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Rencontre CÔTES D’ARM OR MAGAZINE
Georges Lefeuvre
m-HVXLVXQVDOWLPEDQTXH G«JXLV«HQGLSORPDWH} Natif de Dinan, Georges Lefeuvre a vécu plus de quarante ans dans la région partagée entre l’Afghanistan et le Pakistan, sans se détacher de ses racines costarmoricaines. Son métier d’anthropologue l’a conduit vers un Orient méconnu, où il est devenu consultant, puis analyste politique auprès de l’Union Européenne. Portrait d’un personnage aux multiples vies.
L’esprit baroudeur Au d é but d es ann é es 7 0, la soif de découvertes du jeune Georges, fraîch eme nt diplômé, l’exhorte à
explorer le mond e. Accompagn é par sa copine, il met cap à l’Est, en voiture, quitte l’Europe, traverse la Turquie, l’Iran et coup e le moteur d a ns l e s m o n t agn e s a fgh a n op akistanaises. « J’étais un jeune anthropologue, qui allait se hisser au niveau de l’ethnologue, parmi les Kafir Kalash, une petite minorité païenne d’à peine 4 000 habitants, vivant à 3 000 m dans l’Himalaya ». G e orges n e q uitt era v éritabl e m e nt jamais l e village. Et so n a m o u r e us e d e v i e n d ra sa femme. « Cette minuscule ethnie est au c œ ur d’une région à majorité musulma ne. C’est un peu le village d’Astérix, une poche de réfractaires qui mène sa vie indépendamment du monde romain ». Le chercheur apprend le dialecte, étudie le mode de vie des Kalash, le urs croyances et… le ur agriculture. « Ils cultivaient le blé, élevaient des chèvres, fabriquaient leur miel… J’ai imaginé une rencontre avec des paysans du Centre-Bretagne que je connaissais. Je me disais que ces
derniers feraient un meilleur travail que les chercheurs de l’Inra pour partager leurs savoir-faire et apprendre les uns des autres ». En 1 9 8 7, l’anthropologu e re part a i nsi p o ur l e Kr e i z Br e i z h e t ap pre nd la langu e kalash à cinq agricult e urs, q ui d é coll e nt p our l ’ A f -Pa k q u e l q u e s s e m a i n e s plus tard. Su bve ntionn é e par l e D é part e m e nt e t e ncouragé e par
nistan. « L a région est entrée en turbulences majeures. Le ministère des Affaires Étrangères m’a repéré et m’a confié des missions d’attaché culturel, entre autres. Je suis entré dans la deuxième partie de ma vie. Je me suis pris au jeu de la diplomatie, c’était très passionnant ». En 1 9 9 2, il assiste à la victoire des moudjahidin sur le régime communiste. Et e n 1 9 9 4, à l’avè n eme nt des Talibans. «b J’ai vu la naissance d’A l- Q a ï d a . J’ é t a is devenu le spécialiste d es t e rrorist es d e l’Af-Pak ». Ses comp é t e n c e s v o n t, d e 2 0 0 2 à 2 0 1 0, le conduire à collaborer pour l’Union Europ é enne, en tant qu’analyste politique. « J’ai toujours travaillé sur le terrain. Les chefs de tribu ne se déplacent pas dans les ambassades, il faut donc aller à leur rencontre, discuter et négocier en partagea nt le thé, si l’on souhaite la paix. Je crois en la diplomatie de la tasse de thé, pas en celle des experts de notre époque ». Aujourd’hui de retour sur sa terre natale, Georges Lefeuvre reste en contact p ermanent avec ses amis kalash, qui vivent dans un climat très t e n d u, sous la m e nace d es Talibans d’Al-Qaïda. En vrai amb assad e ur, l e Cos tar moricain p o urrait p o ursuivre la mise en lumière de ce peuple. En publiant, pourquoi pas, un dictionnaire inédit du kalash, une langue orale plus vieille qu e le sanskrit. O u e n exp osant q u e lq u es-un es d e ses 4 0 0 0 photographies à la valeur muséographique.
mb-HFURLVHQODGLSORPDWLH GHODWDVVHGHWK«b} le regretté Pierre-Yvon Trémel, son ami d e toujours, l’op ération re ncontre un succès inespéré. Elle se traduit en Bretagne par une série de conférences, un documentaire coproduit par France 3 et par l’exposition inaugurale du musé e d e Saint-Brieuc. En d é ce mbre 1 9 7 9, l’anthro p ologue assiste aux premières loges à l’invasion soviétique de l’Afgha-
Pendant 45 ans, Georges Lefeuvre n’a cessé de faire l’aller-retour entre les Côtes d’Armor et la région Af-Pak (AfghanistanPakistan), dont 14 fois par la route, mbSRXUOHSODLVLUb}.
Romain Daniel
PHOTO BRUNO TORRUBIA
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e regard malici e ux, u n e m o ust ach e gé n ére use, l e p arf um d u ta b ac... La bonhomie de Georges Le feuvre se conjugue avec un certain hé donisme. Attablé, dans sa maison de Binic, devant la mer et une tasse d e café, l’homme partage à l’envi son histoire, mêlé e tantôt à la grande, tel le conteur, collectionneur de récits captivants. Sa voix chaud e et grave soutient alors ses convictions : « L a capacité à s’expatrier plus de trente ans, comme je l’ai fait, tient à la capacité que l’on a à garder quelques racines. Pour ne pas être l’imbécile heureux qui est né quelque p art, comme disait Brassens, mais pour avoir un endroit où l’on est vraiment chez soi, raconte le retraité aux 68 printemps. L’âge venant, comme Ulysse, je reviens dans les Côtes d’Armor ».
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