35 heures
André Zylberberg: «Ce sont les baisses de charges des lois Aubry qui ont créé des emplois, pas les 35 heures» Spécialiste du marché du travail, directeur de recherche au CNRS et membre émérite de l’Ecole d’économie de Paris, l’économiste français André Zylberberg s’étonne qu’une évaluation de la réduction du temps de travail ait été confiée à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). DERNIERES VIDEOS Décryptage« On dirait » qu'on est le 23 avril 2017… Clin d'oeilCes sportifs médaillés aux JO (d'été) entrés en politique Les faits — Le rapport non publié sur les 35 heures de l’Igas fait polémique. Il assène que les 35 heures ont créé 350 000 emplois. Cette conclusion mais aussi la façon de procéder navrent des économistes de l’Ecole d’économie de Paris, d’autant que les travaux de certains, comme Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo ou André Zylberberg sont directement visés.
Spécialiste du marché du travail, directeur de recherche au CNRS et membre émérite de l’Ecole d’économie de Paris, l’économiste français André Zylberberg s’étonne à son tour qu’une évaluation de la réduction du temps de travail ait été confiée à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Le rapport de l’Igas sur la réduction du temps de travail non publié vous surprendil ? Disons tout d’abord que je trouve curieux que dans un pays comme la France, on fasse évaluer les politiques publiques par des instances administratives ou politiques. Sur le principe, cela me choque. Ce n’est pas non plus aux députés je pense au rapport parlementaire sur les 35 heures, piloté par la socialiste Barbara Romagnan d’évaluer une politique publique, sauf peutêtre sur les éventuels conflits d’intérêts, les moyens et les conditions de mise en œuvre… Mais que des hauts fonctionnaires ou des parlementaires interviennent dans un débat scientifique me semble surréaliste. C’est aux universitaires, aux chercheurs de tous les organismes intervenant dans la vie économique, de confronter leurs connaissances sur la réalité de la création d’emplois due à la réduction du temps de travail. Estce que l’Igas peut dire si le réchauffement climatique est avéré ou non ? Si tel vaccin est efficace contre le cancer ? L’Igas n’est pas plus compétent sur ces questions que sur les effets de la réduction du temps de travail. La puissance politique et administrative est juge et partie quand elle se penche sur une politique économique. Prenez le niveau du smic, par exemple, il existe un comité d’experts qui n’est pas lié à l’administration qui donne son
avis ; ensuite les politiques décident. Sinon cela revient à accréditer l’idée que l’on recherche une vérité officielle, et que l’avis des scientifiques est une « opinion » parmi d’autres. C’est dangereux. Donc pour vous ce travail de l’Inspection des affaires sociales n’est pas sérieux ? Je n’y ai pas eu accès puisqu’il n’est pas publié. Mais d’après ce que je lis ici ou là, ce rapport reprend ce fameux chiffre des 350 000 emplois créés en France grâce aux 35 heures. C’est un chiffre de 2004, qui est sorti d’une enquête « Etudes et statistiques » de la Dares, la direction statistique du ministère des Affaires sociales. Mais ce qu’on oublie de mentionner, c’est que cette étude portait non pas sur les 35 heures mais sur les lois Aubry, c’estàdire la réduction du temps de travail mais aussi les subventions qui y étaient associées. D’où l’amalgame.
« On ne se sert pas des études menées par le monde académique, ce qui permet à toutes les contrevérités de circuler. » Toutes les études menées sur la base de comparaison entre des groupes d’entreprises semblables, certaines ayant réduit le temps de travail et pas les autres, et publiées dans les revues scientifiques internationales depuis lors, montrent qu’il n’y a pas d’effet de la réduction du temps de travail sur la création d’emplois. De telles études ont été faites sur l’Allemagne, la France et la province du Québec. En revanche, les recherches ont aussi montré qu’abaisser le coût du travail peu qualifié était favorable à l’emploi. A la lumière de toutes ces études, les créations d’emplois attribuées aux lois Aubry devraient plutôt être portées au crédit de la baisse du coût du travail qu’à la réduction de la durée du travail. Pourquoi en France n’arrivonsnous pas à prendre en compte ces études ? Pourtant, même Jean Tirole, notre prix Nobel d’économie, en parle. En France, la discussion est rarement basée sur les études faites par le monde académique. On ne s’en sert pas, ce qui permet à toutes les contrevérités de circuler. Le dialogue ne s’établit pas sur des bases saines. Les partenaires sociaux négligent totalement les connaissances portées par les études économiques. Du coup, cela rend presque impossible de mener un programme de réformes sur la base d’un diagnostic partagé. En règle générale, c’est sur la base d’un diagnostic partagé que les pays du nord de l’Europe parviennent à se réformer. Mais ce n’est pas toujours possible. Les réformes Hartz, qui ont libéré l’emploi en Allemagne, ont été plutôt imposées par les politiques. Idem en Italie.