistes accompagnant les coups réalisés avec des instruments de musique, des cordes notamment. Lorsque que Vallo fait un signe de la main à un soldat espagnol, seul sa main dépasse. L’homme, dupe, s’approche et serre la main d’une personne qu’il ne voit pas qui le fait tomber dans l’eau. Cette crédulité se retrouve souvent dans les cartoons hollywoodien. La course poursuite de l’île de Cobra entre Vallo et Ojo et les hommes du roi relève particulièrement du domaine du cartoon. Pendant cette dernière les gags s’enchaînent. Les hommes du roi tombent dans de nombreux pièges profondément grotesques et que tout homme intelligent aurai pu évité. Vallo et Ojo s’amusent avec eux, comme dans Tom et Jerry, série animée crée par William Hanna et Joseph Barbera et produite par la MGM de 1940 à 1958, la souris se moque du chat. Ils sifflent pour les attirer tout d’abord cela ne fonctionne pas puis ensuite ils accourent. Finalement, les deux amis se retrouvent derrière eux. Ensuite, les soldats se trompent de personnes en suivant des moines. Ils se font complètement manipuler. Par la suite, le soldat chargé de faire passer un message à l’aide de deux drapeaux pour demander au bateau du baron Gruda d’aborder Le bateau est désormais aux mains de Bellows et le messager se fait toucher par un de ses cannons. Il devrait être mort mais il continu à bouger, à répéter mécaniquement les mêmes gestes, entouré par de la fumée. Ses habits et les drapeaux sont déchirés et son corps est couvert de suie. Ce passage insiste sur le côté robotique des soldats. Le personnage qui ne meurt jamais malgré ce qui lui arrive est une particularité des cartoons comme ceux Tex Avery qui travailla d’abord pour la Warner Bros puis suite à un dispute en 1941, il rejoignit les studios d’animations de la MGM. Il avait crée avec son équipe de la Warner Bros, des personnages comme Bugs Bunny, daffy duck et Porky pig. A la MGM, il participa à la création entre autre de Droopy. Le travestissement en femme est aussi l’un des gags utilisés par le cartoon qui se retrouve dans Le Corsaire Rouge.

La main du destin.

A l’abordée !

Le traitement musical du Corsaire Rouge est inspiré de la musique des cartoons américains, notamment du travail du compositeur Carl Walling qui écrivit pour les studios Disney les bandes sonores des premiers films de Mickey Mouse. Il dut se confronter à la volonté de Walt Disney, 15

selon laquelle la musique devait se plier au rythme des dessins animés. Finalement, un compromis fut trouvé. Silly Symphonies permit au compositeur d’être plus libre. Dans cette série qui a été produite de 1929 à 1939, les images devaient suivre la musique. Le premier court-métrage de la série fut La Danse macabre. Le compositeur rejoignit ensuite le studio Warner Bros et composa la musique des Looney Tones et des Merrie Melodies. La MGM, quant à elle avait un autre compositeur pour ses films d’animations, Scott Bradley qui, dans un style ressemblant à celui de Carl Stalling, utilisa pour souligner les gestes, actions et pensées des personnages, divers effets instrumentaux. De la même manière, la musique dans Le Corsaire Rouge sert à amplifier l’aspect comique de l’action ou encore à montrer les sentiments amoureux de Vallo et Consuelo. Elle est synchronisée avec le déroulement de l’image et met en avant certains gestes des personnages. Lorsque Vallo et Ojo sautent dans la cabine du baron Gruda, leur saut est accompagné par un bruitage musical. Quand l’un des pirates tend sa main à la place de Vallo au baron Gruda entraînant l’hilarité de ses compagnons, son geste, souligné après par un gros plan, est accompagné par un bruit de percussion. Pendant la course poursuite de l’île de Cobra, quand les soldats soulèvent les capuches des moine, leur geste est accompagné d’un bruitage musical intriguant. Le mouvement d’ Ojo et Vallo est accompagné d’un roulement de tambours, quand ils sautent sur les baldaquins comme s’ils étaient des trampolines et quand ils font des barres parallèles. Ce qui permet d’inscrire l’action dans le domaine du cirque plus clairement. Carl Walling, compositeur qui a débuté en tant que flûtiste au sein d’un orchestre accompagnant la projection de films muets, a sûrement été également influencé par des compositeurs comme Erich Wolfang Korngold a qui nous devons la musique des films de pirates avec Errol Flynn, Capitaine Blood et L’aigle des mers, et des Aventures de Robin des Bois et comme Frank Waxman qui a signé la musique de La flibustière des Antilles.

Tout les événements de nature tragique du scénario, pourtant présents, sont relégués au second plan et atténués par l’humour se dégageant des situations improbables. Lorsque El Libre meurt tué par un soldat alors qu’il quitte le bateau de Vallo avec sa fille dans une barque, nous ne le voyons pas mourir. Il est caché par la barque espagnole. Il Sa mort est seulement compréhensible par son absence ensuite. C’est à cet instant que Vallo prend conscience que désormais il est seul car personne ne répond plus à ses ordres. Un moment émouvant a lieu après la mutinerie lorsque Vallo, Ojo et Prudence partent enchaînés à une barque. L’un des pirates essuie ses larmes avec son crochet. L’ homme est triste mais l’utilisation du crochet plutôt que sa main libre est complètement absurde et amuse le spectateur cela montre les sentiments qui se cache derrière une brute. Le personnage de Pablo Murphy est sûrement l’un des personnages dont la dimension tragique est le plus amplifié. Dès sa première apparition, ce pêcheur désespéré détestant le baron Gruda, rejète Vallo et Ojo. Il n’a pas confiance en eux et il a raison. La séquence pendant laquelle il se fait fouetter est assez satirique. En effet, il apparaît dans une cachette secrète derrière un tableau représentant probablement le roi espagnol, montant l’injustice derrière derrière l’apparence pompeuse. Consuelo est terrifiée par la vision qui s’impose à elle. Lorsque Pablo Murphy tente d’assassiner d’un coup de couteau, lors du mariage du gouverneur, le baron Gruda qui se sert de la mariée comme d’un bouclier, il est tué par l’attaché du gouverneur, joseph, joué par Christopher Lee avec un autre couteau. Le gros plan sur le dos transpercé, insiste bien sur la mort de l’homme qui déclenche tout de suite la réaction de Vallo qui déguisé en femme se jète sur les soldats. Cependant, l’action se déroule vite et l’émotion n’est pas portée à son comble car elle est suivie d’un passage comique pendant lequel beaucoup de soldats se font massacrer. La tragédie de cet homme n’arrivant pas à réaliser son but paraît moins brutale. A la fin, Bellows refuse de suivre le reste de l’équipage sous l’eau et reste dans le bateau qui est détruit par les canons du navire du baron Gruda. Sa mort n’est pas montrée. Elle est évoquée par la phrase qu’il dit à Vallo avant de le quitte, annonçant sa fier sacrifice en tant que pirate puis par le changement de valeur de plan de Bellow au gouvernail du bateau surmonté par le drapeau pirate, passage d’un plan américain à un plan rapproché épaule. La tragédie est couverte par les rires et hurlements triomphants des marins 16

espagnols. L’alternance entre les événements tragiques et comiques est une innovation structurelle apporté au récit du film de pirates. Le fond est plus sérieux que la forme.

Brute fleur bleue.

Pablo Murphy encadré par les soldats exécuteurs du pouvoir royal jure de tuer le baron Gruda. 3) Un film de pirate révolutionnaire.

« Ces scènes exaltantes nous nous feraient presque oublier que Le corsaire rouge n’est pas seulement un film naïf et plaisant. Même si les chefs de studios ont demandé que le script original de Waldo Salt soit réécrit parce que l’auteur, accusé d’être communiste, s’était retrouvé sur la liste noire de Mc Carthy, le film a su conserver un côté malicieusement subversif : montrer un soulèvement populaire, qui plus est en costumes, n’était sans doute pas très osé, même à l’époque de la chasse aux sorcières, mais équiper les révolutionnaires de nitroglycérine, la nouvelle arme miracle, semble aujourd’hui plus explosif face à la peur qu’inspirait la bombe atomique soviétique. » Jürgen Müller, Films des années 50.

Ce qui différencie Le Corsaire Rouge des autres films de pirates se sont les armes utilisées, quelles soit innovantes technologiquement ou primitives. L’arme traditionnelle de ce genre, l’épée possède une maigre place. Elle est réservée aux soldats du pouvoir en place. Leur donnant un côté conformisé, inapte à s’adapter et à maîtriser les événements. Lors de la bataille finale, les hommes de Vallo utilisent des massues tandis que ceux du baron Gruda utilisent quelques épées et surtout des armes à feu. Cette utilisation des armes primitives est annoncée lors de la première bataille quand les hommes qui faisaient semblant d’être malades se lève. L’un des pirates assomme un marin espagnol avec un goudin, un autre utilise sa jambe de bois pour assommer un soldat et ensuite Belows en étrangle un avec une corde. Par la suite, des armes à feu sont présentes mais ne sont pas utilisées à part pour menacer. Le combat final sur le bateau du baron Gruda suit la même logique. Des objets servant à la navigation deviennent des armes. Ils n’hésitent pas abîmer le bateau pour cela. Ce film est peut-être, quelque part, le reflet de la course aux armements qui a eu lieu entre deux superpuissances, les Etats-Unis et l'URSS pendant la guerre froide mais historiquement, le récit se déroule à la fin du XVIIIéme siècle donc au moment de la Guerre d’Indépendance Américaine opposant les 13 colonies américaines à la couronne d’Angleterre, qui a eu lieu de 1775 à 1781. Durant la bataille qui oppose les résistants à l'armée espagnole pendant le mariage du gouverneur avec Consuelo, de nombreuses armes, parfois anachroniques, conçues par le professeur Prudence et ses associés, sont utilisés par Vallo et Ojo. Elles contrastent avec les épées traditionnelles des 17

films de pirates. Elles illustrent l’idée émise par Prudence, archétype du scientifique basant tout sur ses calculs, selon laquelle avec la science rien n’est impossible et reflètent un optimiste scientifique digne du XX ème siècle. Vallo donne des ordres pour la construction des nouvelles armes en donnant son mousquet à Prudence comme une arme dépassée qu’il a pour mission de transformer. Plus tard, impatient, il cite à nouveau Prudence qui craint de faire sauter toute l’ïle ,en disant que la science ne peut rien faire sans expériences et le liquide à base d’ammoniaque et de glycérine, l'un des composant de la nitroglycérine qui a été découverte en 1847, explose à la figure du scientifique.

Prudence émerge de son sous-marin.

Prudence! Il est fâché !

La scène pendant laquelle Prudence fait chavirer la barque en disant que c’est la solution en se basant sur les principes d’Aristote selon lesquels « Tout récipient plongé dans l’eau retiendrait l’air sans se remplir », manque de réalisme scientifique. Il s’agit d’une simplification des principes de fonctionnement des sous-marins. Le sous-marin élaboré par le professeur Prudence est le reflet d’une technologie existant à l’époque à laquelle était censé se dérouler le film. En effet, au début de la Guerre d’Indépendance Américaine, David Bushnell a conçut une embarcation submersible ovoïde avec des réservoirs de ballasts en s’inspirant de la description d’Aristote mais également de celles de Williem Bourne, Cornelis Drelbel ou encore Nathaniel Symons. Ce premier sous-marin de combat était équipé d’une poudre noire qui, une fois collée à la coque d’un navire, était déclenchée par une mèche à retardement. Il fut mis en service le 7 septembre 1776 et lancé dans le port de New York pour attaquer le navire amiral britannique, le HMS eagle. Par la suite, grâce au soutien de George Washington, David Bushnell dirigea le corps des ingénieurs de l’US Army à partir de 1783. Cette référence à la révolution américaine, transposé à la révolution menée par le personnage fictif dans les colonies espagnoles est lourde de sens. En effet, la Guerre d’Indépendance Américaine, pendant laquelle 13 colonies nord-américaines se sont opposées à la couronne d’Angleterre, était porteuse d’idéaux démocratiques. La confusion entre le roi du Royaume-Uni et d’Irlande et le roi d’Espagne Charles III est amusante. Ils prirent le pouvoir à peu en même temps, vers 1760. Le bateau du baron Gruda est d’ailleurs présenté au début avant tout comme un navire de la « King’s Navy ». Rien dans l’intertitre, n’annonce la nationalité espagnole du bateau. La flotte anglaise s’apellant la Royal Navy, la référence paraît évidente. L’empire espagnol était le premier empire colonial occidental. Au début du XVI éme siècle, ils dominaient les îles des Antilles. Les pirates étaient surtout des Anglais et des Français. Dans les années 1650 à 1660, la France et l’Angleterre commencèrent à coloniser les îles. Cependant, l’utilisation du sousmarin peut être mis en relation avec les techniques de guerre du XX éme siècle, pendant lequel les sous-marins et les portes-avions prirent la place des bâtiments navals armés de canons.

18

Les scientifiques ont besoin de plans.

Décollage surprise.

Le bateau volant que Prudence met au point sur la demande de Vallo est une montgolfière. Cette création est attribuée historiquement aux Français Joseph-Michel et Jacques-Etienne Montgolfier issu d’une famille noble. Le premier vol a eu lieu en 1783, 4 ans avant la révolution française. La mauvaise récolte de 1788, due à un épisode d'échaudage des grains, provoquant une hausse des prix. du grains ne fera rien pour arranger la misère des paysans et est aujourd'hui présentée par divers historiens comme une des causes de l'agitation populaire et de la Révolution, le politique étant considéré comme responsable du manque de grains. L’entrepôt à grains du film est donc une référence à la révolution française. C’est elle qui inspira les Américains. Elle leur fit comprendre qu’il était possible de se révolter contre le système monarchique. Lorsque Prudence prend modèle sur ses amis scientifiques français, c’est le symbole de l’inspiration idéologique qui est intéressant. La montgolfière évoque un bombardier quand Vallo et Ojo lancent des hauteurs des fioles de liquide explosif. Lorsque Ojo lance une fiole de liquide explosif dans l’eau, le champignon qui en découle rappelle les essais de bombes nucléaires.

Un char de guerre de la fin du XVIIIéme siècle. Tir à la chaîne, une étrange assemblage de mousquets. Le professeur Prudence crée également un char avec trois canons rappelant un tank et une sorte de mitrailleuse primitive. La mitrailleuse et le tank sont anachroniques car ils ont été conçut pendant la première guerre mondiale. Même s’il était tout à fait possible de construire de tels engins à l’époque, ces méthodes de guerre n’étaient pas encore utilisées. Il as mit également au point un système de lance-flamme dont le liquide inflammable, lui, date du VII ème siècle après JC. Il sert de briquet à Ojo. 19

Cette version réécrite du scénario de Corsaire Rouge est loin d’être opposés aux valeurs américaines, au contraire elle souligne des idéaux de liberté et de démocratie propre aux EtatsUnis. La question que l’on peut se poser cependant, c’est ce qui en était du scénario initial qui aurait peut-être intéressant de comparer avec le résultat final.

Inspection des troupes.

Imitation peu convaincante.

Ojo et Vallo se travestissent à plusieurs reprises, d’abord en pêcheurs, en soldats, en nobles et ensuite en femmes. Le travestissement est historiquement l’une des particularité du pirate. il se déguise et déguise son bateau pour passer inaperçu avant d’attaquer. Le film reflète également par ce travestissement sa volonté de critique de la société camouflé par le genre du film, le film d’aventure et de grand spectacle. L’idée de lutte des classes est clairement développée. Nous pouvons citer ce que, selon le scénariste Jack Moffitt, l’un des témoins amicaux de la première audition de la Commission des Activités Antiaméricaines en 1947, John Howard Lawson aurait déclaré lors d’une réunion du parti communiste: « En tant que scénaristes, essayer de mettre cinq minutes de la ligne du parti dans chaque scénario que vous écrivez. Mettez-les dans une scène coûteuse, une scène dans laquelle jouent des stars payées très cher, une scène tournée dans de grands décors, ou bien une scène impliquant de nombreux figurants. Dans ce cas, celui qui est en charge des coûts de production, le serviteur du capitalisme, pour limiter les dépenses, préférera ne pas éliminer cette scène. » et à une conférence en 1941, il aurait conseillé ceci aux acteurs : « Votre devoir est d’encourager la lutte des classes dans votre propre façon de jouer . Si vous n’êtes qu’un figurant habillé de flanelle blanche dans une véranda d’un country club, faite en sorte d’avoir l’air décadent, efforcez-vous d’avoir l’air snob, faites tout pour suggérer la confrontation des classes sociales. Si vous êtes figurant dans une rue pauvre, ayez l’air d’un opprimé, apparaissez comme une victime de la société. » Ce qui surprend dans Le Corsaire Rouge, c’est que la classe dominante paraît complètement décadente et les rebelles d’El Libre complètement opprimés. L’idée de prendre la place de la classe dominante est présente dès que Ojo s’assit à la table de la cabine du baron Gruda, pose ses pieds sur la table et mange un poulet entier avec les mains. Par la suite l’un des soldats est descendu pendu par le coup, punition qui était plus souvent destiné aux criminels.

20

Ojo affamé.

La monotonie enfin troublée.

Ensuite lors du retour du baron Gruda au port décoré d’une farandole de drapeaux, les nobles sont en hauteur séparé de la basse classe qui est encadrée par des soldats. Le gouverneur de l’île de Cobra est toujours entouré par des jeunes femmes aux manières ridicules. Lorsque Vallo et Ojo monte sur un rochers pour parler au pêcheur Pablo Murphy et ses collègues, ils ressemblent à des meneurs de grève tentant d’entraîner la foule. Lors de la scène où Vallo et Gruda passe devant les soldats sans qu’ils les remarquent, c’est l’aveuglement militaire qui est remis en cause. Les soldats sont déshumanisés, des machines qui ne font qu’exécuter les ordres. Ils ne réagissent pas quand Vallo et Ojo casse le trône sur l’estrade et ils envoient un boulet de canon, à cause du bruit tout les soldats se retournent mais ne réagissent que quand leurs supérieurs leur ordonnent d’attraper les républicains révolutionnaires. Cette scène où Vallo et Ojo sont sur des escaliers et repoussent les soldats à l’aide d’un râteau après leur avoir jeté de la terre dessus à l’aide de pelles pour les aveugler possède une valeur symbolique également très forte. Ils utilisent les instruments de travail du peuple de l’île de Cobra et les transforment en arme pour lutter contre les hommes du roi. C’est pendant cette longue poursuite que Vallo et Ojo utiliserons pour la première fois des épées qu’ils dérobent aux soldats lorsqu’ils se trouvent en position dominante sur les baldaquins qui leur servent de trampolines. Les épées sont vite détournées dans une utilisation peu traditionnelle quand les deux compagnons percent la toile du baldaquin pour faire tomber les soldats.

L’ordre établi.

Les escaliers de Cobra.

La membres de la classe dominante lors de la réception organisée pour le baron Gruda dans le but d’obtenir la reconnaissance du roi d’Espagne, sont présentées comme des personnes aux 21

discussions futiles, riant ou s’évanouissant pour un rien et aux nombreux bijoux que Ojo passe son temps à examiner désireux d’en faire l’acquisition. L’un des invités paraît surtout préoccupé par la manière de percevoir les impôts car il a du mal à les récolter à cause de la misère locale. Ojo l’instruit non pas de la méthode de l’île de Cobra mais de la méthode pirate. En effet, certains pirates avaient un humour étrange et coupaient le nez des marins en leur disant : « Eternuez de l’or ». A la fin de la réception, alors que Vallo et Ojo viennent juste d’être reconnus par l’une des danseuses, Vallo donne des ordres à un colonel qui le prenant pour le baron Gruda, fait passer le message à ses soldats qui s’emparent d’un autre colonel que Vallo fait passer pour lui-même et libèrent Ojo des autres soldats qui eux le prenait pour le fameux Corsaire Rouge. Ce passage se moque une nouvelle fois des militaires et de leur obéissance aveugle à leur supérieur. Lorsque deux soldats espagnols arrivent du haut d’un escalier pour repousser les deux paysans qui tente de le monter pour échapper aux autres soldats qui encerclent leur compagnons et qui viennent de tuer l’un des leurs qui avaient tenté d’arracher l’affiche annonçant le mariage du gouverneur avec Consuelo et le tribut de 10 000 sacs de grains qu’il demande aux paysans dans un geste de révolte contre un pouvoir injuste. le souvenir de la célèbre scène du Cuirassé Potemkine d’Eisenstein revient à la surface. Elle est très différente. Les soldats sont plus nombreux. Les escaliers Richelieu d’Odessa sont plus grands. L’action est plus violente. Mais le contexte de rébellion est semblable. Le lien avec la mutinerie du Prince Potemkine de Tauride dans la mer Noire, un thème maritime plus récent que les pirates des Caraïbes, est évidence. Certains se révoltent pour des sacs de grains, d’autres pour de la viande avariée. La révolution de 1905 s’opposait au régime tsariste de Nicolas II. Tout comme pour les révolutionnaires américains, le but était avant tout d’établir un régime démocratique. Ce qui ne marcha pas. Elle annonça la révolution d’Octobre en 1917, après laquelle un régime léniniste s’installa. La séquence pendant laquelle les révolutionnaires construisent les armes conçues par Prudence rappelle les films de propagande soviétique car ils paraissent contents de travailler pour la cause commune. Ils exécutent leurs tâches rapidement comme s’ils étaient pressés, sous les ordres de leur chef Vallo qui est un personnage assez individualiste, qui ne pense qu’à son propre intérêt et celui de Consuelo et qui est donc opposé aux idéaux communistes. Comme pendant le générique, il ouvre la bouche mais aucun son n’en sort. Son visage est placé en fondu sur les plans des travailleurs. L’image suffit à comprendre le sens de ses paroles. Tout ce qu’il dit est fait. L’opposition entre l’individualité de Vallo et le collectivisme des ouvriers laisse songeur. Ce film raconte la conversion d’un homme, par amour il embrasse une cause qui lui est étrangère. L’homme caché dans un tonneau est un clin d’œil à l’espionnage qui était courant pendant la guerre froide. Le parallèle entre les deux révolutions est audacieuse. Il explique peut-être qu’il est possible d’être américain et communiste, qu’il n’y a pas de traîtrise en cela. Ce qui décrédibilise totalement la Commission des Activités Antiaméricaines. Il pose la question des frontières, d’être d’un côté ou de l’autre dans la guerre froide qui se prépare alors que les deux régimes mènent à mal leurs opposants dans un dédain de la démocratie et de la liberté d’expression. Le baiser de Consuelo et Vallo est symbolique, il représente une union troublante entre l’individualisme du capitalisme et le communisme. Il interrompt ainsi les intentions guerrières du professeur Prudence. Ce n’est pas la première fois qu’un film de pirates reflète l’actualité politique. En effet, dans L’Aigle des mers qui est sorti pendant la seconde guerre mondial, est à mettre en lien avec la diplomatie américaine. Le discours final de la reine Elizabeth à ses sujets est une déclaration concernant Philippe II qui était alors le roi de l’Espagne mais en réalité, il vise Adolf Hitler. Le support du film historique permet de faire passer un message politique de manière détournée, méthode efficace qui a beaucoup servit dans le cinéma de propagande, notamment avec des films comme Kolberg, le film le plus cher de l’époque nazie qui raconte le siége de la ville de Kolberg, du 26 avril au 2 juillet 1807, par l’ennemi, la France, Empire de Napoléon, et cherche à renforcer le patriotisme et le moral allemand . 22

CONCLUSION

Derrière sa façade divertissante et drôle et le frisson de l’aventure improbable, se cache une satire sociale se moquant de l’autorité et des règles que je n’aurait pu comprendre auparavant, pour cause, elle est souvent ignorée par certains théoriciens, comme si les studios et la commission des activités américaines avaient gagné la bataille, comme si Roland Kibbee avait complètement purgé le scénario de ses orientations politiques. Le corsaire rouge ne se bat pas uniquement contre les hommes du roi d’Espagne. Il possède un autre ennemi, bien réel celui là… Dans ce film, rien n’est placé au hasard. Gérard A. Jaeger, historien spécialiste des navigateurs, des pirates et des criminels en général, a écrit : « C’est une comédie légère que signe Robert Siodmak avec Le corsaire rouge. » ou encore : « Quant au scénario, d’abord confié à Waldo Salt fut totalement réecrit par Roland Keblee qui l’expurgea de ses orientations politiques pour en faire un simple film d’aventure. » Burt Lancaster décrivait le film « comme le premier délibérément anticonformiste : pour la première fois, on montrait les pirates comme de braves diables bien sympathique. » Il n’hésite pas à citer le critique français de cinéma, Freddy Buache : « Du scénariste au dernier figurant, chacun semble s’être ingénié à y traquer le poncif et à le briser par tout les moyens. Patrick Brion , spécialiste de l'histoire du cinéma américain, a écrit des remarques semblables concernant le changement de scénariste : « Le scénario, sans doute plus « engagé » de Salt, se métamorphosa alors en une comédie d’aventure. Le meilleur exemple de ce changement est la manière dont disparaît le personnage pourtant important du chef révolutionnaire El Libre. Il n’était plus question de faire du Corsaire Rouge une parabole politique mais simplement une œuvre destinée à mettre en avant les prouesses athlétiques et la condition physique de Burt Lancaster […]Ce brusque changement de scénariste et la réécriture qui s’ensuivit sont certainement à l’origine de l’aspect hâtif et décousu de certains points de l’intrigue » Par beaucoup de points, l’intrigue du Corsaire Rouge ressemble à celle de La flèche et le flambeau, film qui n’est pas d’un grand sérieux non plus et qui ne paraît pas plus engagé politiquement. En raison de ses ressemblances, nous pouvons nous demander si Roland Kiblee a modifié le scénario initial à ce point. Il semble que beaucoup d’idées de Waldo Salt soient restées. L’incertitude au niveau du scénario est tellement grande que Patrick Brion, dans la rubrique scénario, à côté du nom de Roland Kiblee, a ajouté entre parenthèses les noms de Waldo Salt, Burt Lancaster et Robert Siodmak. Dans les livres que j’ai pu feuilleter, seul Jürgen Müller, plus enthousiasmé par le film, m’a paru donner un point de vue plus intéressant en comparant l’explosif du professeur Prudence aux bombes atomiques et en écrivant : « A ce propos, la scène pendant laquelle les soldats en patrouille bien alignés tombent comme des dominos est presque symbolique. Ce qui montre aussi que ce qui nous semble chaotique dans le film a été soigneusement chorégraphié. » Sachant que certains de ses collègues ne sont pas d’accord avec lui, il modère ses propos avec des termes comme « presque » et « n’exagérons rien ». Ce film de pirates trop souvent sous-estimé et oublié par les historiens du cinéma, n’est même plus édité en DVD tout comme La flèche et le flambeau. Le Corsaire Rouge est une véritable hommage au cinéma muet, au film burlesque des années 20 tout comme au cinéma d’aventure de Douglas Fairbanks. Ce film à la structure assez anti conventionnelle fait alterner la comédie et le tragique. Il mêle, de manière brillante, film de cape et d’épée, comédie, cartoon et conte pour enfants, sans aucun réalisme. Il est avant tout satirique et ressemble énormément à un film de propagande. Il fait l’apologie de la démocratie et du progrès scientifique. Il ridiculise constamment les militaires qui, tout au long du film, sont réduit à l’état de machines exécutant des ordres sans réfléchir, et les nobles aux fêtes futiles et aux manières décadentes. Sa position est très différente 23

de films comme Le Pirate Noir ou encore Capitaine Blood où les pirates reviennent dans le droit chemin de la légalité à la fin. Cette fois, le pirate reste un homme libre sans patrie. Le Corsaire Rouge n’échappe pas à un certain manichéisme. Le pouvoir en place est montré comme particulièrement mauvais avec une répression militaire trop forte et un mépris évident du peuple. Le baron Gruda est particulièrement « méchant » et le gouverneur de l’île de Cobra particulièrement « dégradé » dans son grand âge comme dans sa conduite. Il est manipulé par le baron. Le personnage joué par Christopher Lee, le célèbre interprète de Dracula, est comme d’habitude d’une cruauté et d’une sécheresse sans pareil. Les révolutionnaires, exploités par les puissants, sont droits et bons. Seuls les pirates, plus complexes, échappent à ce manichéisme En 1990, des extraits du Corsaire Rouge ont été diffusés dans le film réalisé par Robert Schoeder, Mystère van Bülow dont le titre original est Reversal of Fortune. Ce film est la transposition du livre du professeur Alan Dershowitz basé sur l’histoire vraie de Sunny Von Bülow, riche héritière américaine plongée dans le coma suite à une overdose d’insuline. Son mari fut accusé de meurtre. A part ce film qui n’a pas beaucoup de rapport avec les films de pirates, Le Corsaire Rouge a eu des répercutions dans la manière d’aborder le mythe des écumeurs des mers. Il a probablement également inspiré le film Pirates réalisé par Roman Polanski qui sortit en 1986. Ce film demanda un gros budget et fut finalement un véritable échec financier et critique dans la filmographie du réalisateur. Il devait être une satire de film de pirates. La recherche de financements fut difficile. La scène où le capitaine Red demande à son apprenti La Grenouille de violer Maria Dolores est particulièrement éprouvante car c'est une répercussion de l'affaire Samantha Geimer, la mineure qui l'a accusé, en 1977, de l'avoir violée, l'obligeant à quitter les États-Unis pour la France. Les deux films utilisent le gag de la jambe de bois coincée. Le capitaine pirate Red est obliger de couper sa jambe pour la dégager des planches du radeau tandis que dans Le Corsaire Rouge, il s’agit d’une tactique pour assommer des soldats espagnols. Le travestissement des pirates est également repris quand, déguisés en religieux, noble et femme, ils forcent le gouverneur de Maracaïbo, l’oncle de la belle et jeune Maria Dolores, à signer un papier attestant qu’il lègue le trône en or massif du roi Inca Capatec Hanahuac. Quand Boumako, que les pirates ont rencontré enchaîné dans le gallion espagnol le Neptune, cueille une fleur rouge pour passer inaperçu devant un soldat. Cela rappelle le passage où Vallo, Ojo et Prudence dansent en se cachant avec des bouquets de fleurs. La franchise Pirates des Caraïbes rappelle pour beaucoup de raisons Le Corsaire Rouge. Elle est également basé sur le star system. Johnny Deep est l’acteur qui, par son jeu comique et exagéré, fait fonctionner le film tout comme Burt Lancaster auparavant, sans parler des vedettes comme Orlando Bloom, Keira Knightley et pour le prochain volet, Pénélope Cruz. Cependant, Johnny Deep n’occupe pas la même place que son ancêtre car, même s’il a parfois une répercussion dans la mise en scène en réussissant à imposer son personnage, il ne produit pas le film. L’influence se retrouve par moment dans le traitement comique des combats. De nombreuses références au Corsaire rouge sont présentes dans Pirates des caraïbes : la malédiction du Black Pearl , film inspiré d’ une attraction de Disneyland qui est sorti en 2003 et marqua un renouveau dans les films de pirates en introduisant le surnaturel avec l’équipage fantôme du capitaine Hector Barbossa. Ce film rencontra un grand succès. Son concept a été alors développé pour créer un suite à l’intérêt financier certain. Il accumule plusieurs références au Corsaire Rouge. Quand Jack Sparrow et Will Turner quittent Port Royal au début du film, à la fin de l’embuscade de Barbossa, ils avancent sous l’eau avec une barque retournée comme Vallo, Ojo et Prudence. Sauf que les trois compères regagnent le rivage alors que Jack Sparrow et Will Turner utilisent cette tactique pour s’emparer d’un nouveau bateau, l’Intrépide. Les soldats anglais patrouillant en file sur la plage rappellent les soldats espagnols du Corsaire Rouge.

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Le corsaire rouge.

Pirates des Caraïbes : La malédiction du Black Pearl.

La séquence pendant laquelle les pirates damnés de Barbossa avancent sous l’eau, métamorphosés en squelettes sous l’effet des rayons de lune, rappelle la séquence de Corsaire Rouge pendant laquelle les pirates menés par Vallo rejoignent à la nage le navire espagnol pour sauver Consuelo. Sauf que dans Pirates des Caraïbes, les pirates sont transformés en squelettes et ne nagent pas mais marchent sur les fonds sous-marin. Ce passage dans Le Corsaire Rouge est avant tout une référence au film Le Pirate Noir, lorsque Michel et ses soldats se dirige vers le bateau des pirates en nageant sous l’eau.

Le Pirate Noir.

Le Corsaire Rouge.

Pirates des Caraïbes.

Tandis que les autres pirates sont cachés sous l’eau, Ragetti et Pintel, duo comique ressemblant à Laurel et Hardy, naviguent dans une barque travestis en femmes. Ragetti, le plus maigre déclare :« C’est comme les grecs à Troie sauf qu’ils étaient dans un cheval, pas dans une robe.» Cette phrase est également une référence évidente au Corsaire Rouge et à l’entrepôt à grains où est caché la montgolfière et au travestissement de Vallo, Ojo et Prudence pendant le mariage. Les pirates de Barbossa tout comme Jack Sparrow utilisent des techniques similaires à celle de Vallo.

Pirates des Caraïbes : Où est le cheval ? Jeunes filles en fleur dans Le Corsaire Rouge. 25

Nous retrouvons également des références dans le troisième volet, Pirates des Caraïbes: Jusqu’au bout du monde. Notamment, lorsque sortit de l’antre de Davy Jones, Jack Sparrow, en se référant à une carte, fait tanguer un bateau avec l’aide de ses autres passagers dont Will Turner et Tia Dalma pour le faire se retourner et ainsi transformer le coucher de soleil en lever de soleil. Il s’agit de la même thecnique que dans Le corsaire rouge mais avec un raisonnement encore moins rationnel et à une plus grande échelle. Dans ce cas, ce n’est plus une barque mais un bateau qui est renversé.

Le Corsaire Rouge.

Pirates des Caraïbes : Jusqu’au bout du monde.

Pirates des Caraïbes s’inscrit donc dans la continuation du Corsaire Rouge par de nombreuses références, surtout dans le premier volet mais également dans les deux autres volets. La franchise possède le même côté loufoque qui devient facilement complètement barré voir hermétique. Les pirates sont également montré comme plutôt sympathiques contrairement à des personnages comme Lord Cutler Beckett, antipathique comme le baron Gruda.

Le Corsaire Rouge a su donner ses lettres de noblesses à la piraterie. Il a influencé les films de pirates postérieurs qui contribuent également, à leur manière, au développement du genre, à l’approfondissement du mythe.

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Bibliographie Les pirates à l’affiche, Gérard A. Jaeger, Saint-Sébastien-Sur-Loire : ACL-Crocus, 1989. Burt Lancaster, Robert Windeler, Editions France-Empire, 1985. Les sorcières d’Hollywood : Chasse aux rouges et listes noires, Thomas Wieder, Edition Philippe Rey, 2006. Sous le pavillon noir:pirates et flibustiers, Philippe Jacquin, Gallimard, 1988. Le cinéma d’aventure : Les grands classiques américains de Robin des Bois à L’homme qui voulu être roi, Patrick Brion, La Martinière, 1995. 50 ans de cinéma américain I, Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon, Nathan, 1991. Films des années 50, Jurgen Müller, Taschen, 2005.

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