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*J2010000677* Demandeurs : 4 Défendeurs : 7 Copie : Procureur

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TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS 19EME CHAMBRE JUGEMENT PRONONCE LE 18 MAI 2011 par sa mise à disposition au Greffe. J2010000677 RG 2009074427 18.02.2010 ENTRE : 1) SA CLARINS, société anonyme à directoire et conseil de surveillance, (RCS de NANTERRE B 775 668 155), dont le siège social est situé 4 Rue Berteaux Dumas (92200) NEUILLY SUR SEINE. 2) SASU PARFUMS LORIS AZZARO, (RCS de NANTERRE B 310 189 535), dont le siège social est situé 16 Rue Montrosier (92200) NEUILLY SUR SEINE CEDEX. 3) SAS CLARINS FRAGRANCE GROUP (CFG) anciennement THIERRY MUGLER PARFUMS, (RCS de NANTERRE B 380 363 554), dont le siège social est situé 4 Rue Berteaux Dumas (92200) NEUILLY SUR SEINE, venant aux droits de la société PARFUMS LORIS AZZARO. PARTIES DEMANDERESSES : assistées de Maîtres Antoine FOURMENT et Corinne THIERACHE (SCP CARBONNIER, LAMAZE, RASLE & ASSOCIES) avocats (P.298) et comparant par Maître Nicole DELAY-PEUCH avocate (A.377). ET : 1) Société AMAZON SERVICES EUROPE S.A R.L, société de droit luxembourgeois, inscrite au Registre du Commerce de Luxembourg sous le numéro B93815, dont le siège social est situé 5 Rue Plaetis L-2338 au Luxembourg. 2) Société AMAZON EU S.A R.L, société de droit luxembourgeois, inscrite au Registre du Commerce de Luxembourg sous le numéro B-101818, dont le siège social est situé 5 Rue Plaetis L-2338 au Luxembourg. Toutes deux assignées conformément aux formalités de l’article 9-2 du règlement n°1393/2007 du conseil de l’Europe, conformément à l’article 10 du règlement n°1393/2007 3) SAS AMAZON.FR HOLDINGS, (RCS de PARIS B 428 783 666), dont le siège social est situé 251 Boulevard Péreire 75017 PARIS. 4) SASU AMAZON.FR, (RCS de PARIS B 420 483 680), dont le siège social est situé 251 Boulevard Péreire 75017 PARIS. 5) Société de droit anglais AMAZON.CO.UK LDT, dont le siège social est situé 19, The Grove,

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Slough, Berkshire, Angleterre SL1 1QP, UK, assignée conformément aux formalités de l’article 9-2 du règlement n°1393/2007 du conseil de l’Europe, conformément à l’article 8 du règlement n°1397/2007. 6) Société de droit allemand AMAZON.DE GmbH, dont le siège social est situé Moosacher Strasse 51, 80809, Munich (Allemagne), assignée conformément aux formalités de l’article 9-2 du règlement n°1393/2007 du conseil de l’Europe, conformément à l’article 8 du règlement n°1393/2007. PARTIES DEFENDERESSES : assistées de Maître Marion BARBIER (Cabinet BIRD & BIRD) (R.255) et comparant par Maître Jean-Robert CAMPANA (SELARL CAMPANA RAVET & ASSOCIES) avocat (P.209) JRC. CAUSE JOINTE ET JUGEE A : RG 2010034647 02.09.2010 ENTRE : 1) SA CLARINS, société anonyme à directoire et conseil de surveillance, (RCS de NANTERRE B 775 668 155), dont le siège social est situé 4 Rue Berteaux Dumas (92200) NEUILLY SUR SEINE. 2) SASU PARFUMS LORIS AZZARO, (RCS de NANTERRE B 310 189 535), dont le siège social est situé 16 Rue Montrosier (92200) NEUILLY SUR SEINE CEDEX. 3) SAS CLARINS FRAGRANCE GROUP (CFG) anciennement THIERRY MUGLER PARFUMS, (RCS de NANTERRE B 380 363 554), dont le siège social est situé 4 Rue Berteaux Dumas (92200) NEUILLY SUR SEINE, venant aux droits de la société PARFUMS LORIS AZZARO. PARTIES DEMANDERESSES : assistées de Maîtres Antoine FOURMENT et Corinne THIERACHE (SCP CARBONNIER, LAMAZE, RASLE & ASSOCIES) avocats (P.298) et comparant par Maître Nicole DELAY-PEUCH avocate (A.377). ET : 1) Société AMAZON SERVICES EUROPE S.A R.L, société de droit luxembourgeois, inscrite au Registre du Commerce de Luxembourg sous le numéro B93815, dont le siège social est situé 5 Rue Plaetis L-2338 au Luxembourg. 2) Société AMAZON EU S.A R.L, société de droit luxembourgeois, inscrite au Registre du Commerce de Luxembourg sous le numéro B-101818, dont le siège social est situé 5 Rue Plaetis L-2338 au Luxembourg. Toutes deux assignées conformément aux formalités de

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l’article 9-2 du règlement n°1393/2007 du conseil de l’Europe, conformément à l’article 10 du règlement n°1393/2007 3) SAS AMAZON.FR HOLDINGS, (RCS de PARIS B 428 783 666), dont le siège social est situé 251 Boulevard Péreire 75017 PARIS. 4) SASU AMAZON.FR, (RCS de PARIS B 420 483 680), dont le siège social est situé 251 Boulevard Péreire 75017 PARIS. 5) Société de droit anglais AMAZON.CO.UK LDT, dont le siège social est situé 19, The Grove, Slough, Berkshire, Angleterre SL1 1QP, UK, assignée conformément aux formalités de l’article 9-2 du règlement n°1393/2007 du conseil de l’Europe, conformément à l’article 8 du règlement n°1397/2007. 6) Société de droit allemand AMAZON.DE GmbH, dont le siège social est situé Moosacher Strasse 51, 80809, Munich (Allemagne), assignée conformément aux formalités de l’article 9-2 du règlement n°1393/2007 du conseil de l’Europe, conformément à l’article 8 du règlement n°1393/2007. PARTIES DEFENDERESSES : assistées de Maître Marion BARBIER (Cabinet BIRD & BIRD) (R.255) et comparant par Maître Jean-Robert CAMPANA (SELARL CAMPANA RAVET & ASSOCIES) avocat (P.209) JRC. - Monsieur LECUÉ, Vice-procureur de la République, près le Tribunal de Grande Instance de PARIS. APRES EN AVOIR DELIBERE FAITS Les sociétés CLARINS, PARFUMS LORIS AZZARO et THIERRY MUGLER PARFUMS (le groupe CLARINS), demanderesses à l’instance, vendent des parfums, eaux de toilette et produits de beauté de haute qualité dans le monde entier, par l’intermédiaire de réseaux de distribution sélective. Chaque distributeur agréé peut offrir à la vente en ligne les produits qu’il est agréé à distribuer, à condition de respecter les exigences qualitatives propres à chacune des marques. Mais nul ne peut offrir à la vente en ligne les produits en question s’il n’exploite un point de vente physique bénéficiant de l’agrément des demanderesses, et sous condition des respecter les exigences qualitatives propres à ce mode de commercialisation. Les sites www.amazon.fr, www.amazon.de, www.amazon.co.uk, sont les principaux sites européens du groupe AMAZON, basé à Seattle et spécialisé dans la vente en ligne. A compter de l’année 2000,

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AMAZON s’est lancée dans une activité de courtage en ligne de produits de toutes sortes, par l’intermédiaire d’une plateforme de vente en ligne gérée par la société de droit luxembourgeois AMAZON SERVICES EUROPE Sarl. Selon AMAZON, la société de droit luxembourgeois AMAZON EU Sarl serait propriétaire et gestionnaire des sites www.amazon.fr, www.amazon.de, www.amazon.co.uk. Le groupe CLARINS, s’appuyant sur des constats réalisés par un agent assermenté de l’Agence pour la Protection des Programmes (ci-après APP), affirme que ces trois sites offrent à la vente en France, de la part de personnes non agréées, des produits portant les marques CLARINS, THIERRY MUGLER ou AZZARO. Considérant que la mise en ligne de ces offres porte atteinte à leurs droits, CLARINS, PARFUMS LORIS AZZARO et THIERRY MUGLER PARFUMS ont, par actes du 16 novembre 2009 réitérés le 11 mai 2010, assigné les sociétés AMAZON SERVICES EUROPE, AMAZON EU (toutes deux de droit luxembourgeois), AMAZON.FR HOLDINGS, AMAZON.FR (toutes deux de droit français), AMAZON.CO.UK Ltd (de droit anglais) et AMAZON.DE (de droit allemand), sollicitant des dommages et intérêts et qu’il soit fait interdiction aux sociétés AMAZON d’offrir à la vente sur leurs sites Internet des produits CLARINS, THIERRY MUGLER et AZZARO, sous astreinte, outre une mesure de publication. Postérieurement à l’assignation, THIERRY MUGLER PARFUMS a fait l’objet d’une fusion absorption par PARFUMS LORIS AZZARO, qui a pris à cette occasion le nom de CLARINS FRAGRANCE GROUP. PROCÉDURE RELATIVE CONSTITUTIONNALITÉ

À

LA

QUESTION

PRIORITAIRE

DE

A l’audience du 22 février 2011, et alors que la mise en état de l’affaire, comportant notamment une exception d’incompétence du tribunal de commerce de Paris, était toujours en cours, AMAZON SERVICES EUROPE dépose des conclusions écrites par lesquelles elle demande au Tribunal de transmettre à la Cour de Cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « Les dispositions de l’article L.331-2 du code de la propriété intellectuelle portent-t-elles atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution et, plus particulièrement, au principe d’égalité, au droit à un procès équitable et au principe de sécurité juridique garantis par l’article 16 de la DDHC, ainsi qu’à l’objectif à valeur constitutionnelle

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d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi garanti par les articles 4,5,6 et 16 de la DDHC ? » A cette même audience, l’affaire a été renvoyée pour plaidoiries devant une formation collégiale, après information du parquet, au 29 mars 2011. Par conclusions déposées à l’audience du 29 mars 2011, CLARINS et CLARINS FRAGRANCE GROUP demandent au Tribunal de - s’abstenir de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité déposée par AMAZON SERVICES EUROPE ; - débouter AMAZON SERVICES EUROPE de toutes ses prétentions contraires ; - condamner AMAZON SERVICES EUROPE à lui payer une somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - condamner AMAZON SERVICES EUROPE aux dépens. . Par conclusions déposées à la même audience AMAZON SERVICES EUROPE réitère sa demande. A l’issue de cette audience et à la demande de CLARINS et CLARINS FRAGRANCE GROUP l’affaire est renvoyée au 7 avril 2011 pour leur permettre de répliquer aux conclusions d’AMAZON SERVICES EUROPE transmises la veille de l’audience. Par conclusions déposées à l’audience du 7 avril 2011, CLARINS et CLARINS FRAGRANCE GROUP réitèrent. Par note du 25 mars 2011, le ministère public requiert que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par AMAZON SERVICES EUROPE ne soit pas transmise à la Cour de cassation. A l’audience du 7 avril 2011, le Tribunal, après avoir entendu les parties, clôt les débats et dit que le jugement sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 18 mai 2011 à partir de 15 h, autorisant CLARINS et CLARINS FRAGRANCE GROUP à commenter en délibéré une jurisprudence du Conseil d’Etat qu’AMAZON SERVICES EUROPE cite et commente à l’audience mais qu’il n’avait pas communiquée antérieurement. CLARINS et CLARINS FRAGRANCE GROUP font parvenir ces commentaires par courrier du 12 avril 2011. MOYENS DES PARTIES AMAZON SERVICES EUROPE fait valoir que le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevée à

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l’occasion d’une instance en cours, et ce à tout moment de l’instance. La question prioritaire de constitutionnalité dont elle sollicite la transmission est donc bien recevable. Les deux premières conditions posées par l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée sont remplies : - la disposition contestée est applicable à l’instance ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites : en effet la preuve des faits allégués est uniquement constituée de procès verbaux de constat réalisés par un agent assermenté de l’APP, de façon non contradictoire, à la requête des demanderesses et avant l’engagement de la procédure ; - le Conseil constitutionnel n’a jamais été saisi de la conformité à la constitution de l’article L 331-2 du code de la propriété intellectuelle. Par suite seul est à examiner le fait que le moyen est ou n’est pas dépourvu de caractère sérieux. L’article L 331-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit que « la preuve de la matérialité de toute infraction aux dispositions des livres Ier, II et III du présent code peut résulter de constatations d’agents assermentés désignés selon les cas par le Centre national du cinéma et de l’image animée, par les organismes de défense professionnelle visés à l’article L.331-1 et par les sociétés mentionnées au titre II du présent code ». Parmi les agents ainsi désignés, figurent les agents de l’APP, organisme privé de défense des auteurs de programmes. Il résulte de cet article que les constats des agents assermentés de l’APP ont la même force probante que les constats établis par les officiers ministériels (huissiers) ou des agents de police judiciaire pour une liste d’infractions limitée. Plus loin, la jurisprudence semble consacrer la force de ces constats même en dehors du champ de compétence matérielle de ces agents. Il en découle, selon AMAZON SERVICES EUROPE, que ce texte viole quatre principes constitutionnels : - le principe d’égalité, - le droit à un procès équitable et à l’égalité des armes, - le principe de sécurité juridique, qui implique que les règles de droit soit claires, précises et prévisibles dans leurs effets, - et l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. En effet, - l’APP est un organisme privé qui défend des intérêts partisans ; - ses agents assermentés n’offrent aucune garantie d’indépendance et d’impartialité ;

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cette indépendance et cette impartialité sont d’autant plus illusoires que l’APP, comme les autres organismes visés à l’article L.331-1 du code de la propriété intellectuelle, peut intervenir comme partie prenante dans toute procédure impliquant ses membres ou assimilés ; les actes ainsi établis ne sont pas soumis aux règles de validité très strictes encadrant les actes établis par les officiers ministériels tels que les huissiers ; la rédaction inefficace de l’article L.331-2 du code de la propriété intellectuelle a permis aux agents de l’APP de procéder à des constats en dehors de leur champ de compétence matérielle avec l’aval de nombreuses juridictions de fond.

AMAZON SERVICES EUROPE souligne encore que l’argumentation de CLARINS et de CLARINS FRAGRANCE GROUP selon laquelle la constitutionnalité de la disposition critiquée aurait été indirectement reconnue par une décision du Conseil constitutionnel portant sur une autre disposition législative y faisait référence est paradoxale et infondée. En effet, - au niveau du premier juge saisi, l’examen de la condition « non dépourvue de caractère sérieux » de la question ne requiert aucun examen approfondi de son caractère sérieux et ne vise, par un contrôle a minima, qu’à écarter les questions fantaisistes et dilatoires ; - la citation incidente dans une précédente décision du Conseil constitutionnel de l’article critiqué ne peut être comparé avec la citation d’un article autre que celui directement mis en cause dans sa décision du 3 septembre 1986 invoquée dans l’arrêt Colonna ; en effet dans ce second cas, la constitutionnalité de la disposition annexe citée dans la décision finale avait fait directement l’objet d’un examen de constitutionnalité, alors qu’ici la disposition citée ne l’avait été qu’incidemment et n’avait fait l’objet d’aucun examen de constitutionnalité ; - la position de la Cour de Cassation dans l’arrêt Colonna n’est qu’une décision isolée, critiquée par la doctrine, et ultérieurement contredite par un arrêt du Conseil d’Etat statuant en sens inverse (arrêt Exbrayat, 31 mai 2010). CLARINS et CLARINS FRAGRANCE GROUP soulignent pour leur part que, si les deux premières conditions posées par l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée sont bien remplies, en revanche la question est dépourvue de sérieux. En effet la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêt dit « Colonna » du 19 mai 2010) indique que la déclaration par le Conseil constitutionnel de la constitutionnalité d’un article qui

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renvoie à des règles prévues par un autre article vaut validation de la constitutionnalité de ces règles : dans le cas d’espèce, le Conseil constitutionnel a, par sa décision n°2009-580 DC du 10 juin 2009, déclaré constitutionnel l’article L.331-24 introduit par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 (loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, dite «loi HADOPI ») en vertu duquel « la commission de protection des droits agit sur saisine d’agents assermentés et agrées dans les conditions définies à l’article L 331-2 qui sont désignés par o les organismes de défense professionnelle régulièrement constitués ; o les sociétés de perception et de répartition des droits ; o le Centre national de la cinématographie ». Cette décision vaut donc déclaration de constitutionalité de l’article L. 331-2 du code de la propriété intellectuelle. CLARINS et CLARINS FRAGRANCE GROUP font en outre valoir, à titre surabondant, que, sur le fond, les griefs invoqués par AMAZON SERVICES EUROPE manquent également de sérieux. - le principe d’égalité n’est absolument pas en cause, car son application s’apprécie au regard de l’identité de situation : or les titulaires d’un droit de propriété intellectuelle ne sont pas dans une situation identique à celle d’autres personnes au regard de l’objet de la loi qui est de protéger la propriété intellectuelle ; - ceci vaut également pour le droit au procès équitable, sous réserve du respect des droits de la défense, dans la mesure où la différence éventuelle des règles de procédure procède de distinctions justifiées par l’objet de la loi ; - la méconnaissance du principe de sécurité juridique ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-4/17 ; - il est hors sujet d’invoquer la jurisprudence légitimant les constats opérés par les agents de l’APP en dehors de leur champ de compétence matérielle, car « le Conseil constitutionnel n’est pas le juge de l’application de la loi, mais le juge de la loi » (décision n° 2010-80 QPC du Conseil constitutionnel) Le Ministère public souligne que : - la question prioritaire de constitutionnalité est bien présentée par écrit dans un acte distinct et motivé et critique une disposition législative au regard des droits et libertés que la constitution garantit ; - la disposition contestée est bien applicable au litige ;

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la disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la constitution dans le motif ou le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ; mais que le 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel a validé l’article 5 de la loi du 12 juin 2009 renvoyant à l’article L331-2 contesté, d’où il suit que la question est dépourvue de sérieux ;

MOTIVATION La question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée par un écrit distinct et motivé, critique une disposition législative au regard des droits et libertés que la Constitution garantit, et sa demande de transmission a été soutenue oralement à l’audience du 7 avril 2011. La demande de transmission est donc recevable. L’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée soumet la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité par le juge du fond à trois conditions cumulatives : - (1) la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; - (2) elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; - (3) la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. En l’espèce, il n’est pas contesté que les deux premières conditions soient remplies et que le débat porte exclusivement sur la troisième condition. Seul reste donc à examiner si la question posée est ou n’est pas « dépourvue de caractère sérieux » au sens de l’article 23-1 de l’ordonnance précitée. Ce contrôle est nécessairement moins approfondi que celui confié à la Cour de cassation, qui vise à déterminer si la question posée « est sérieuse et nouvelle ». Sur le fait que la constitutionnalité de l’article critiqué aurait été indirectement reconnue par une décision antérieure du Conseil constitutionnel, d’où il résulterait que la question serait dénuée de caractère sérieux Dans sa décision 2009-580 DC du 10 juin 2009 le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution les dispositions de l’article 5 de la loi 2009-669 du 12 juin 2009 (loi « HADOPI ») insérant dans le code de la propriété intellectuelle un article L.331-24 ainsi rédigé : « La

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commission de protection des droits agit sur saisine d’agents assermentés et agréés dans les conditions définies à l’article L.331-2 qui sont désignés par : - les organismes de défense professionnelle régulièrement constitués… ». C’est à partir de cette citation incidente de l’article L.331-2 dans cette décision du Conseil constitutionnel que les demanderesses soutiennent que le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé en faveur de la constitutionnalité de l’article L.331-2 du code de la propriété intellectuelle. Or dans sa décision n°86-813 du 3 septembre 1986 (affaire Colonna), la Cour de cassation a considéré « qu’en déclarant conforme à la Constitution, par sa décision 86-813 DC du 3 septembre 1986, l’article 706-25 du code de procédure pénale qui renvoie …. aux règles fixées par les dispositions contestées - l’article 698-6 du même code - le Conseil constitutionnel a nécessairement validé ces dernières dispositions au regard de leur constitutionnalité, qu’ainsi la question posée ne présente pas un caractère sérieux ». Toutefois les deux espèces sont différentes, la première étant une citation incidente de l’article querellé et la seconde un renvoi à l’article querellé avec examen de constitutionnalité ; en effet, contrairement à ce qui était le cas dans sa décision n° 86-813 DC du 3 septembre 1986, le Conseil constitutionnel ne consacre dans sa décision 2009-580 du 10 juin 2009 aucun considérant à l’examen de la constitutionnalité de l’article L. 331-2 du code de la propriété intellectuelle ici disputée. Cependant, il n’appartient pas au juge du fond saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité de statuer sur la question de principe de savoir si la citation incidente d’un article de loi (en l’espèce l’article L. 331-2 du code de la propriété intellectuelle) sans considérant relatif à sa constitutionnalité dans une décision du conseil constitutionnel vaut ou non déclaration de constitutionalité. Dès lors, le moyen développé sur ce point par CLARINS et CLARINS FRAGRANCE GROUP ne saurait établir que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par AMAZON SERVICES EUROPE serait dépourvue de caractère sérieux. Sur les autres griefs exposés par AMAZON SERVICES EUROPE Lorsqu’un litige met en jeu, directement ou indirectement, un producteur de programmes informatiques, éventuellement membre de l’APP, l’objectivité d’un agent de l’APP, organisme privé chargé de la défense des intérêts de cette profession, pour

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constater des infractions aux dispositions des livres Ier, II et III du code de la propriété intellectuelle peut ne pas être manifeste pour l’autre partie, et ce même si cet agent est assermenté et agréé. Cette objectivité est d’autant moins apparente que l’APP, comme les autres organismes de défense professionnelle visés à l’article L 331-1 du code de la propriété intellectuelle, a qualité pour agir en justice pour la défense des intérêts dont il a la charge. Le fait que le constat établi par un agent agréé de l’APP – ou d’un autre organisme de défense professionnelle régulièrement constitué ait même valeur probante que celui d’un huissier ou que les constatations d’un officier ou agent de police judiciaire, sans que son auteur soit soumis aux règles strictes qui s’appliquent à ces professions, pourrait alors remettre en cause l’égalité des armes dont doivent disposer les parties à un litige, et donc le droit de chacun à un procès équitable. Il en résulte, sans qu’il soit besoin d’analyser les autres moyens développés par AMAZON SERVICES EUROPE, que la question posée n’est pas dépourvue de sérieux. Les trois conditions posées par l’article 23-1 de la loi organique du Conseil constitutionnel étant satisfaites, le Tribunal transmettra la question prioritaire de constitutionnalité posée à la Cour de cassation. Sur les mesures provisoires et le sursis à statuer En application des dispositions de l'article 23-3 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée, lorsqu'une question est transmise, la juridiction surseoit à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés. En l'espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés. Il sera donc sursis à statuer sur l'ensemble des demandes des parties, les dépens étant réservés. PAR CES MOTIFS

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Le Tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire insusceptible de recours, -

ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « les dispositions de l’article L.331-2 du code de la propriété intellectuelle portent-t-elles atteintes aux droits et libertés garantis par la constitution et, plus particulièrement, au principe d’égalité, au droit à un procès équitable et au principe de sécurité juridique garantis par l’article 16 de la DDHC, ainsi qu’à l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi garanti par les articles 4,5,6 et 16 de la DDHC ? »

-

dit que le présent jugement sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

-

dit que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

-

Surseoit à statuer dans l'attente de sa décision et de la décision éventuelle du Conseil Constitutionnel si celui-ci est saisi par la Cour de Cassation ;

- réserve les dépens.   Retenu et plaidé à l’audience publique du 7 avril 2011 où siégeaient Monsieur FOUQUET, Madame GILE et Monsieur Lionel GUERIN. Délibéré par les mêmes magistrats.

Dit que le présent jugement est prononcé par mise à disposition au Greffe de ce Tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile. La minute du jugement est signée par Monsieur FOUQUET, Président du délibéré et Madame DELAPLACE, Greffier.

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